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les ennemis de l'homme. L'échange des idées et des sen- de i timents n'est pas seulement le fondement de la société, il n en est la douceur et le charme; il est le plus fort lien de la fraternité humaine. L'obligation du silence en matière le de foi religieuse est tellement contre le droit et la nature, qu'elle semble un attentat contre la vérité elle-même. C'est pour flétrir ce genre inouï d'oppression que JésusChrist a dit: Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'àme1.»

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Pour comprendre et pour sentir combien le droit d'enseigner est essentiel à la liberté religieuse, il faut avoir une foi, et se transporter par la pensée dans un pays cette foi est proscrite. Si vous êtes chrétien, ouvrez l'histoire de 1793, et voyez le christianisme aboli, les églises profanées, les prêtres traqués, les calvaires abattus, les vases sacrés monnayés, les ornements divins traînés dans la boue; ce spectacle, ces souvenirs vous enseigneront la liberté. Vous suffira-t-il, au sortir de cette oppression, de pouvoir faire le signe de la croix sans craindre l'échafaud? d'avoir le droit d'assister à la messe dans une grange, en fermant toutes les portes, comme des malfaiteurs qui se cachent pour faire un mauvais coup? d'obtenir pour vos enfants la liberté de ne pas assister au prêche, et de se tenir à l'écart comme des excommuniés pendant les cérémonies du culte officiel? Non; ce que vous demanderez avec énergie, avec colère, c'est le droit d'éclater, le droit de répondre, le droit de prouver, le droit d'avoir raison à la face du ciel, le droit enfin d'être des hommes. La liberté religieuse ne se contente pas à moins. Réclamez-la pour vous; donnez-la au monde. Le droit n'est la propriété de personne. La loi suédoise qui condamne le missionnaire catholique à la mort civile, et la loi romaine qui condamne à l'emprisonnement un père

1. Ev. selon saint Matthieu, x, 28.

S

de famille coupable d'avoir lu la Bible à ses enfants, sont un égal attentat contre la liberté religieuse.

Nous avons vu que les objections qu'on élève contre la liberté religieuse sont désormais exclusivement politiques. On peut les ranger sous trois chefs.

Si l'État ne surveille pas les églises, il va s'élever un État dans l'État.

Si les Églises peuvent s'étendre ou s'établir sans autorisation, on va voir renaître les discordes civiles.

S'il suffit à une doctrine d'affecter un caractère religieux pour avoir droit de cité parmi nous, la morale et les lois vont être publiquement attaquées.

Il serait indigne d'hommes sérieux de se dissimuler la gravité de la première de ces trois objections. Elle tire surtout son importance de la constitution propre à l'Église catholique. Cette Église est immuable; son organisation et son esprit sont ceux de la monarchie absolue; elle impose le joug de l'autorité aux pensées, par son symbole et par la proscription formelle de toute nouveauté, aux actions et aux sentiments par ses commandements et par la confession auriculaire. Elle intervient, comme toute religion, dans les actes les plus importants de la vie; et elle y intervient, ce qui lui est particulier et ce qui est un grand instrument de prépondérance, par des sacrements. Sa force matérielle, en France, est représentée par plus de quarante-cinq mille prêtres, auxquels il faut ajouter au moins vingt-cinq mille personnes des deux sexes engagées dans la vie monastique, et un nombre égal d'affiliés aux congrégations, tiers ordres, etc. Ses richesses sont considérables, puisque, sans compter les biens de mainmorte, le produit des donations et des quêtes, le casuel pour baptêmes, mariages, enterrements, dispenses, les honoraires de messes, etc., elle reçoit de l'État un

A. I à Tim., VI, 20. — Aux Hébreux, XIII, 7, 9. II ép. de saint Pierre, 1, 19, 20. II ép. de saint Jean, 10, 11,

budget de quarante à quarante-cinq millions, plus la jouissance d'un nombre considérable d'édifices religieux. Il faut compter encore parmi les moyens d'influence du catholicisme, l'éclat de ses cérémonies, le célibat de ses prêtres, qui les oblige de concentrer toutes leurs forces au service de la cause commune, la hiérarchie savante qui attache tous les prêtres aux évêques, et tous les évêques au pape, chef irresponsable de l'Église, et souverain d'un État indépendant.

Mais toute cette force du catholicisme ne peut être invoquée que pour le maintien du concordat, et n'a rien à voir avec les lois sur l'autorisation préalable. Ces dernières lois pourraient être détruites sans augmenter en rien la prépondérance du catholicisme. Il est même évident que le résultat contraire aurait lieu, si l'abolition des lois restrictives donnait au protestantisme un accroissement d'influence.

L'argument qu'on peut tirer de la puissance exceptionnelle du catholicisme porte donc sur l'abolition du concordat, et non sur l'abolition de l'autorisation préalable. Le catholicisme est tellement répandu en France, qu'il n'y peut pas recevoir de nouveaux accroissements; de sorte que nos lois restrictives demeureraient sans application possible à son égard.

Quant au concordat, les catholiques ont à la rigueur le droit de le préférer à la liberté absolue. En fait, je crois qu'on peut dire qu'ils le préfèrent. Il est conforme au principe de la liberté, qu'une Eglise soit maîtresse de son sort. Selon moi, les catholiques perdent plus qu'ils ne gagnent par le maintien du concordat. Ils y gagnent les ressources du budget; ils y perdent le droit de recevoir directement, et sans l'intermédiaire et le contrôle d'un corps laïque, les décisions du chef de l'Église; le droit d'élire leurs évêques; enfin, le droit de posséder et d'acquérir librement.

L'intérêt des non catholiques dans cette même ques

DIS

tion (si l'on pouvait se régler par l'intérêt dans les matières de justice), c'est que les catholiques restent soumis au régime du concordat. En effet, s'ils étaient émancipés, libres d'élire leurs évêques, de créer et de gérer une fortune, de se rattacher au pape sans intermédiaire, leur nombre et les ressources dont ils disposent en feraient presque à coup sûr les maîtres de la France. Voilà le fait. Quelque évident qu'il soit à mes yeux, si les catholiques demandaient demain à être affranchis du concordat et du salaire (car l'un ne va pas sans l'autre), et qu'il dépendît de moi de leur accorder leur demande, je la leur accorderais sans hésiter une minute, tant la justice l'emporte sur l'intérêt. J'y mettrais pourtant cette condition: c'est que si la liberté de s'assembler, de s'associer, d'enseigner et de posséder était donnée aux catholiques, elle devrait être donnée en même temps, dans la même mesure, à tous les cultes et à tous les citoyens. Le droit ne peut jamais être exclusif, car alors il se transforme en privilége. La nature nous a donné à tous le droit d'enseigner. Si la loi n'accorde qu'aux seuls catholiques l'exercice de ce droit naturel, elle nous opprime doublement, en nous refusant ce qui nous appartient, et en l'accordant à d'autres à côté de nous; car elle nous oblige d'entendre, et elle ne nous permet pas de répondre. En même temps qu'elle étouffe le droit chez nous, elle le dégrade chez les catholiques, car ce qui était un droit se transforme pour eux en privilége. Pour rendre cette vérité plus sensible, je ne craindrai pas de recourir à la comparaison la plus humble. Je demande pour tout le monde l'abolition des douanes; mais tant qu'elles subsistent, on ne peut en affranchir une maison ou une compagnie, sans ruiner et sans opprimer les autres.

Je suis toujours prêt à me fier à la liberté, parce que, sous l'empire de la liberté, celui qui l'emporte doit sa victoire à une force qu'il porte en lui-même. Si le catholicisme, sans aucun secours de l'État, par la seule vertu de

la persuasion, triomphe de tous les autres cultes, où serale vaincu ? Comme nos ancêtres barbares qui ne craignaient rien, excepté la chute du ciel, les philosophes ne craignent non plus qu'une seule chose; et c'est de se tromper1.

que

a to

Si l'objection tirée de la formidable puissance du catholicisme ne nous arrête pas, à plus forte raison nous ne nous laisserons pas effrayer par les deux autres. Ce n'est pas que je pense, comme beaucoup d'honnêtes gens, ar le fanatisme religieux soit mort. On se hâte beaucoup trop de rejeter certaines erreurs grossières dans le passé, en et de proclamer la guérison définitive de l'esprit humain. Il me semble que le dernier siècle, le siècle de la philosophie, a eu son Mesmer et son Cagliostro; que le siècle même de Louis XIV, ce siècle catholique en toutes choses, a eu ses miracles jansenistes; nous-mêmes nous sommes, à l'heure qu'il est, hantés par je ne sais quels esprits; nous avons des voyants qui se glissent dans le meilleur monde; nous entendons raconter les miracles les plus étranges par des hommes dont l'esprit est assurément ouvert à toutes les lumières de l'époque; nous voyons des femmes condamnées au bannissement pour être allées à la messe, et des hommes condamnés à la reclusion n'apour voir pas voulu y aller. J'avoue en toute humilité et en toute tristesse ces témoignages persistants de l'extravagance humaine. Cependant, de bonne foi, les guerres la Ligue ne sont plus possibles, il n'y aura plus de SaintBarthélemy, on ne recommencera pas les tragédies de Ca las et de Labarre. Si notre siècle ne produit pas grands hommes que les siècles passés, ce que j'ignore, le peuple en masse est devenu plus éclairé et plus humain. Il n'est donc pas raisonnable d'évoquer ici des fantômes et de prendre si fort la liberté de conscience au tragique. Si les querelles religieuses produisent désormais quelque émotion, tout se passera en discussions écrites; le reste

1. Actes des apótres, v, 38, 39.

de

d'aussi

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