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queur de la Ligue (17). Tout eft prêt; Henri s'avan ce; & SULLY par fes fuccès va terraffer à la fois les ennemis de la France & les fiens. Il ofe attaquer deux Places fituées fur un roc efcarpé en précipices, & inacceffible de toute part. Un fentier étroit, bordé d'abîmes, étoit le feul chemin par où l'on pût y conduire du canon. Il falloit enfuite le porter à force de bras fur la cime hériffée d'une montagne; il falloit, pour établir les batteries, applanir & tailler les pointes des rochers; il falloit découvrir dans la Citadelle quelque endroit moins folide où le canon pût s'ouvrir un paffage. Après tant d'obstacles, il en restoit encore un plus difficile à vaincre ; c'étoit la jaloufie des Courtifans. SULLY triompha de tout. Les ennemis de la France apprirent à le craindre, Henri IV à l'eftimer encore plus, & les Courtisans acquirent un nouveau droit de le haïr.

Je m'arrête peu fur les actions militaires de SULLY. Ce qui fuffiroit pour l'éloge d'un autre, est à peine le commencement du fien; & je traite ce grand Homme, comme a fait la poftérité, qui a prefque oublié le guerrier pour ne fe fouvenir que de l'homme d'État. Jettons un coup d'œil rapide sur ses Négociations comme fur fes Combats; & nous contemplerons enfuite le grand spectacle que nous préfente fon miniftere.

SECONDE PARTIE.

LORSQUE la mort du dernier Valois eut ouvert à Henri IV les barrieres du Trône, ce Prince jetta fes regards au dedans & au dehors de la France, pour voir ce qu'il avoit à craindre ou à espérer. L'Angleterre ébranlée par les caprices tyranniques de Henri VIII, foible fous Edouard VI, inondée de fang fous Marie, floriffante & tranquille fous Elizabeth, jettoit alors les fondemens de fa grandeur, & paroiffoit disposée à foutenir en France un Roi proteftant. La Hollande, avec les débris de fes chaînes, combattoit contre fes tyrans, & voyoit dans leur ennemi un allié nécessaire. L'Allemagne avilie fous Rodolphe redoutoit tout des Ottomans, & n'avoit que peu d'influence fur fes voifins. La Suiffe libre & guerriere avoit besoin par fa pauvreté de vendre ses citoyens & fon fang. L'Espagne agrandie d'un nouveau monde avoit englouti le Portugal, menaçoit l'Angleterre, & défoloit la France. La Savoie obfervoit la France embrafée, & fe tenoit au bord de l'incendie, pour épier l'occasion d'enlever quelques débris. Rome avoit lancé fes foudres. La Suède & le Dannemark n'étoient pas encore liés aux affaires du Midi. La Pologne n'étoit qu'un féjour de barbares. La Ruffie n'exiftoit pas. Au dedans du Royaume étoit cette ligue pro

tégée par l'Espagne, autorifée par les Papes, & qui combattoit au nom de Dieu contre les Rois. On voyoit d'un côté ce Mayenne, fage dans les confeils, lent dans l'exécution, excellent chef de Parti, plus habile qu'heureux guerrier; d'Aumale ardent, impétueux, bravant les Rois & la mort; Nemours affez grand pour que Mayenne en fût jaloux ; Mercœur, philofophe au sein de la révolte, & humain dans les guerres civiles; Briffac efprit romanefque & fingulier, voulant créer l'ancienne Rome fur les débris de la France; le Cardinal de Bourbon, qui par fa foibleffe avoit été forcé de devenir Roi; Guise redoutable par fon nom feul; d'Epernon qui n'avoit que de l'orgueil, & n'inspira jamais que de la crainte; Villars *, fier & emporté, plein de franchise & de valeur; Joyeufe dévot par caprice, & guerrier par fanatifme; Villeroi honnête homme, & homme d'Etat ; enfin ce Président Jeannin, trop vertueux pour un rebelle, aimant fon pays, ennemi de l'Espagne, haï des Seize, l'ame du parti malgré le parti même, dont il modéroit la passion & la fureur. On voyoit de l'autre côté d'Aumont fujet fidele & intrépide guerrier; Biron qui avoit commandé en chef dans fept batailles; fon fils à qui il ne manqua, pour être grand, que d'être toujours vertueux; Givri auffi habile dans les lettres que dans la guerre; Crillon dont le nom étoit celui * Brancas-Villars, Amiral.

de la valeur; Lefdiguieres, de fimple foldat devenu Connétable, dans des temps où tous les hommes par leur propre poids se mettent à leur place; Montmorency digne de porter un fi grand nom; Mornai, le feul peut-être qui ait été extrême dans la Religion, fans être fanatique ; Sanci, Magiftrat, Guerrier, Négociateur & Miniftre; Harlai qui eut la gloire de fouffrir pour fon Roi; Bouillon, génie inquiet & ardent qui joignoit toute l'activité de l'ambition à tout le flegme de la politique; le Comte d'Auvergne avide de cabales & de plaifirs; le Comte de Soiffons brave, mais inconstant, peu attaché à son Maître, jaloux de fa gloire, aveugle dans ses défirs, ayant befoin d'être agité, se tourmentant sans objet. Tels étoient au dedans & au dehors les difpofitions, les talens, les vices ou les vertus de ceux qui combattoient ou fervoient Henri IV. Pour réunir tant d'intérêts, calmer tant de paffions, fubjuguer tant de haines, c'étoit peu de vaincre, il falloit encore négocier. SULLY, guerrier & politique, fecondoit le Roi ses talens, comme il le servoit par fa valeur.

par

A peine la Ligue commençoit à fe former, Henri l'avoit envoyé à la Cour de France pour en obferver tous les mouvemens (18). Il avoit vu ce moment avant-coureur des grands troubles, où chacun s'agite, obferve, prend des mefures, où les amitiés fe changent en partis, où les haines deviennent fac

tions, où tous les intérêts particuliers pefent fur l'Etat, où les petits ceffent d'être étonnés du poids de la grandeur fouveraine, & où les grands commencent à trafiquer de leur foi, & à mettre un prix à leur probité. Il avoit fuivi toutes les révolutions de la Cour, & les progrès de fes différens systêmes. Il avoit négocié, au péril de fa vie, le traité qui unit ensemble les deux Rois; femblable à ces canaux qui, à travers les précipices & les montagnes, vont réunir deux fleuves ou deux mers (19). La mort de Valois lui ouvre une carriere plus vaste. Je le vois négocier avec tous les Ligueurs, qui par leur puiffance difpofoient des forces de l'Etat, ou qui par leur nom influoient sur la fidélité des peuples. Villars, maître d'une place importante, lui oppofe un courage fier, & une colère aveugle (20); SULLY par le fang froid, par la modération, par la franchife, triomphe de cette ame altière, & rend un citoyen à l'Etat. Ombre des Guifes, l'héritier de votre nom vient combattre pour foutenir ce même Trône ébranlé par vos mains, & teint de votre fang (21). La voix de ce fang qui arma tant de Ligueurs pour fa vengeance, n'eft plus entendue. Celle de SULLY plus impérieuse & plus forte, les ramene aux pieds de leur Maître. Profiter de leur jalousie pour lcs divifer, de leur haine mutuelle pour leur infpirer l'amour du devoir; flatter l'ambition par des dignités, l'intérêt par des richesses, des richesses, la vanité par des éloges;

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