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à peindre SULLY, combattant ici à côté de fon Roi, à chaque pas livrant de nouvelles batailles, montant à de nouveaux affauts, expofé au feu des batteries, à la grêle des moufquets, aux pierres qui rouloient du haut des maisons, reftant ainîì pendant cinq jours & cinq nuits entieres fans quitter fes armes, dérobant à la hâte & ft:r le champ de bataille une nourriture enfanglantée, ne prenant de repos que debout & adoffé contre les maifons même dont les débris s'écrouloient fur leurs têtes, en cet état bleffé & tout dégouttant de fang, mais combattant toujours, & d'une main attaquant les ennemis, tandis que de l'autre il défendoit fon Roi!

La guerre de ces temps-là n'étoit pas femblable à celle qui fe fait aujourd'hui, où cent mille hommes oppofés à cent mille hommes forment des maffes redoutables qui s'étudient, s'obfervent, combinent avec une fage lenteur tous leurs mouvemens, & balançent avec un art terrible & profond la deftinée des États. Les armées beaucoup moins nombreuses fe portoient par-tout avec plus de rapidité. L'enthousiasme des guerres civiles fe communiquant aux efprits, y répandoit une chaleur qui ofoit tout & bravoit tout. On voyoit plus de coups de main que d'actions combinées, plus de chocs que de batailles. Les combats plus fréquens avoient auffi moins d'influence. L'audace fuppléoit à la foibleffe des moyens. Les villes étoient prifes & reprises

tour-à-tour. On négocioit, on combattoit en même temps; & par-tout l'intrigue fe mêloit à la guerre. Je ne fuivrai point SULLY dans toutes les expé'ditions où il accompagna & fervit Henri IV. On verroit par-tout les mêmes tableaux, des fiéges, des combats, des périls, des bleffures (9). Je paffe rapidement fur ces objets, & je me hâte d'arriver à des époques plus importantes. Henri III n'étoit plus. Ce Prince malheureux étoit mort percé du poignard qu'avoit aiguifé fa foibleffe. Le Trône de la France vacant par un affaffinat, étoit difputé par la révolte & par l'intrigue. Mayenne avoit pour lui le Sang de Lorraine, fes talens & le fanatifme des peuples: le Cardinal de Bourbon, un titre & le fantôme du pouvoir : Philippe II l'or du Mexique, les foudres de Roine, & le génie du Duc de Parme: Henri IV fes droits, ses vertus, son épée & SULLY.

Déja SULLY l'a rendu maître de Meulan, place importante. Mayenne s'avance à la tête de 30000 hommes. Henri n'en a que 3000, & il ofe combattre (10), Il confie à SULLY un de ces poftes qui multiplient les forces d'une armée, & décident les victoires. SULLY combat & dispose. Il donne à la fois l'ordre & l'exemple. Ses troupes font enfoncées; il les rallie. De nouveaux ennemis fuccedent à ceux qu'il a terraflés; & ses soldats s'épuifent. Il vole à Henri IV & demande un renfort. Mon ami, lui dit le Roi, je n'en ai pas à vous donner, mais il ne faut pas perdre courage.

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SULLY revole à fes troupes; il leur annonce un prompt fecours. Il ne les trompoit pas : fa valeur; fon intrépidité, fon zèle pour l'Etat, fon mépris pour la mort, fon enthousiasme pour fon Roi, toutes fes vertus enflammées & agrandies par le danger de Henri IV, voilà le fecours qu'il leur apporte. Ces sentimens passent de fon ame dans tous les cœurs; les blessés ne voient plus leur fang qui coule; les mourans se raniment; les bras fe multiplient; la nature a doublé fes forces; & SULLY vainqueur affure la victoire de Henri IV.

Paris eft affiégé. SULLY emporte un des Fauxbourgs & va femer la terreur jufque dans l'enceinte de la vil le. Il fait lever le fiége de Meulan. Il défend contre une armée, une place fans murailles. Cependant les Espagnols fe font joints aux Ligueurs. Mayenne avec d'Egmont marche contre Henri. Une bataille va décider du fort de la France (1 1). Plaines d'Ivri, théâtre de gloire & de carnage, vous vîtes SULLY combattre avec intrépidité, jusqu'au moment où renverfé, foulé aux pieds des chevaux, & percé de sept bleffures, il demeura fans cafque & fans armes, évanoui & abandonné fur le champ de bataille. Ce fut au fortir de ce combat, que Henri, penché fur fes bleffures, lui donna devant toute fon armée, titre de brave & de franc Chevalier. Ce titre n'étoit pas de ceux qui décorent la vanité : c'étoit le titre des Héros. Nobles François, ce titre étoit celui de

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vos ancêtres l'auriez-vous oublié? On l'achetoit par le fang, on le foutenoit par les vertus ; nonçoit l'honneur, & ne le fuppléoit jamais. SULLY le méritoit fans doute. Il apprend que fon Roi forme un fecond fiége de Paris; il s'y fait traîner. Ses pas chancelans ne peuvent encore le foutenir dans les combats; fon bras en écharpe ne peut manier l'épée; mais fa tête peut fervir fon Prince: fa voix peut enflammer les troupes. La vue même de ses bleffures fera le signal du combat & l'exemple du courage. Bientôt fon bras feconde sa valeur (12). Il prend Gifors; il vole au fiége de Chartres, & peu s'en faut qu'il n'y périffe. Il concerte un projet pour faire tomber Mayenne entre fes mains; mais l'ardeur indomptable de Henri fauve le Chef de la Ligue. Au fiége de Rouen (13), il brigue l'honneur de diriger une batterie: mais déja l'envie lui difpute la gloire de fervir l'État. On ne lui enlèvera pas du moins celle de verfer fon fang à côté de fon Maître. Le Duc de Parme étoit rentré pour la feconde fois en France (14). Le Roi, qui ne comptoit jamais les troupes, marche vers lui. A la tête de cent hommes, il ofe en affronter trente mille; action étonnante, & qui, pour être crue, a besoin du nom de Henri IV. SULLY combat comme les Spartiates aux Thermopiles. Soixante de ses compagnons périffent à fes côtés; & fon bras avec quarante hommes foutient le deftin de la France contre une armée.

par

La nature qui varie des combinaisons infinies les facultés intellectuelles de l'homme, comme les propriétés des êtres phyfiques, avoit donné à SULLY le goût des fiéges, & les talens pour l'attaque & la défense des Places. Entraîné par cette impulfion de la nature, il avoit approfondi l'art du Génie; art utile & terrible, qui conferve & qui détruit, qu'on admire & qu'on redoute. Cet art étoit encore loin d'être perfectionné ; & l'Europe attendoit Vauban (15); mais SULLY dans cette partie même eut la gloire qui caractérise le plus un grand Homme, celle de devancer fon fiècle. Au fiége de Dreux fes ennemis ofent infulter à fes mefures: fon fuccès le venge (16). Il contribue à la prise de Laon. Ce fut là qu'il combattit pour la dernière fois contre les François. En entrant dans cette Place, il eût volontiers brisé fon épée, instrument fatal des guerres civiles: mais il espéroit la laver dans un fang ennemi, & qui lui coutât moins de larmes. Henri a déclaré la guerre aux Espagnols. SULLY eft appellé au fiége de la Fère. Il le dirige par fes confeils; il y pourvoit à la fubfiftance des troupes. Devant Amiens, il n'eft pas moins utile à fon Roi, Amiens dont la perte avoit presque ébranlé le Trône de Henri IV. La paix de Vervins termine enfin tant de secouffes: mais bientôt la guerre se rallume aux pieds des Alpes. Le Duc de Savoie, qui avoit tout l'artifice d'une Puiffance foible, attire fur lui les armes du vain

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