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Hommes de génie, de quelque pays que vous foyez, voilà votre fort. Les malheurs, les perfécutions, les injustices, le mépris des Cours, l'indifférence du Peuple, les calomnies de vos rivaux, ou de ceux qui croiront l'être, l'indigence, l'exil, & peut-être une mort obfcure à cinq cent lieues de votre patrie, voilà ce que je vous annonce. Faut-il que pour cela vous renonciez à éclairer les hommes ? Non, fans doute; & quand vous le voudriez, en êtesvous les maîtres? Etes-vous les maîtres de dompter votre génie, & de réfifter à cette impulfion rapide & terrible qu'il vous donne? N'êtes-vous pas nés pour penfer, comme le Soleil pour répandre fa lumière? N'avez-vous pas reçu, comme lui, votre mouvement? N'êtes-vous pas une des plus nobles parties de la conftitution de cet Univers? Obéissez donc à la loi qui vous domine, & gardez-vous de vous croire infortunés. Que font tous vos ennemis auprès de la vérité? Elle est éternelle, & le refte paffe. La vérité fait votre récompenfe; elle eft l'aliment de votre génie; elle eft le foutien de vos travaux. Des milliers d'hommes, ou infenfés, ou indifférens, ou barbares, vous perfécutent ou vous méprifent; mais dans le même temps il y a des ames fublimes avec qui les vôtres correfpondent d'un bout de la terre à l'autre. Songez que ces ames fouffrent & penfent avec vous. Songez que les Socrates & les Platons morts il y a deux mille ans, font vos

amis. Songez que dans les fiècles à venir il y aura d'autres ames qui vous entendront de même, & que leurs penfées feront les vôtres. Vous ne formez qu'un peuple & qu'une famille avec tous les grands Homnies qui furent autrefois ou qui feront un jour. Voulez-vous renoncer à ce grand héritage? Voulez-vous que cette race immortelle & divine s'éteigne en vous? Votre fort n'eft pas d'exifter dans un point de l'efface ou de la durée, comme la foule des êtres. Vivez pour tous les pays & pour tous les fiècles. Etendez votre vie fur celle du genre humain. Portez vos idées encore plus haut: ne voyez-vous point le rapport qui eft

entre Dieu & votre ame? Prenez devant lui cette noble assurance qui sied si bien à un ami de la vérité. Quoi! Dieu vous voit, vous entend, vous approuve, & vous feriez malheureux! Enfin, s'il vous faut le témoignage des hommes, j'ofe encore vous le promettre, non point foible & incertain, comme il l'eft pendant ce rapide inftant de la vie, mais univerfel & durable, pendant la vie des siècles. Voyez la poftérité qui s'avance, & qui dit à chacun de vous: Mon fils, effuie tes larmes; je viens te rendre juftice, & finir tes maux. C'eft moi qui fais la vie des grands Hommes. C'est moi qui ai vengé DESCARTES de ceux qui l'outrageoient. C'est moi qui, du milieu des rochers & des glaces, ai tranfporté fes cendres dans Paris. C'est

moi qui flétris les calomniateurs, & anéantis les hommes qui abusent de leur pouvoir. C'est moi qui regarde avec mépris ces maufolées élevés dans plufieurs Temples à des hommes qui n'ont été que puiffans, & qui honore comme facrée la pierre brute qui couvre la cendre de l'homme de génie. O mon fils! fouviens-toi que ton ame eft immortelle, & que ton nom le fera. Le temps fuit, les momens fe fuccèdent, le fonge de la vie s'écoule. Attends, & tu vas vivre ; & tu pardonneras à ton fiècle fes injuftices, aux oppreffeurs leur cruauté, à la nature de t'avoir choisi pour inftruire & pour éclairer les hommes.

FIN.

NOTES

SUR L'ÉLOGE DE DESCARTES.

PAge 6, (1) Comme le but principal de ce difcours eft de faire

connoître la marche de l'efprit humain dans les fciences & dans l'étude de la nature, on a cru qu'il ne feroit pas inutile de tracer ici un tableau court & rapide des opinions & des erreurs qui avant Defcartes s'étoient élevées & écroulées fucceffivement. On verra par quels efforts l'efprit humain parvient à quelques connoiffances; on verra combien il eft fujet à s'égarer dans les fyftemes; quelles font les premières idées qui fe font préfentées aux hommes; comment ces idées fe font perfectionnées peu-à-peu ; quels font les fiècles dans lefquels la philofophie a fait quelques pas; quels font ceux où elle s'eft arrêtée. On fera même en état de mieux juger Defcartes. Pour le bien voir, il faut le placer entre tous les Philofophes qui l'ont précédé, & tous ceux qui l'ont fuivi. C'est le moyen de connoître ce qu'il tient des uns, & ce que les autres tiennent de lui: ainfi on pourra mesurer le chemin qu'un feul homme a fait faire à tous les autres hommes. La philofophie née de nos befoins & de l'activité de ce principe qui nous tourmente & nous anime, eft prefque autfi ancienne que le monde. Dès que l'homme vit luire des aftres fur la tête, & fentit autour de lui la nature, il fortit de lui-même, il voulut voir & observer. Dès ce moment des perfonnes choifies renoncèrent à toutes les paflions. pour celle de connoître. L'Egypte eut fes Prêtres philofophes, la Perfe fes Mages, l'Inde & l'Ethiopie fes Gymnofophiftes, l'Affyrie fes Chaldéens. Les Scythes vertueux & barbares & les Celtes fauvages curent, comme les Orientaux, des Prêtres de la nature qui cherchoient la philofophie dans les forêts & fur les montagnes. Ceux qui étoient nés fous un ciel ferein, portèrent leurs premiers regards vers les cieux. Babylone & la Lybie eurent des obfervations aftrono miques. Les Difciples d'Atlas découvrent par les phafes de la Lune, le principe de fa lumière. On partage le temps, & l'on règle l'année fur le cours du Soleil. La Géométrie naît fur les bords du Nil. L'Inde & la Perfe deviennent auffi le berceau des connoiffances. L'homme porte fes regards autour de lui. Il commence à diftinguer les propriétés des corps, & jette les fondemens de l'Hiftoire naturelle. Mais. dans ces premiers âges la philofophie eft encore barbare. L'efprit humain dans fon enfance, n'ayant pas eu le temps de raffembler des forces, n'eft qu'ambitieux & foible; il s'élance, il retombe, & cha

que effort eft fuivi d'une chute, Les hommes tirèrent leurs premières opinions de leurs fens. Ce qui exiftoit, avoit dû éternellement exifter. Rien de tout ce que l'homme voit, ne lui donne l'idée, ni de créa tion, ni d'anéantiflement. On n'admit donc qu'une feule fubftance éternelle & infinie, indivifible, quoique divifée, dont le fond étoit immuable, mais qui avoit des modifications paffagères. La partie la plus pure formoit l'Etre fuprême les corps céleftes & les génies étoient la feconde émanation de cette effence: enfin la lie de la matière avoit formé les corps & le globe que nous habitons. Tout fe déploie dans la nature par un enchaînement néceffaire de causes & d'effets. La terre enfevelie fous les eaux, maffe informe & bourbeafe, pénétrée par le Soleil, & agitée par les fecouffes de l'air, fe découvre, devient féconde, développe fes germes, & produic des maffes organiques. Mais la terre s'épuife & fe confume. Elle éprou ve des révolutions & des embrafemens. Tout le déboite & redevient chaos. Là finit la grande année du monde, qui doit être fuivie d'une renaiffance générale de l'univers. Telle étoit la philofophie des Orientaux, adoptée en partie par les Egyptiens, gravée en hiéroglyphes fur des colonnes, ou dépofée dans les Temples fous la garde des Dieux. Bientôt par des voyages favans elle eft portée de l'Egypte dans la Grèce. Thalès le premier a l'efprit de fystème, & rassemble en un corps toutes les connoiffances ifolées. Il avoit lu dans les cieux; il avoit perfectionné la géométrie; il ofa entreprendre d'expliquer la nature époque à la fois de grandeur & de foibleffe dans l'efprit humain. Il commence par donner à la matière la force de s'arranger elle-même. Il y répand une ame invifible & active qui organife fes moindres parties. Il admet l'eau pour principe univerfel. Cet élément eft la fource de la fécondité, & la bafe de tous les corps. La Secte Ionique foutient, altère ou modifie les fentimens de fon Maître. L'univers eft l'infini; tout en vient & tout s'y replonge. Cet infini eft immuable & tout. Les êtres créés n'agiffent point. L'ordre éternel ne fait que fe développer; & chaque être eft entraîné par le mouvement général. L'eau, l'air, le feu, la terre font tour à tour admis comme fouverains de la nature, & quelquefois tous quatre enfemble. Sous Anaxagore la philofophie entrevoit une intelligence fuprême. Plus de hafard ni de fatalité aveugle. La matière eft partagée par Dieu même en des millions de particules, élémens inaltérables des corps, & femblables aux corps mêmes qu'ils doivent former. Ces parties fimilaires, mais divifées, tendent à fe rejoindre pour former les différens êtres dont elles font les principes. Tandis que Thalès éclaire l'Ionie, Pythagore porte dans l'Occident les lumières de l'Inde & de la Perfe. Il enfeigne le vrai fyftème de Punivers. Les hommes étonnés apprennent que le Soleil eft immobile, que la terre tourne, que les étoiles fixes font autant de Soleils difperfés dans l'efpace, & éclairant chacun un monde. Une harmonic

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