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voir la liberté de penser précéder dans quelques pays la liberté des cultes. L'Angleterre a donné pendant longtemps, et donne encore à quelques égards, cet étrange spectacle, d'imposer la forme d'une croyance, en reconnaissant qu'on n'a pas le droit d'imposer la croyance

même.

C'est que, si la logique va du simple au composé, l'histoire va du composé au simple, et quelquefois de la conséquence au principe, ou du moins de la conséquence à l'intelligence du principe. Au fond, la liberté religieuse et la liberté scientifique sont deux formes différentes, et le plus souvent successives, d'une même chose; car il n'y a que la science

S 1. La liberté religieuse, première condition de la liberté de penser.

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1. De l'intolérance religieuse et de l'intolérance civile. 2. Les Romains ne connaissaient pas l'intolérance religieuse. La persécu tion du christianisme ne fut, à leurs yeux, que la répression d'une révolte. 3. L'intolérance religieuse est un caractère particulier à la religion égyptienne, à la religion juive et à la religion chrétienne. L'indépendance de toute nationalité, ou l'esprit de propagande, est un caractère particulier au christianisme. 4. L'intolérance religieuse devrait avoir pour conséquence la tolérance civile. 5. L'intolérance civile a deux sources: elle peut étre théologique ou politique.-6. L'intolérance théologique met l'État dans l'Église. - 7. L'intolérance politique met l'Église dans l'État. 8. Système mixte des concordats, à la fois théologique et politique. — 9. Accroissements de la liberté religieuse par la suppression de l'intolérance théologique. 10. Les restrictions subsistantes ont un caractère exclusivement politique. — 11. De la nature et des conditions de la liberté religieuse.

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1. De l'intolérance religieuse et de l'intolérance civile.

La liberté religieuse n'est pas le relâchement du dogme et de la discipline dans l'intérieur d'une Église; c'est la séparation absolue du spirituel et du temporel.

On blesse également la liberté de conscience quand, ne faisant pas partie d'une Église, on entreprend de la réformer, ou quand, faisant partie d'une Église, on entreprend de contraindre les dissidents à y entrer.

Tout ce que les prêtres d'une Eglise décident, dans l'intérieur de cette Église, en matière de dogme et de discipline, est étranger à l'autorité temporelle, qui ne peut intervenir que quand ses propres lois sont violées. Une

Église doit être parfaitement libre d'imposer ses conditions à ceux qui demandent sa communion; et comme elle repose, par définition, sur la parole de Dieu qui ne peut se tromper, c'est une inconséquence de lui reprocher l'immutabilité de son dogme et l'inflexibilité de ses lois.

La doctrine de l'Église catholique est exprimée dans l'Évangile, résumée dans le symbole, commentée par les conciles et par les Pères; les fidèles sont tenus de l'accepter tout entière dans sa forme littérale, sans rien ajouter ni retrancher; ils n'ont pas le même droit d'interprétation, ce droit n'appartenant qu'à l'Église universelle, dont les décisions doivent être reçues par toute la chrétienté avec une foi d'enfant.

La discipline n'est pas moins immuable que le dogme. Elle est fondée, d'une part, sur les commandements de Dieu, qui résument la morale universelle, de l'autre sur les commandements de l'Église. La liturgie elle-même est minutieusement réglée, sévèrement imposée. Toute nouveauté dans la foi, toute irrégularité grave dans la discipline, met le coupable hors de l'Église jusqu'à ce qu'il ait obtenu sa réconciliation. Comme par la clarté de la révélation, et par l'autorité toujours présente de l'Église, aucune erreur involontaire n'est possible, l'Église ne tolère ni dissidence dans la foi, ni écart dans la règle. Cette inflexibilité est la conséquence légitime du dogme de la révélation. L'Église, en l'exerçant, est dans son droit et dans la logique. Je suis libre de ne pas être catholique, et l'Église est libre de dire à quelle condition je pourrais l'être.

Mais si, contractant une alliance avec le pouvoir civil, elle transforme en délit punissable par des peines temporelles, la négation de ses doctrines, la désobéissance à ses lois; en un mot, si au lieu de définir les conditions du catholicisme pour ceux qui veulent hien être catholiques, elle impose la profession extérieure du catholicisme

à ceux qui rejettent la révélation, alors, loin d'exercer le droit, elle le viole; elle en devient l'ennemie, car elle attente à la liberté humaine. Telle est la différence entre l'intolérance religieuse et l'intolérance civile, la première, légitime, la seconde, criminelle.

On peut définir ainsi les deux sortes d'intolérance: L'intolérance religieuse consiste dans le soin jaloux avec lequel les chefs d'une Église maintiennent dans son sein l'intégrité du dogme et de la discipline. Cette intolérance n'a pas d'autre sanction que l'excommunication prononcée par l'Église elle-même.

L'intolérance civile a pour caractère l'immixtion du pouvoir temporel dans les affaires spirituelles, soit pour contraindre ceux qui ne sont pas dans une Église à y entrer, soit pour contraindre les fidèles à persévérer dans la foi et dans l'obéissance aux commandements ecclésiastiques.

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et d

2. Les Romains ne connaissaient pas l'intolérance religieuse. La persécution du christianisme ne fut, à leurs yeux, que la répression d'une révolte.

La religion chez les anciens était surtout une institution politique : le menu peuple était seul à prendre au sérieux l'existence des divinités mythologiques; les classes éclairées en jugeaient comme nous pouvons le faire nous-mêmes1. L'État ne laissait pas d'entretenir chèrement les temples et les pontifes, et d'obliger, par des lois, les citoyens à un respect de commande pour les cérémonies du culte. Non-seulement on les considérait comme un moyen de gouvernement 2, mais on attachait à ces fables et à ces cérémonies, dont il ne fallait pas presser

1. Cicéron, De la divination, 2o partie, chap. I et Iv, trad. de M. J. V. Le Clerc, te XXVI, p. 169 sq. Cr. Id., ib., chap. x, p. 185, 187. 2. Je trouve cette différence entre les législateurs romains et ceux des

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le sens littéral, une vague idée de religion et de piété. A Rome, c'était la patrie elle-même, la forme de la civîlisation romaine, qu'on honorait sous le nom de Romulus et de Vesta :

Di patrii indigetes....

Les Romains portaient dans tout l'univers leurs dieux, leurs lois, leurs mœurs, propagande politique plutôt que religieuse, religieuse en apparence, mais profondément politique en réalité; ils acceptaient à leur tour les dieux des vaincus. Cette alliance entre les dieux n'était que le symbole du rapprochement des peuples. Les Romains se souciaient peu de théologie et de philosophie; toute leur doctrine était dans leurs codes.

3. L'intolérance religieuse est un caractère particulier à la religion juive, à la religion égyptienne et à la religion chrétienne. L'indépendance de toute nationalité, ou l'esprit de propagande est un caractère particulier au christianisme.

Au reste, les anciens n'avaient pas une idée nette de ce que nous appelons aujourd'hui une religion. Ceux qu'ils appelaient pieux croyaient à un dieu très-bon et très-grand, à des peines et à des récompenses futures : c'était là tout le fond de leur théologie. Les récits des poëtes, les temples, les sacrifices, acceptés comme symboles, laissaient l'Olympe toujours ouvert pour toutes les théogonies futures. Le christianisme, entre autres

autres peuples, que les premiers firent la religion pour l'État, et les autres, l'État pour la religion.

Quand les législateurs romains établirent la religion, ils ne pensèrent point à la réformation des mœurs, ni à donner des principes de morale. Ils n'eurent d'abord qu'une vue générale, qui était d'inspirer à un peuple qui ne craignait rien, la crainte des dieux, et de se servir de cette crainte pour le mener à leur fantaisie. » (Montesquieu, Dissertation sur la politique des Romains dans la religion, éd. Lahure, t. II, p. 116.)

1. Comme le dogme de l'immortalité de l'âme était presque univer

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