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pere. On pourroit peut-être le comparer à Richard fils de Cromwel, tous deux nés d'un père qui avoit ébranlé & gouverné un puiffant Etat, moururent Sujets obfcurs, dans un pays dont il avoient pensé être les fouverains.

Pag. 18. (22). On ne fauroit croire combien Henri IV. avoit de cabales à étouffer même dans fon parti. Le fanatifime & l'ambition tournoient toutes les têtes. Quand Sully ne combattoit pas, il négocioit. En 1594 il quitte le fiége de Laon, pour aller dans Paris appaifer la fermentation des efprits agités par l'affaire des Jéfuites. Peu de temps après Henri IV l'envoie auprès du Duc de Bouillon pour le raffermir dans le devoir, & obferver les complots qui fe formoient à Sedan. En 1595 il va à Rouen diffiper les brigues du Due de Montpenfier. En 1597 il eft chargé d'écrire aux Chefs des Proteftans, qui pendant le fiege d'Amiens cherchoient à inquiéter le Roi, pour en arracher de nouveaux privileges. En 1598 il va dans la Bretagne qui n'étoit pas encore bien remite des fecouffes de la guerre civile; & tient les Etats à Rennes, pour hâter la levéede's fommes qu'on avoit promifes. En 1603. il fait un voyage en Poitou, y diffipe les factions, & ramène au Roi le cœur des Proteftans. En 1606 il fait échouer les deffeins des Calviniftes qui demandoient un Synode national: il concilie à la Rochelle le Clergé & les Proteftans divifés. Enfin en 1614 il travaille par ordre de la Régente à prévenir ou appaifer les troubles excités par les Princes & les Grands du Royaume. On lui doit cette juftice, que: Les talens ne fervirent jamais qu'au bien de l'Etat. Sa politique n'eut rien d'artificieux; elle fut adroite fans être fauffe, & vertueufe fansêtre rigide: c'étoit la politique d'un honnête homme qui dit toujours la vérité, & qui eft affez eftimé pour la faire croire.

Pag. 19.(23). La principale de ces affemblées du Corps Proteftant fut celle de Chatelleraut en 1605. Sully fut nommé par le Roi pour y préfider. Jamais fon Maître ne lui donna une plus grande marque de: confiance; & fi l'on fait attention qu'il étoit Proteftant, on verra quejamais il ne fe trouva dans une circonftance plus délicate. Le plan de conduite qu'il fe traça à lui-même, fut de ne trahir ni fa religion, nifon Prince, & de remplir en même temps les devoirs de Proteftant. zélé & de Sujet fidèle. Il marcha toujours entre ces deux lignes, fans s'en écarter. Auffi dans toute cette affemblée il joua le rôle d'un fage; au lieu que Mornay, avec fon zèle aveugle & impétueux, ne parut qu'un enthoufiafte qui veut armer des fanatiques. Sully préfida encore: deux fois à de pareilles affemblées; l'une à la Rochelle en 1607; &·· l'autre à Gergeau en 1608: & dans toutes les deux il ne fut pas moins utile à l'Etat & au Roi.

Pag. 20 (24). Sully. en 1586 traite avec les Suiffes, & en obtient une promeffe de vingt mille hommes pour fon Maître. En 1599 it négocie le mariage du Roi avec Marie de Médicis. En 1600 il conclur a traité avec le Cardinal Aldobrandin, Légat du Pape & Médiateur

pour le Duc de Savoye. En 1604 il termine en faveur du Roi une conteftation avec le Pape fur la propriété du pont d'Avignon. Mais c'eft fur-tout dans fon ambaffade en Angleterre qu'il développa des talens fupérieurs. Dès l'an 1601, Henri IV. l'avoit envoyé à Dou→ vues, où il avoit eu un fecret entretien avec Elizabeth fur les moyens d'abaiffer la Maifon d'Autriche. Cette Reine Proteftante, ennemie implacable d'une puiffance qui avoit voulu la détrôner, occupée déja des grandes idées de l'équilibre de l'Europe, étoit par eftime, par admiration & par intérêt l'alliée & l'amie de Henri IV; & tous deux n'attendoient que le moment d'exécuter leurs vaftes deffeins: mais elle mourut en 1603. Henri IV fentit combien la mort d'une telle femme pouvoit influer fur les affaires de l'Europe. Il craignit avec raifon que le nouveau Roi d'Angleterre ne fût pas auffi difpofé qu'elle à entrer dans fes vues. Il lui envoya donc Sully avec la qualité d'Ambaffadeur extraordinaire, pour le fixer dans fon parti, & armer l'Angleterre contre l'Autriche. Il faut lire dans les Mémoires mêmes tous les détails de cette négociation. On Y trouvera la profondeur d'un politique, l'éloquence d'un homme d'état, cette activité d'efprit qui donne prefque toujours les fuccès, ce coup d'œil qui démêle les objets même au milieu du trouble, & qui fait le grand Négociateur, comme le grand Général. On y remarquera fur-tout cet afcendant qu'un homme de génie fçait prendre fur les caractères foibles, & fur les ames à petites paffions.

Pag. 30. (25). François d'O, Surintendant des Finances fous Henri III & au commencement du regne de Henri IV, avoit toutTM ce qui auroit dû lui donner l'exclufion de cette charge. Il étoit diffi pateur, indolent, paffionné pour le jeu, tout occupe de ses plaifirs), mettant une vaine grandeur dans des prodigalités infenfées, ne fe refufant rien, tandis que le Roi manquoit de tout. Voilà l'homme qui gouvernoit les Finances. Il mourut en 1594 avec plus de quatre millions de biens, laiffant l'Etat endetté de huit cents dix millions de notre monnoye actuelle. A fa mort, la charge de Surintendant fur fupprimée; & le Roi créa un Confeil de Finances compofé de huit perfonnes. Sully n'approuva point cette forme d'administration, parce qu'il eft bien plus difficile de trouver huit hommes vertueux, que d'en trouver un feul. Sa façon de penfer ne fut que trop juftifiée. Les huit Confeillers ne furent que huit concuffionnaires à brevet. Les diffipations & les vols continuèrent avec plus de fureur qu'auparavant. Le Roi, dans la guerre contre l'Espagne, ayant befoin de huit cents mille écus pour faire le fiege d'Arras, les leur demanda, comme l'homme qui a befoin de pain en demande à un citoyen riche; il ne put jamais les obtenir. Je fuis, écrivoit ce bon Prince à Sully, fort proche des ennemis, & n'ai quafi pas un cheval fur lequel je puiffe combattre mes chemifes font toutes déchirées, mes pourpoints troues au coude; & depuis deux jours je dîne chez les uns & les autres, parce que mes

Pourvoyeurs n'ont plus moyen de rien fournir pour ma table. Cependant les huit Confeillers des Finances tenoient à Paris des tables voluptueufes, & leur luxe infultoit à la mifère publique. Il n'eft pas inutile de répéter de pareils faits, pour qu'on fache jufqu'où peut aller l'audace de la déprédation dans un Etat mal gouverné depuis long

temps.

Pag.31. (26). La première opération de Sully fut de fe'tranfporteren 1596 dans les principales Généralités du Royaume, & d'envoyer dans les autres des hommes de confiance, pour en connoître les forces & les revenus. En 1598 il fit un fecond voyage pour vérifier les recherches ébauchées feulement dans le premier. Son attention s'étendoit à tout il examinoit le climat de chaque Province, les différentes efpèces de. terre, de culture, de production, les non-valeurs réelles ou fuppofécs, leurs caufes ou paffagères ou conftantes, la proportion entre les frais & le revenu, la qualité & le prix commnun des denrées, la facilité des confommations, le nombre des habitans, leur caractère, la valeur de chaque homme dans les différens pays, les reffources des villes, le, produit des manufactures, l'étendue & la qualité du commerce. I obfervoit fur les lieux mêmes ce que payoit chaque Province, la nature des impofitions; celles dont la reffource eft en même temps la plus étendue & la plus prompte; celles dont la perception conte le moins, & rapporte le plus; celles qui fe combinent le mieux avec. le climat, le fol, l'industrie des habitans; & celles qui font plus à charge au peuple, qu'elles ne font utiles à l'Etat. I calculoit par-tou la fomme des richeffes: il étudioit tout ce qu'une Province reçoit, & tout ce qu'elle donne, comment y vient & par où s'écoule l'argent quels font les canaux ouverts, & ceux qui font engorgés, enfin quelles font les Provinces où la Capitale ne renvoye point les fucs qu'elle en reçoit, & où fe trouve interrompue cette heureufe circular, tion entre la tête & les membres, qui fait la vie du Corps politique, Sully, fur tous ces objets, ne s'en rapportoit qu'à lui-même; car il faut des yeux pour voir. On fçait que le Duc de Bourgogne, dans un temps plus éclairé, ne pût fe procurer une connoiffance exacte des Provinces par les Intendans mêmes.

Pag. 32. (27). Dès que les membres du Confeil apprirent que Sully devoit faire des vifites dans les Provinces, ils n'épargnerènt rien pour le traverfer. L'opération étoit trop utile pour qu'ils n'en fuffent pas épouvantés. Ils eurent recours à tout. Les Receveurs généraux Tréforiers, Contrôleurs, Greffiers & jufqu'aux moindres Commis furent prévenus. Les uns s'abfentèrent, & laiffèrent leurs Bureaux fermés ; d'autres firent voir des ordres qui leur défendoient de com-, muniquer leurs regiftres & leurs états. En même temps on femoit dans les Provinces les bruits les plus odieux contre Sully on profitoit dr fon abfence pour le noircir auprès du Roi: on l'accufoit d'ignorance,

de dureté, d'étourderie: on le peignoit comme un tyran qui alloit fucer le fang du peuple, & qui abufoit de l'autorité du Prince, pour le rendre odieux à fes Sujets. Enfin le cri général fit impreffion fur le Roi lui-même ; & Sully reçut ordre de revenir. Henri IV qui, après la plus courte abfence, l'embraffoit toujours avec transport, le reçut très-froidement, Sully reconnut alors le danger qu'il y a de fervir les Rois loin d'eux. Il eut à fe juftifier des plus cruelles calomnies; & il en vint aifément à bout: mais il falloit encore éviter les foupçons pour l'avenir. Cinq cents mille écus qu'il avoit ramaffés dans fes voyages, & qui fans lui euffent été perdus pour le Roi, furent déposés dans le Tréfor Royal. En même temps il prit des précautions pour qu'aucune partie de cette fomine ne fût diffipée. On ne tarda point à fentir combien ces précautions étoient néceffaires.

Sanci, un des membres du Confeil, & le plus abfolu de hommes, envoya demander à Sully, avec toute la fierté d'un defpote, quatrevingt dix mille écus pour payer les Suiffes. Sully fçavoit qu'il n'étoit đú que le tiers de cette fomme. Il refufa. Son refus excità entre lui & Sanci une vive querelle qui éclata en préfence du Roi. Peu de temps après, Sully furprit encore les membres du Confeil à vouloir détourner deux cents mille écus du Tréfor Royal. Heureufement il avoit gardé entre ses mains de quoi les confondre; & dans le moment qu'ils croyoient triompher, en rejettant fur lui la diffipation de cette fomme, il les convainquit lui-même, en présence du Roi, de cet odieux brigandage. Ce fut là l'effai des contradictions & des noirceurs que Sully eut à effuyer au commencement de fon ministère. Ces détails de la méchanceté humaine ne font indifférens pour aucun fiecle. On s'étonne quelquefois quil fe faffe fi peu de bien dans les Etats le Philofophe qui pèfe les obftacles, doit peut-être s'étonner davantage de ce qu'il y a encore des hommes qui ont le courage d'en faire.

Ibid (28) Ce fut en 1598 que parurent toutes ces déclarations, qui vendirent le Roi propriétaire de fes revenus, & mirent le peuple à l'abri des concuffions des Sujets puiffans. Ce quil y a de fingulier, c'eft que" tous les tirans qui voloient le peuple, fe plaignirent avec audace, comine fi on les eût dépouillés d'un bien légitime; tant certains hommes s'accoutument à regarder l'injuftice comme un de leurs droits. Le Duc d'Epernon, par ces fortes de violences, fe faifoit tous les ans un revenu de près de quatre cents mille francs de notre monnoie. Il fut averti du jour où devoit paffer la Déclaration qui lui ordonnoit de n'être plus brigand ni conculfionnaire; & il se rendit au Confeil, bien éfolu de l'empêcher. Là, au défaut de raifons, il eut recours aux infultes; & fon infolence naturelle, aigrie encore par les réponfes fières de Sully, ofa s'emporter jufqu'aux menaces. Sully répondit à l'outrage avec le ton d'un homme qui eft accoutumé à ne rien craindre; & tous deux en même temps portèrent la main fur la garde de leurs épées.

La falle du Confeil eût peut-être été enfanglantée, fi on ne se fût jette en foule au devant d'eux. Le Roi inftruit de cette querelle, loua beaucouple zèle intrépide de Sully, & lui écrivit à l'heure même de fa main, lui offrant, difoit-il, de lui fervir de fecond contre d'Epernon.

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Pag. 33 (29) Il y eut fous le miniftère de Sully trois Chambres de Juftice établies pour faire des recherches contre les Financiers qui avoient malverfé dans leurs emplois, l'une en 1601, l'autre en 1604, & la troisième en 1607. Cette dernière fut établie contre l'avis de Sully. Il avoit réconnu par l'expérience des deux premières, que les principaux coupables échappent toujours. On retira cependant quelqu'avantage de ces pourfuites; c'eft que les loix commencèrent enfin à roitre quelque chofe; l'idée des incurs fut réveillée; le peuple s'apperçut que le Gouvernement s'occupoit de lui; la nobleffe apprit à ne pas confondre l'or avec l'honneur; la nation commença à foupçonner que la pauvreté honnête pouvoit avoir un prix. Au refte, Sully dans fes Mémoires eft d'avis de fupprimer entièrement ces Chambres de Justice, comme des moyens inutiles. Ce n'eft prefque toujours que l'occafion d'un trafic honteux entre ceux qui ont befoin de protection, & ceux qui en ont à vendre.

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Pag. 34 (30) Il faut convenir que toutes les opérations de Sully fur les inonnoies furent peu avantageufes. En 1601 il fit défendre d'employer dans le commerce les monnoies étrangères. Le commerce fur interrompu par cette défenfe, parce que le crédit en fut affecté. Ces efpèces étrangères fe trouvoient en France en très-grande quantité: on les refferra par la répugnance de les porter à la Monnoie, à caufe des droits confidérables qu'on devoit y retenir. Peu de temps après, Sully fit rendre une Déclaration qui défendoit de transporter hors du Royaume aucune espèce d'or ou d'argent, fous peine de confifcation. On fent affez combien une pareille Ordonnance eft inutile. Ce n'eft point des Déclarations que l'on peut retenir dans un pays les espèces d'or & d'argent ; c'eft par une adminiftration fage qui détermine en faveur de ce pays la balance du commerce. Sully lui-même ayant senti combien cette Déclaration étoit infuffifante, crut y remédier par une Ordonnance du mois de Septembre 1602, qui haussa la valeur numéraire des espèces. L'expérience n'a que trop prouvé que c'est une mauvaise opération de toucher aux monnoies d'un Etat. Tout changement dans cette partie porte des plaies mortelles au commerce, par l'extinction de la confiance, par le refferrement des bourses, par les embarras & le défavantage du change, par le renversement des fortunes. Ce qui trompa Sully, c'eft qu'il s'imagina que le hauffement de la valeur numéraire feroit ceffer le tranfport chez l'étranger, en diminuant le profit. En effet, la proportion de l'or à l'argent en France n'étoit pas tout-à-fait alors de 1 à 11, au lieu qu'en Efpagne elle étoit de 1 à 13, en Angleterre de 1 à 13 %, en Allemagne de 1 à 12. Ainfi les Etrangers avoient du bénéfice à enlever notre or. Mais Sully

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