Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Convulsionnaires de Saint-Médard. La charité de Beaumont.

1746-1781

66

Au Conclave, pour la nomination du souverainpontife, en 1721, à la mort de Clément XI, le cardinal de Gèvres avait pour conclaviste un joli jeune homme, d'une vingtaine d'années, qui était modeste comme un ange, et qui mangeait comme un diable; curieux d'antiquités, il courait perpétuellement dans la ville et la campagne de Rome.

"

Il se nommait l'abbé de Beaumont.... ”

"

Quand Beaumont, archevêque de Vienne, fut, à quarante-trois ans, nommé archevêque de Paris, un journal janséniste imprima que cette élévation était contre toute attente. C'était certainement contre l'attente

de Beaumont, et peut-être contre celle du gazetier; car la réputation de l'archevêque était connue.

On compterait les lois qui ont été faites en France depuis 1789, plutôt qu'on ne supputerait le nombre des ennemis de Christophe de Beaumont; c'était au point que si les adversaires de l'archevêque de Paris, s'étaient, au XVIIIe siècle, réunis aux portes de la capitale, on eût pu croire qu'un investissement commençait ; mais après avoir compté les ennemis de M. l'archevêque de Beaumont, on les recompterait, plutôt qu'on n'additionnerait, les pamphlets et les libelles qui, contre lui, furent publiés pendant trente ans.

L'hérésie janséniste qui se mourait, la philosophie qui florissait, l'esprit révolutionnaire qui couvait encore, se réunirent pour combattre ce prélat de pure doctrine, cet éloquent catholique, cet homme d'autorité et de devoir. Beaumont accepta franchement la lutte, batailla sans relâche, pied à pied résista. Il y avait longtemps que la devise de sa famille était ce vers d'Horace Impavidum ferient ruinæ ; mais il était réservé à Beaumont l'archevêque, de lui donner application entière et d'en faire la règle de sa vie.

Il avait en lui le sang de cet Amblard de Beaumont, l'un des plus fameux légistes de son temps, et celui du baron des Adrets, le plus terrible capitaine du sien. L'archevêque tenait de l'un et de l'autre ! Dans la ville du monde la plus passionnée, et qui pour les choses de l'esprit donnait des lois à l'univers, en face du XVIIIe siè

cle, de ses haines, de ses folies, de ses doctrines, il se posa seul, comme l'Apôtre, et lui tint tête.

Jamais plus grand prélat n'est monté sur le trône épiscopal de saint Denis, de Gozlin, de Sully.

Loin de lui, les ambitions mesquines de Retz qui pensait se couvrir de gloire en se couvrant de dettes, ou les flatteries gagées de Harlay; les pompes extérieures, les droits temporels recherchés de ces magnifiques évêques du moyen âge n'avaient pas de quoi l'attirer; et tandis et tandis que les biens de la terre et les choses d'ici-bas ne le pouvaient point tenter, les attaques, les injures, les tristesses dont on l'abreuvait, ne le savaient point abattre.

Il avait ce ferme vouloir, qui décide toujours ce qui est, ou force ce qui est à devenir ce qu'il a décidé ; une grande volonté, énergique, et, si l'on ose ainsi parler, une énergie acre, était d'ailleurs le principal caractère de sa physionomie; pour le reste, il avait l'oeil trèsperçant et même méchant, la figure carrée du bas, les lèvres pincées, plutôt laid que beau, et peu de noblesse dans le visage, mais un reflet de génie.

En saisissant d'une main ferme les rênes du gouvernement du diocèse, Beaumont se proposa de ramener à l'unité ceux que la faiblesse ou la prévention avait jetés dans les rangs du parti janséniste; il usa de l'autorité pour remédier aux abus, mais en même temps donna lui-même l'exemple de l'attachement aux règles et de l'intrépidité. Dans les moments de danger, son

clergé le vit toujours à sa tête, s'exposant lui-même aux coups, pour protéger ses coopérateurs.

Il y avait longtemps que l'hérésie ne hantait plus seulement les cerveaux de quelques théologiens, et était descendu des solitudes de Port-Royal dans les quartiers de Paris les plus populeux. Le diacre Pâris mort en odeur de jansénisme, enterré au cimetière SaintMédard, avait donné lieu aux scènes dont le cimetière porte le nom, et dont deux plaisants vers: De par le roi, etc., sont demeurés l'épitaphe.

Les désordres excités selon l'usage, par une répression insuffisante, avaient pour théâtre les alentours du cimetière.

Une convulsionnaire récite le De profundis en français, avec une piété affectueuse, mais avant que de le réciter, elle veut qu'on lui mette la tête en bas, les pieds en haut, et le corps en l'air, ce qui représente, déclare-t-elle gravement, que tout est renversé dans l'Eglise.

Une autre fait ses prières en tirant la langue comme une possédée, quelques-unes parlent comme si les lèvres, la langue, tous les organes de la prononciation avaient été remués par une force étrangère. Quelques-uns entendent sortir de leurs poumons, une voix autre que la leur. Ils se comparent à une personne qui ne dicte que ce qu'elle entend dicter.

Tout ceci n'est que le prélude des Grands secours, ce summum des inventions démoniaques. Plusieurs se

font attacher sur des croix de bois par des cordes, et quelques-uns par d'immenses clous de fer.

On voyait une nommée Sonnet, dite la Salamandre, se coucher et rester étendue au travers d'un brasier ardent.

La même se mettait en arc renversé, les pieds et la tête posant à terre, et les reins soutenus en l'air par un pieu des plus aigus. Puis, au moyen d'une poulie, on laissait tomber à plusieurs reprises sur son estomac, et du plafond de l'appartement, une pierre pesant cinquante livres, ses reins portant toujours sur la pointe. La peau ni la chair n'ont jamais reçu la moindre atteinte.

Une jeune fille de vingt-deux ans, étant appuyée contre la muraille, un homme des plus robustes prenait un chenet pesant, dit-on, de vingt-cinq à trente livres, et lui en déchargeait de toute sa force plusieurs coups toujours dans le ventre; on en a compté quelquefois jusqu'à cent et plus. Un frère lui en ayant donné un jour soixante, essaya contre un mur et on assure qu'au vingt-cinquième coup, il y fit une ouverture. « Ce fut en vain, dit Carré de Montgeron, que j'employais tout ce que je pouvais rassembler de forces.... La convulsionnaire se plaignit que mes coups ne lui procuraient aucun soulagement, et m'obligea de remettre le chenet entre les mains d'un grand homme, fort vigoureux, qui se trouvait parmi les spectateurs. Celui-ci ne ménagea rien. Instruit par l'épreuve que je venais de faire,

« PreviousContinue »