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cles, que fon maître en avoit éprouvés de la part des Ligueurs, lorsqu'il avoit fallu conquérir chaque ville (27). L'homme de bien triompha; il parcourut avec des vues également éclairées & bienfaifantes tout ce Royaume désolé; semblable à l'esprit de fécondité qui à travers la confusion & la nuit fe promenoit fur l'abîme du chaos & couvoit les germes du monde.

L'inftant de la création eft arrivé. Tous les élémens font prêts, & la lumière va naître fur la France. SULLY eft armé de l'autorité de fon Roi, & de toute l'énergie d'une ame qui veut faire le bien; il commence par réformer les abus. Les Officiers & les Grands n'ont plus le droit de lever des contributions fur les Provinces ; & le peuple affranchi de fes tyrans, fe félicite de n'avoir plus à payer que les fubfides ordonnés par fon Roi. Fier & impétueux d'Epernon (28), en vain dans le Confeil tu ofes foutenir la caufe de ces redoutables concuffionnaires; ce n'est point à SULLY à trembler. Comme Miniftre, il écrafe l'injuftice; comme Guerrier, il brave les menaces. Il pourfuit fa carrière au milieu des orages. Il défend aux créanciers de l'Etat de lever par eux-mêmes aucuns droits fur les fermes. Par cette Ordonnance les revenus de l'Etat furent arrachés des mains de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Suiffe, de Florence, de Venife, & de tous les hommes

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les plus puiffans du Royaume. Henri IV eft épouvanté lui-même de la nouvelle tempête qui s'élève contre SULLY. Mais ce grand Homme eft inébranlable. Il caffe dans les fermes la multitude des fous-baux, qui, multipliant les frais à l'infini, engraissoient de la fubftance de l'État une foule d'hommes inutiles. Il dreffe un état général de finance qui prévient déformais tous les moyens honteux de s'enrichir. Il prescrit aux Receveurs de nouvelles formules de comptes. Les fouterrains profonds qu'avoit creufés l'avarice, font découverts au grand jour, & les tigres qui s'y retiroient, pour y dévorer fourdement les entrailles du peuple, ceffent enfin d'avoir des repaires. Les fortunes injustes font citées à des tribunaux. L'avarice eft forcée à venir rendre compte de fes pillages (29). L'or qui s'est égaré hors des canaux publics, revient fertiliser la patrie. Si l'État ne retira point de ces établissemens févères tout le fruit qu'il en pouvoit espérer, fi plusieurs des grands criminels échappèrent à la poursuite des Loix, n'accufons point SULLY: accufons & les intrigues de la Cour, & la vénalité des ames, & la foibleffe de la nature pour le bien, & l'excès du mal même; car il arrive un point où l'or qui eft la fource des crimes, fert lui-même à les couvrir, & où à force d'être coupable on devient

innocent.

Tout prend une face nouvelle. Les fermes font

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doublées; les étrangers en font exclus; les Courtisans n'ont plus d'influence, & cessent de vendre leur protection. Dès-lors les choix furent meilleurs : car, j'oferai le dire, ce qui eft protégé, n'est prefque jamais ce qui doit l'être: d'ailleurs celui qui corrompt, eft déja corrompu; & celui qui achete les autres, quel prix peut-il être eftimé lui-même ? Le temps de la tyrannie & des ufurpations n'est plus. Quatre-vingt millions de domaines rentrent dans les mains du Souverain. SULLY paffe à une opération plus compliquée. On vérifie les rentes conftituées fur l'Etat. Leur fource, leur hypothèque, leur capital, l'époque de leurs différentes créations, tout eft connu. Chaque engagement est discuté; chaque dégré d'injuftice ou de fraude eft calculé. On éteint les unes, on rembourfe les autres, on réduit celles qui devoient être réduites. L'équité févère préfida à tous ces jugemens; & une opération, qui ébranloit les fortunes de tant de particuliers, fervit encore à établir le crédit public. On fait des loix pour arrêter les fommes immenfes qui paffoient chez les Nations voisines: mais les loix ne fuffifent il faut ôter aux hommes l'intérêt de les violer. pas; SULLY eut recours à différens moyens, mais tous infuffifans (30). Louons ce grand Homme du bien qu'il voulut faire, & rejettons fur fon fiècle celui qu'il ne fit pas. L'ordre rétabli dans les payemens les facilite. A chaque partie de la dépenfe eft ap

pliquée une partie des revenus. Les deniers ne font plus engagés d'avance, d'une année à l'autre, parce que les affignations n'excèdent plus la portée de la recette. Un Edit févère défend de reculer les payemens, & prévient ces traités infames, où le créancier étoit obligé de trafiquer d'une partie de sa dette, pour acheter l'autre. Si quelqu'un étoit fatigué de ces détails, qu'il fache que les chofes les plus petites en apparence, influent fur le gouvernement œconomique, & que ce font les fibres obfcures, cachées dans les entrailles de la terre, qui portent & qui nourriffent ces forêts majestueuses, qui font un des principaux ornemens du monde. Tout, dans les réformes de SULLY, tendoit au foulagement du peuple. Les Villes & les Provinces font déchargées du fardeau des dettes qui les accablent. Les vexations fourdes, les formalités odieufes, les remèdes devenus plus cruels que les maux, font fupprimés. Les privilèges fouvent injuftes & toujours dangereux, font réduits à leur jufte nombre; & la répartition plus égale rend les recouvremens plus faciles.

C'est ici le moment de développer les principes œconomiques de SULLY, principes où il fut fi bien fecondé par l'humanité & par le génie de Henri IV. Comment ces deux hommes, qui avoient paffé une grande partie de leur vie fur les champs de bataille, fe trouvèrent-ils tout-à-coup formés dans l'art de gou

verner? Eft-ce que l'habitude des grands dangers accoutume à imaginer les grandes ressources? Ou bien, eft-ce que les motifs brillans, la gloire, les fatigues, les grands spectacles, la destinée des nations que l'on a entre fes mains, élèvent l'humanité, & agrandiffent l'ame par l'exercice vigoureux de tous fes refforts?

N'allons pas confondre la fcience du gouvernement œconomique avec la fimple adminiftration des finances. Celle-ci n'eft qu'un méchanifme d'ordre & d'infpection : l'autre eft la science de l'Etat. Elle pénètre à la fource des richesses; elle les augmente; elle les dirige; elle les diftribue. Les liftes de la vanité font furchargées de noms de Surintendans des Finances : les faftes de la patrie ne comptent que SULLY.

Par quel art funefte le fyftême des impôts eft-il devenu plus ruineux pour les Etats que la guerre, la famine & la pefte? Si les campagnes font dépeuplées; fi une partie des terres font en friche; fi le cultivateur eft découragé ; fi la France a perdu la moitié de ses revenus; fi tous les refforts font affoiblis & languiffans, quelle en eft la cause? C'est qu'on arrache des mains du laboureur les richesses deftinées à reproduire les richeffes, & que les revenus épuifés dans leur fource, ne peuvent plus rentrer dans le fein de la terre pour en faire germer d'autres. Aufli une des premières opérations de

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