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défenseurs de tous les droits ont encouragé sans scrupule et directement les actes qui immolaient la nationalité de la Pologne, non au triomphe de la liberté, mais à celui de leur haine contre les catholiques. Citons d'abord l'assentiment donné par Voltaire au partage de la Pologne, et exprimé. dans les termes suivants au roi de Prusse, en 1772: «< On prétend que c'est vous, sire, qui avez imaginé le partage de la Pologne, et je le crois « parce qu'il y a du génie, et que le traité s'est « fait à Potsdam. » C'était, en effet, un véritable trait de génie, un admirable effort de prosélytisme philosophique, que ce partage des plus belles provinces catholiques de l'Europe orientale entre des souverains protestants et schismatiques.

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Mais ce n'est pas assez de cet aveu personnel de Voltaire, quelque éloquent qu'il soit, pour attester la complicité de l'esprit philosophique dans les usurpations de 1773. Nous comprenons que, lorsqu'il s'agit d'une question aussi grave, des témoignages plus sérieux et plus complets doivent être invoqués; il convient donc de raconter ici comment les puissances de l'Europe ont été ellesmêmes dominées par l'influence des nouveaux ennemis du catholicisme.

CHAPITRE III.

Attitude de l'Angleterre, de la France et de l'Autriche dans ces luttes religieuses.

Des documents diplomatiques, publiés récemment en Allemagne, sont venus jeter un jour tout nouveau sur la conduite de l'Angleterre, de la France et de l'Autriche pendant la période critique de 1765 à 1775. Ces souvenirs historiques seront d'autant mieux placés ici qu'ils répandront quelques lumières sur les événements contemporains.

En 1769, le chef d'une famille qui s'est toujours signalée en Pologne par un noble et courageux patriotisme, le prince Czartoriski, avait pensé que la guerre civile et étrangère qui désolait son pays ne pouvait être apaisée que par une médiation des puissances catholiques. Tous les hommes éclairés et vraiment patriotes souhaitaient cette médiation. La Russie s'y opposa formellement : on s'y attendait; mais, ce qu'on ne devait pas prévoir, le cabinet anglais approuva cette opposition et écrivit à son ambassadeur : « La décision de la « Russie, de ne pas laisser intervenir les puis«sances catholiques dans les affaires de Pologne, « a causé ici une grande satisfaction 1. »

Dépêche du cabinet anglais du 4" janvier 4770 (Raumer ).

Cependant l'Angleterre n'a pas pu se dissimuler un seul instant les conséquences de la lutte engagée entre la Pologne et ses voisins: car, longtemps auparavant, le 28 septembre 1767, le comte Panin avait dit à l'ambassadeur anglais à Saint-Pétersbourg : « Si les demandes des dissi«<dents ne sont pas admises de bon gré, 40,000 << Russes et 40,000 Prussiens entreront en Pologne, « et nous ne pouvons plus répondre des conséquen

« ces 1. >>

Lorsque les circonstances devinrent plus critiques, lorsque le roi de Prusse s'empara de la ville de Dantzig, le cabinet de Paris crut devoir appeler l'attention de l'ambassadeur d'Angleterre sur l'occupation d'une place de commerce aussi importante. Dantzig était alors une ville anséatique dépendant du roi de Pologne, et sa position, à l'embouchure de la Vistule, la rendait maîtresse du commerce de toute la Pologne. Le blé, qui est le principal produit des seigneurs polonais, ne pouvait pas être vendu directement à l'étranger, mais par l'entremise des négociants de Dantzig. Ce seul commerce s'élevait, en 1750, à deux millions de sequins, ce qui peut donner une idée de l'importance que cette place de commerce avait à cette époque. Cependant, le diplomate anglais répondit qu'il n'avait aucune instruction pour entrer en explication à ce sujet, et sa réserve fut approuvée

1 Dépêche publiée par Raumer.

à Londres dans ces termes : « Votre silence a été << très-convenable: l'Angleterre ne désire pas l'ac

complissement des plans du roi de Prusse; mais, dans aucun cas, elle ne prendra des me«sures de concert avec la France pour s'y oppo«ser. » Enfin, quand les généraux prussiens réalisent les menaces du comte Panin, quand ils envahissent la Pologne et la traitent en pays conquis, le ministre anglais à Varsovie transmet cette nouvelle à son gouvernement dans ces termes révoltants : « Je vous envoie les déclara« tions des généraux prussiens pour votre passe« temps'. »

Voilà la politique de l'Angleterre bien dessinée: en 1770, elle repousse, avec la Russie, le dernier moyen de salut qui reste à la Pologne; en 1772, elle donne un assentiment tacite à l'occupation de Dantzig par les Prussiens; sa rivalité commerciale, toujours si envieuse, se tait en présence de cette usurpation qui blesse ses intérêts les plus chers, et ses agents ne craignent pas de manifester une joie cynique devant l'invasion barbare des troupes prussiennes. Mais quel avantage l'Angleterre a-t-elle obtenu pour faire si gaiement de si grandes concessions? Est-ce le traité de commerce qu'elle a conclu plus tard et qui a ouvert à son pavillon les portes de la Russie? Cette transaction balançait-elle commercialement l'occupation de

1 Dépêche du cabinet anglais du 21 février 1772 (Raumer). 2 Dépêche citée par Raumer.

Dantzig par les Prussiens, et politiquement l'atteinte qui était portée à l'équilibre de l'Europe? Assurément non. Il est donc permis de croire que d'autres considérations ont engagé le cabinet anglais à laisser le champ libre aux ennemis de la Pologne, et qu'il a trouvé le prix de sa condescendance dans l'affaiblissement du catholicisme sur le continent, et dans le renversement d'un trône sur lequel pouvait toujours être appelé un prince français.

La conduite de la France à cette époque et le sacrifice qu'elle a fait de ses intérêts les plus précieux ont été attribués à la faiblesse de Louis XV et surtout à la légèreté du duc d'Aiguillon. Les documents que nous avons sous les yeux prouvent clairement que ces assertions ne sont pas fondées, ou, du moins, que la faiblesse n'a pas été le seul mobile du cabinet de Versailles. D'abord nous ferons remarquer qu'il est injuste de faire tomber sur le duc d'Aiguillon toute la responsabilité du partage de la Pologne. Sans doute l'œuvre de démembrement a été accomplie en 1773, lorsque ce ministre était aux affaires; mais prétendre que cette iniquité n'ait pas été préparée dans les années antérieures, et que le duc d'Aiguillon ait été le seul coupable, ce serait se méprendre étrangement sur les causes qui précipitent la chute des empires. Louis XV a pu dire, si toutefois l'anecdote est authentique, que la Pologne n'aurait pas été partagée si le duc de Choiseul avait été ministre en

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