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lement l'art de faire tomber fur les riches & fur les habitans des villes, les remifes accordées aux campagnes; mais on leur reproche à tous deux d'avoir gêné l'induftrie par des taxes. Le crédit, cette partie importante des richeffes publiques, qui fait circuler celles qu'on a, & qui fupplée à celles qu'on n'a pas, paroît n'avoir pas été affez connu par SULLY, & affez ménagé par Colbert. Les gains exceffifs des Traitans furent réprimés par tous les deux; mais SULLY connut mieux de quelle importance il est pour un Etat de rapprocher les gains des finances, de ceux qu'on peut faire dans les entreprises de commerce ou d'agriculture. Les monnoies attirèrent leur attention: mais SULLY n'apperçut que les maux, ou ne trouva que des remèdes dangereux; Colbert porta dans cette partie une fupériorité de lumières qu'il dut à son siècle autant qu'à lui-même. On leur doit à tous deux l'éloge d'avoir vu que la réforme du Barreau pouvoit influer fur l'aifance nationale; mais l'avantage des temps fit que Colbert exécuta ce que SULLY ne put que défirer. L'un dans un temps d'orages, & fous un Roi foldat, annonça feulement à une nation guerrière qu'elle devoit eftimer les sciences; l'autre, Miniftre d'un Roi qui portoit la grandeur jusques dans les plaisirs de l'efprit, donna au monde l'exemple, trop oublié peut-être, d'honorer, d'enrichir & de développer tous les talens. SULLY entrevit

le premier l'utilité d'une marine; c'étoit beaucoup en fortant de la barbarie : nous nous fouvenons que Colbert eut la gloire d'en créer une. Le Commerce fut protégé par les deux Miniftres; mais l'un vouloit le tirer prefque tout entier du produit des terres; l'autre des manufactures. SULLY préféroit, avec raifon, celui qui étant attaché au fol, ne peut être partagé ni envahi, & qui met les étrangers dans une dépendance nécessaire : Colbert ne s'apperçut pas que l'autre n'est fondé que fur des befoins de caprice ou de goût, & qu'il peut paffer, avec les Artistes, dans tous les pays du monde. SULLY fut donc fupérieur à Colbert dans la connoiffance des véritables fources du Commerce: mais Colbert l'emporta fur lui du côté des foins, de l'activité & des calculs politiques dans cette partie; il l'emporta par fon attention à diminuer les droits intérieurs du Royaume, que SULLY augmenta quelquefois, par fon habileté à combiner les droits d'entrée & de fortie; opération qui eft peut-être un des plus favans ouvrages d'un Légiflateur, & où la plus petite erreur de combinaison peut coûter des millions à l'Etat. Il fera difficile d'égaler Colbert dans les détails & les grandes vues du Commerce. Il fera difficile de furpaffer SULLY dans les encouragemens qu'il donna à l'agriculture. Ce n'eft pas que Colbert ait négligé entièrement cette partie importante. N'exagérons pas les fautes des grands Hommes

Hommes, & n'ayons pas la ridicule manie d'être toujours extrêmes dans nos cenfures comme dans nos éloges. Colbert, à l'exemple de SULLY, voulut faire naître l'aifance dans les campagnes; il diminua les tailles ; il prévint, autant qu'il put, les maux attachés à une impofition arbitraire; il protégea par des réglemens utiles, la nourriture des troupeaux; il encouragea la population par des récompenses; mais faute d'avoir permis le commerce des grains tant d'opérations admirables furent presque inutiles ; il n'y avoit point de richesse réelle; l'Etat parut brillant, & le peuple fut malheureux; l'or que le trafic faifoit circuler, ne parvenoit point jufqu'à la claffe des cultivateurs; le prix des grains baiffa fans ceffe, & l'on finit enfin par la difette. Tels furent & les principes & les fuccès différens de ces deux grands Hommes. Si maintenant nous comparons leur caractère & leur talent, nous trouverons que tous deux eurent de la jufteffe & de l'étendue dans l'efprit, de la grandeur dans les projets, de l'ordre & de l'activité dans l'exécution: main SULLY peutêtre faisit mieux la masse entière du gouvernement, Colbert en développa mieux les détails. L'un avoit plus de cette politique moderne qui calcule; l'autre de cette politique des anciens Législateurs, qui voyoier tout dans un grand principe. Le plan de Colbert étoit une machine vafte & compliquée, où il falloit fans ceffe remonter de nouvelles roues;

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le plan de SULLY étoit fimple & uniforme comme celui de la nature. Colbert attendoit plus des hommes; SULLY attendoit plus des chofes. L'un créa des reffources inconnues à la France; l'autre employa le mieux les reffources qu'elle avoit. La réputation de Colbert dût avoir d'abord plus d'éclat; celle de SULLY dût acquérir plus de folidité. A l'égard du caractère, tous deux eurent le courage & la vigueur d'ame, fans laquelle on ne fit jamais ni beaucoup de bien, ni beaucoup de mal dans un Etat: mais la politique de l'un se fentoit de l'austérité de fes mœurs; celle de l'autre, du luxe de fon fiècle. Ils eurent la trifte conformité d'être haïs; mais l'un des Grands, l'autre du Peuple. On reprocha de la dureté à Colbert, de la hauteur à SULLY: mais fi tous deux choquèrent des particuliers, tous deux aimèrent la Nation. Enfin fi on examine leurs rapports avec les Rois qu'ils fervoient, on trouvera que SULLY faifoit la loi à fon maître, & que Colbert recevoit la loi du fien; que le premier fut plus le Miniftre du Peuple, & le fecond plus le Miniftre du Roi enfin, d'après les talens des deux Princes, on jugera que SULLY dût quelque chofe de fa gloire à Henri IV, & que Louis XIV dût une grande partie de la fienne à Colbert (44).

On ne connoîtroit point SULLY tout entier, fi l'on ignoroit que fes vertus égalèrent fes talens. Que ne puis-je mettre fous vos yeux cette partie de

que

fes Mémoires, où, en traçant les qualités morales doit avoir l'homme d'Etat, il trace lui-même fon portrait fans s'en appercevoir ! Vous y verriez la fainteté des mœurs, l'éloignement du luxe

ce courage stoïque qui dompte la nature, qui réfifte à la volupté, & se refuse à tout ce qui peut énerver l'ame. SULLY avoit adopté ces vertus autant par principe que par caractère (45). A la Cour il conferva l'antique frugalité des camps. Les riches voluptueux euffent peut-être dédaigné fa table; mais les Guefclins & les Bayards feroient venus s'y affeoir à côté de lui. Le travail auftère rempliffoit fes journées. Chaque portion de temps étoit marquée pour chaque besoin de l'Etat. Chaque heure, en fuyant, portoit fon tribut à la patrie. Ses délaffemens même avoient je ne fai quoi de mâle & de févère; c'étoit du repos fans indolence, & du plai fir fans molleffe. L'economie domeftique l'avoit formé à cette œconomie publique, qui devint le falut de l'Etat. Ses ennemis louèrent fa probité. Sa juftice eût étonné un fiècle de vertu. Sa fidélité brilla parmi des rébelles. Après la mort de fon maître, on put le perfécuter, mais on ne put réuffir à en faire un mauvais citoyen. Il refta fujet malgré la Cour. Il fervit la Reine qui l'opprimoit. En entrant dans les finances (46), il ne craignit point de donner à la nation la lifte de ses biens. En fortant de place, il ofa défier fon fiècle & la poftérité. Les préfens qu'on

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