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Maury donna au XVIII° siècle le spectacle de la plus noble résistance et au XIXe le spectacle de la plus déplorable trahison. Ce grand homme, une des gloires de la France moderne, ne fut pas même enterré sur un sol français.

Figure intéressante, d'une galerie où elles ne sont pas rares, on peut étudier en lui les grandeurs du désir humain et aussi ses faiblesses et aussi ses lâchetés. La Providence, dans ses impénétrables desseins, punit ainsi la mémoire de ces ambitieux à outrance, par ce qu'on peut justement appeler la dégradation historique.

CHAPITRE XV

ALEXANDRE-ANGÉLIQUE DE TALLEYRAND-PÉRIGORD

Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims. Prélat grand seigneur. Pasteur homine de cour. L'ami de Louis XVIII. Grand-aumônier à Altona. Les idées gallicanes. Sa rentrée en France.

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vêque nominal de Paris.

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Arche.

1817-1821

Caractère très-froid, très-simple, très-doux et trèsentier, M. de Talleyrand était peut-être l'homme de France le moins fait pour vivre en temps de révolution. Etranger au mouvement des esprits jusqu'en 1789, le bouleversement qui s'opéra sous ses yeux le surprit comme un coup de foudre, mais sans l'ébranler.

Premier pair ecclésiastique comme archevêque-duc de Reims, il lui appartenait de prendre la parole au nom de son ordre. Il protesta dans l'Assemblée constituante contre la constitution civile du clergé; quand la position ne lui parut plus tenable, il se rendit à

Aix-la-Chapelle, d'où il continua à envoyer à Versailles ses protestations sous pli cacheté, et à gouverner son diocèse de Reims par correspondance. Il pensait quitter la France pour quinze jours, il n'y rentra qu'au bout de vingt-cinq ans. Semblable à un homme qui chercherait un abri passager pour un orage d'une heure, et qui verrait le déluge submerger le monde, M. l'archevêque de Reims regardait le ciel avec sérénité et attendait depuis un quart de siècle la fin de la tempête.

En 1801, il avait été du petit nombre des évêques qui malgré les exhortations du pape, persistèrent à ne pas donner leur démission. Il lui parut exorbitant qu'un concordat fût signé par le successeur des Apôtres avec un gouvernement insurrectionnel.

Ce fut sous l'empire de ces sentiments que M. de Talleyrand rentra à Paris; il s'attendait à trouver toutes choses pêle-mêle, et à voir régner une confusion universelle: il lui parut presque anormal que le culte s'exerçât librement en France, et que les sacrements fussent ostensiblement administrés à des catholiques aussi fervents que sous l'ancien régime.

Alexandre-Angélique était fils du marquis de Talleyrand et de la marquise, née Chamillard. Sa grand'mère avait été mariée en premières noces avec le marquis de Chamillard, en secondes, avec le prince de Chalais. Elle avait marié sa fille du premier lit avec le marquis de Talleyrand et sa fille du second lit

avec le comte de Périgord, fils du marquis de Talleyrand. L'une des deux sœurs utérines devint donc la belle-mère de l'autre, et le comte de Périgord était à la fois le fils et le beau-frère du marquis de Talleyrand.

Ç'avait été un jeune homme mûr de bonne heure que M. de Talleyrand, et le roi Louis XV l'avait distingué. Aumônier du roi, au sortir du séminaire, il n'avait pas trente ans quand M. de la Roche-Aymon le demanda pour coadjuteur à Reims. Sa physionomie tendre et douce le rendait aisément sympathique; sa constitution frèle excitait l'intérêt.

Ah! disait-on à Reims, nous ne le conserverons pas encore un an.

Et le prélat dont il était le coadjuteur, le recommandait à son clergé en ces termes :

Ne cessez point, mes chers collaborateurs, de prier pour le vénérable archevêque que la miséricorde divine nous a donné pour nous aider dans l'exercice de notre ministère.

Au moral, sage et vertueux, il n'eut rien de l'attitude des prélats de cour, et il ne tint pas à lui de préserver son neveu Charles-Maurice de Talleyrand, le fameux diplomate, des écarts de sa première jeunesse. Amoureux de la ligne droite, animé d'un grand esprit de suite, il apportait dans sa charge pastorale la même régularité que dans la vie privée. Au physique, on ne savait lequel des deux il était le plus et le mieux, prélat

ou grand seigneur; le tact, cette modération exquise dans les manières, ce grand air, cette simplicité hautaine, cette politesse évangélique, étaient répandus naturellement dans toutes ses conversations. Courtisan religieux, pasteur homme de cour, il portait en lui et au plus haut point le mélange d'un successeur de saint Remy, combiné avec un gentilhomme de la cour de Louis XV.

On lit à son sujet dans les procès-verbaux de l'Assemblée du clergé de 1770, cette phrase, pleine d'éloges: La considération distinguée qu'il s'est déjà acquise, son mérite, les qualités aimables qui forment son caractère, sa douceur et cette politesse si naturelle qui lui gagnent tous les cœurs et ajoutent un nouveau lustre à sa naissance, feraient penser que les témoignages publics d'estime et d'affection qui lui sont décernés, mériteraient d'être un jour cités comme un exemple dans les fastes de l'Eglise gallicane. >>

Dans son diocèse, l'archevêque ne s'occupait pas seulement de l'amélioration morale de ses peuples. Il obtint du roi d'Espagne Charles III un troupeau de moutons mérinos, et donna ainsi une grande finesse aux laines de Reims; il fonda avec l'aide de quelques maisons de commerce, une espèce de mont-de-piété dont les prêts étaient gratuits; pour faire adopter par les paysans la couverture en tuile, et la substituer au chaume qui avait l'inconvénient de favoriser les incendies, il s'engageait à payer la différence du prix du

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