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fiècles; & la vérité furnage. A mefure que la poftérité a imprimé ses pas fur les cendres de SULLY, la gloire de ce grand Homme a été plus reconnue. On a mieux vu le bien qu'il a fait, lorsqu'on a ceffé d'en jouir on a plus admiré ses ressources, lorfqu'on a eu les mêmes besoins. Sa réputation foible d'abord & incertaine eft devenue ce qu'elle devoit être, femblable à ces arbres vigoureux qui naissent au milieu des orages, s'élevent avec lenteur, fe fortifient par les fecouffes, & s'affermifle par temps. Ainsi, pour louer ce grand Homme, je n'aurai befoin que d'écouter la Renommée. La voix des fiécles & des nations me dictera ce que je dois écrire.

fent

Malheur à l'Ecrivain qui fait de l'art de penfer un trafic infame de flatterie ! Ce n'est point ici l'éloge d'un homme; c'eft une leçon pour les Etats & pour l'humanité entiere. Mais fur-tout, s'il y avoit un pays fur la terre où les défordres & les malheurs fuffent les mêmes, où les abus fuffent changés en Loix, les mœurs corrompues par l'aviliffement des ames, les refforts de l'Etat relâchés par la molleffe, ce feroit pour ce pays que j'écrirois. En développant les talens de SULLY, je montrerois de grandes reffources; en peignant fes vertus, j'offrirois un grand exemple.

des temps

malheu

Je n'ignore point qu'il y a reux où la sainte image de la vertu ne paroît plus

qu'un fantôme menaçant, & où celui qui ofe la louer, eft regardé comme l'ennemi de fon fiécle: mais je ferois indigne de parler de SULLY, si cettė baffe crainte pouvoit m'arrêter. Ayons du moins le courage de bien dire, dans un fiécle où fi peu d'hommes ont le courage de bien faire. Les hommes vertueux m'en fauront gré; & l'indignation du vice fera encore un nouvel éloge pour moi.

Vous ne ferez point féparé de cet éloge, ô vous tendre ami de SULLY, vous le plus grand des Rois & le meilleur des maîtres, vous dont un citoyen ne peut prononcer le nom fans attendriffement. Ah! fi vos cendres pouvoient se ranimer, vous peindriez vous-même SULLY avec cette éloquence fimple & guerrière qui vous étoit propre; & SULLY feroit mieux loué fans doute qu'il ne pourra l'être par les plus grands Orateurs.

PREMIERE PARTIE

LE moindre des mérites de SULLY, fut d'être 'd'une naissance illuftre (1). Il tenoit d'un côté à la Maifon d'Autriche, de l'autre à l'augufte Maison 'de France. C'en étoit affez pour corrompre une ame foible. La fienne ne trouva dans cet heureux hafard que des motifs de grandeur. Il y puifa cet orgueil généreux qui s'indigne des baffeffes, & qui s'élance à la gloire par la vertu. La fortune lui accorda un

nouvel avantage pour devenir grand; car il étoit pauvre. Tandis qu'il étoit élevé à Rofni dans toute l'austérité des mœurs antiques, déja croiffoit dans les montagnes & parmi les rochers du Béarn, cet autre enfant deftiné à conquérir & à gouverner la France (2). Le Ciel devoit les unir un jour pour le bonheur de l'Etat : cependant ils étoient encore foibles; & le fang couloit autour d'eux. Quatre Batailles où les François s'égorgerent, fervirent 'd'époque à l'enfance de SULLY (3). De plus grands maux fe préparoient encore. Oh! quelle main pourra effacer du fouvenir de la postérité ce jour qui fut fuivi de vingt-fix ans de carnage & d'horreur, ce jour où la férocité du fanatifme changea un peuple doux en un peuple de meurtriers, & où d'un bout 'de la France à l'autre les Autels furent inondés du fang des hommes ! Je te rends graces, ô Ciel, de ce que HENRI IV & SULLY ne périrent pas dans cette journée. La mort de ces deux hommes feuls eût été plus funefte à l'État que celle des foixante-dix mille citoyens qui furent égorgés.

L'éducation de SULLY fut interrompue par ces affreux revers. Il fe vit cbligé de renoncer à l'étude des Langues: mais l'hiftoire, en lui mettant fous les yeux la vie des grands Hommes, lui fit sentir qu'il étoit né pour les imiter. Les Mathématiques accoutumerent fon efprit à ces combinaisons juftes & rapides qui forment le guerrier & l'homme d'État.

Son fiécle même l'inftruifit. Les fureurs religieufes dont il fut le témoin, & prefque la victime, lui infpirerent l'horreur du fanatifme. Le faccagement des villes & des campagnes réveilla dans fon cœur l'humanité. La faim, la foif, les périls & les travaux belliqueux formerent fon courage. Quoi! l'Orateur, en voyant les mœurs foibles & corrompues de fon fiécle, feroit-il réduit à envier ces temps malheureux des difcordes civiles, où les États éprouvent des fecouffes, mais où les ames fe fortifient par les épreuves? SULLY n'eft encore âgé que de. feize ans, & déja il commence à fe fignaler. Les premiers talens qu'il montra, furent ceux de la guerre.

Charles IX étoit mort, Prince féroce & foible, efclave de fa mere, teint du fang de fes fujets. Henri III accouroit du fond de la Pologne. Catherine voluptueuse & cruelle, Reine barbare & femme superf titieufe, agitoit les rênes fanglantes de l'État. Les Proteftans plus terribles par leurs pertes, couroient

venger les meurtres de la S. Barthelemi. Henri avoit brifé fes fers: ce jeune Prince ardent & impétueux voloit de sa prison aux combats. Rosni le fuit (4).. Impatient de vaincre, il fert fans autre titre que celui de volontaire. Les plaines de Tours furent le premier théâtre de fa valeur. Déja il allarme le cœur fenfible du Roi de Navarre : ce Prince loue fon courage en blâmant fa témérité. Un drapeau lui eft confié: ce devoit être en fes mains l'étendard de la victor

re. Il confacre à fon maître le fruit de fes économies & l'or qui étoit le prix de fon fang. Plufieurs Géntilshommes à fa folde font ferment de combattre & de mourir avec lui (5). Dès ce moment il ne fut attaché qu'à la feule perfonne du Roi. C'étoit fe dévouer aux périls & s'enchaîner à l'honneur. Henri feul avec quelques guerriers eft enfermé dans une ville ennemie, & féparé de fon armée. SULLY combat à fes côtés contre tout un peuple (6); & le nouveau Parménion goûta la gloire de fauver auffi fon Alexandre. Les périls renaiffent avec les combats. Ici il est enveloppé, & ne voit plus que l'honneur de la mort; ailleurs l'épée à la main il brave une armée (7). Henri blâme en vain ces excès de valeur. Ce qu'il défendoit par fes difcours, il l'autorifoit par fes exemples: & SULLY dans les combats étoit encore plus porté à imiter fon Maître qu'à lui obéir.

La France déchirée & fanglante parut enfin fe reposer. On vit les deux Cours passer en un instant de la guerre aux plaifirs. Etrange contrafte de fureurs & de voluptés ! Ces guerriers encore teints de carnage s'occupoient de galanterie, de feftins & de danfes. L'intérêt eut bientôt rompu une paix mal obfervée. Le Roi de Navarre, à la tête de quinze cens hommes, attaque une place importante & bien défendue. La hache enfonce les portes; mais dans l'intérieur de la ville, cent barrières qui s'élèvent, arrêtent les vainqueurs (8). C'est à l'histoire

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