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CHAPITRE V.

Instruction publique. — Enseignement laïque et ecclésiastique.

Si un gouvernement avait rendu à l'Eglise sa liberté de communication avec le Saint-Siége, sa juridiction sur elle-même, ses biens, ses temples et ses ordres religieux, mais si, en même temps, il prétendait diriger et dominer l'enseignement de sa doctrine, on aurait encore le droit de soutenir que ce gouvernement est hostile à la liberté des cultes. « Jamais l'Eglise n'eût vaincu les empe«reurs, a dit avec raison l'illustre évêque de Lan« gres, si elle eût consenti à ne rien enseigner que « sous leur bon plaisir1. » Les pouvoirs rationalistes et absolus sont aujourd'hui plus intolérants que les empereurs païens sur ce chapitre.

Voyez, en effet, ce qui se passe en Russie. L'instruction publique y forme une branche de l'administration de l'Etat, elle est confiée à un ministre spécial. Il y a quatre sortes d'écoles : les écoles paroissiales, qui correspondent à nos établissements d'enseignement primaire; les écoles de district et les gymnases, qui représentent nos colléges royaux et communaux ; les Universités, qui em

1 2e Examen, Liberté de l'Eglise, p. 44.

brassent tous les degrés de l'enseignement supérieur '; enfin les Académies catholiques, c'est-àdire les Facultés de théologie.

Les Universités sont chargées de diriger, sous la surveillance du ministre de l'instruction publique, tous les établissements d'enseignement secondaire et supérieur. Les Académies forment des corps régis par leurs propres règlements. Les unes et les autres jouissent de quelques immunités particulières, à l'exemple des universités allemandes.

C'est l'assemblée générale des professeurs universitaires qui choisit, à la majorité des voix, des candidats aux places vacantes, et les présente au ministre de l'instruction publique, qui n'a que le droit de confirmation.

Ce sont les Universités qui exercent le droit de censure sur tous les livres imprimés dans leur ressort; ce sont elles qui confèrent les grades nécessaires pour exercer les fonctions de l'Etat. En un mot, ce sont elles qui décident la plupart des questions que le régime impérial avait soumises en France à l'autorité de l'Université et du grandmaître, de telle sorte que, d'un côté, les Universités russes ayant conservé quelques droits et quelques priviléges, et, d'un autre côté, se trouvant soumises à la puissance d'un ministre de l'Etat, le système d'enseignement secondaire ne représente en Russie ni la liberté de notre ancien ré

1 Voyez Appendice, no 8.

gime universitaire, ni le despotisme actuel, mais un composé de ces deux régimes.

Ce que la Russie a respecté dans l'éducation publique, ce qu'elle lui a conservé, c'est un caractère chrétien. L'action de l'autorité religieuse est pour ainsi dire unique dans l'enseignement primaire. Les écoles paroissiales sont en général confiées aux curés et aux desservants, et le gouvernement a reconnu hautement que ces fonctions faisaient partie de la mission que Dieu a donnée à ses ministres: Euntes docete omnes gentes 1. Dans les terres seigneuriales, les écoles primaires sont confiées aux propriétaires, quand ils appartiennent au même culte que leurs serfs 2. L'instruction secondaire est elle-même soumise, dans les Universités, à l'influence active et régulière du clergé. Quelle que soit donc la susceptibilité ombrageuse du gouvernement en matière politique, son despotisme ne va pas jusqu'à nier la loi divine et sociale qui appelle les ministres de la religion à diriger l'enseignement des peuples. Il y a cependant à côté de cette tolérance religieuse une tendance

1 L'article 33 d'un règlement du ministre de l'instruction publique porte ce qui suit: «Comme il serait de la plus grande utilité que les curés et autres desservants exerçassent eux-mêmes les fonctions d'instituteurs, si conformes à leur vocation, le saint synode doit prendre des mesures afin que cela soit mis à exécution sans aucun retard et sans porter préjudice ni aux curés, ni aux paroissiens. » La même disposition a été appliquée aux écoles paroissiales catholiques.

2 Quand un seigneur abandonne la religion dominante, il lui est interdit de demeurer sur ses terres, et l'administration en est confiée à des tuteurs institués ad hoc.

qui en atténue les effets, c'est celle du gouvernement russe en faveur du développement de la religion dominante, tendance que la loi civile a favorisée en donnant des récompenses à l'apostasie, et en infligeant des châtiments à la conversion; nous y reviendrons tout à l'heure.

La situation actuelle de l'instruction publique en France est trop connue pour que nous ayons besoin d'entrer ici dans de longs développements. On sait que le droit écrit dans la Charte, c'est la liberté d'enseignement, et que le fait est toujours l'absolutisme impérial, avec cette circonstance aggravante que le despotisme, depuis quinze ans, est rationaliste, et qu'il imprime ce cachet pernicieux à l'enseignement. Sous l'Empire, l'Université était catholique, c'était le premier article du décret qui l'instituait; aujourd'hui l'Université est rationaliste, non pas en elle-même, mais par sa position, parce qu'elle représente un Etat rationaliste. L'Université, en vertu de ses nouveaux principes, autorise dans son sein l'enseignement des différents cultes : elle reconnaît le culte catholique qui nie le culte hébraïque, et le culte protestant qui nie le culte catholique ; en un mot, elle reconnaît tous les cultes qui se nient les uns les autres. On a décoré ce système du nom de tolérance, c'est lui faire trop d'honneur. Ce que nous voyons en France, c'est du rationalisme ou de l'athéisme gouvernemental; et cette tendance impie du pouvoir en France est tellement inhérente à sa con

dition, qu'elle se révèle aussitôt qu'il veut toucher à l'enseignement. Quatre-vingt-neuf évêques lui ont déclaré, publiquement ou confidentiellement, que ses projets de loi sur l'enseignement étaient directement contraires à la conservation de la foi1. Il en sera ainsi de tous les projets qui auront pour but de conserver à l'Etat la direction de l'enseignement. La piété des hommes ne peut rien contre la puissance d'un principe athée. L'Etat, qui ne peut donner ni une direction catholique, ni une direction protestante, ni une direction juive, à l'enseignement, et qui veut donner toutes ces directions à la fois, ne peut que détruire les cultes l'un par l'autre. Et ceci n'est pas une théorie ou une déduction logique sans application; c'est un fait patent, matériel, qui se développe sous nos yeux partout l'influence des principes de l'Etat en matière d'éducation conduit au rationalisme, et la réaction catholique qui se manifeste depuis quelque temps est tout à la fois une preuve et une conséquence des tendances que nous signalons.

Si nous comparons les effets de l'influence inconstitutionnelle que le pouvoir représentatif exerce en France, et l'influence que le pouvoir absolu exerce en Russie, nous voyons que le danger des catholiques est ici de tomber dans le schisme, et là dans l'athéisme. Entre ces deux périls, nous

↑ Liberté de l'Eglise, 2′ Examen, p. 72.

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