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de la question, les cessionnaires, remboursés par annuités, se trouveront expropriés.

Les droits de péage perçus sur les ponts, les canaux, dérivent du même principe.

Cinquante annuités à 5 0/0 libèrent complétement en capital et intérêts l'emprunteur au Crédit foncier, tandis que cent annuités à 10 0/0 n'allégeraient pas d'un centime le capital des autres emprunts.

L'auteur d'un petit livre sur le Crédit foncier, afin de faire comprendre aux paysans les avantages de la nouvelle institution, suppose un propriétaire obligé de recourir aux usuriers. Le malheureux emprunteur a besoin de 3,000 fr. pour cinq ans ; les intérêts sont de 7 0/0. Mais afin de rester dans le taux légal, on ne lui donne que 2,700 fr. contre une reconnaissance de 3,000. Le prêt dure vingt ans, et dans ce délai il y a trois cessions de créance. A ce sujet l'auteur établit le calcul suivant:

« L'emprunteur aura payé, au bout de vingt ans :

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« Et il devra encore les mille écus empruntés!» ajoute-t-il tout scandalisé.

Qu'il généralise donc sa pensée et qu'il dise:

«Le fermier payera trente ans, cinquante ans, le loyer de la terre, sans avoir, au bout de ce temps, la moindre copropriété du sol qu'il aura cultivé. Loin de là: toute plusvalue, fruit de son labeur, s'impute contre lui. Le prix de son fermage s'accroit, à chaque renouvellement, de l'intérêt du capital (engrais et main-d'œuvre) qu'il a affecté à l'amendement du fonds pendant le bail précédent. De génération en génération, le propriétaire perçoit sa rente, une rente de plus en plus élevée, sans se trouver le moins du monde dessaisi..

<< Il n'en est pas autrement pour le louage des maisons et des instruments de travail, pour les emprunts d'argent.

Ainsi l'État a bientôt payé en annuités trois fois le capital de sa dette sans l'avoir par là exonérée d'un centime. »

L'économie, qui a la prétention d'être une science positive, ne peut refuser d'admettre cette généralisation que le travail doit amortir tous les capitaux. Les concessions temporaires et les annuités imputées sur le capital n'auraient pas de raison d'être si elles devaient rester à l'état d'exception.

Au surplus, le capitaliste lui-même a renoncé de fait à la pérennité de l'intérêt. Des dividendes, des primes, et la rentrée dans ses fonds, voilà ce qu'il recherche; ce que nous répondions en 1848 à ceux qui nous demandaient ce que les capitalistes feraient de leurs capitaux quand ils ne les placeraient plus sur l'État ou sur hypothèque : l'énorme mouvement de valeurs dont la Bourse est le marché n'a pas d'autre cause.

Eh bien! qu'offre aujourd'hui à la spéculation avide, impatiente, l'amortissement, combiné avec la puissance de production qui peut résulter de la formation progressive des Sociétés ouvrières, des Compagnies de travailleurs?

Ce qu'il vous offre, ô spéculateurs à courte vue, ô hommes d'État pusillanimes, qui redoutez pour votre crédit l'encombrement des valeurs! c'est la faculté illimitée de créer de la richesse et d'en prendre votre part, comme cela a lieu dans la Société des Maçons, qui donne 13 fr. 33 c. 0/0 à ses fournisseurs commanditaires; c'est par conséquent la faculté pour chacun de vous de réaliser à volonté, sans avoir jamais à redouter de banqueroute, le capital, augmenté d'une part de produit net, qu'il aura engagé en quelque entreprise que ce soit!

Avec le travail pour hypothèque et l'annuité pour moyen, votre capital n'est plus sujet à dépréciation, votre propriété devient inviolable, vos placements et avances ne redoutent plus la consolidation, vos rentes n'ont rien à craindre de la conversion: il vous suffit, et le travailleur vous en sera reconnaissant, de faire valoir votre inépuisable hypothèque, le Travail. Inventez maintenant, faites des découvertes, construisez des machines, créez, avec de nouveaux besoins, de

nouveaux produits; formez des Compagnies, en nom collectif et anonymes; obtenez pour vos combinaisons heureuses, pour vos applications utiles, pour vos entreprises hardies, des. brevets et des priviléges, jetez vos actions sur la place; remuez des millions et des milliards, et soyez sans inquiétude. Toute valeur vraie qui aura été par vous constatée, démontrée par la théorie et l'expérience, le Travail vous l'escomptera.

Ainsi la création de ces innombrables Compagnies, qui semblent devoir asservir à tout jamais l'humanité travailleuse, et que tant de gens sont tentés de prendre pour un mouvement en arrière, n'est en dernière analyse qu'une transition régénératrice. C'est par elles que toute subalternisation de l'homme à l'homme doit disparaître, et que les classes que nous avons appelées supérieure et inférieure, nées de l'anarchie économique et de l'individualisme spéculatif, doivent revenir à l'homogénéité, et se résoudre dans une seule et même association de producteurs.

Le gouvernement actuel se flatte, comme ses prédécesseurs, d'avoir fermé l'ère des révolutions.

Pour ceux qui appellent de ce nom les agitations de la place publique, les harangues des tribuns, les manifestations populaires, les orages de la tribune, les luttes de la presse, nous dirons volontiers: C'est possible; et bien que nous ne voulussions pas en jurer, nous en acceptons avec joie l'heureuse espérance.

Mais si l'on entend par révolution la réforme progressive et sans fin des sociétés, la réduction des priviléges, le développement de l'égalité, nous répondrons hardiment: Non, la révolution n'a pas rétrogradé d'une seule ligne; il nous faudrait prendre le bonnet vert, et renoncer à notre qualité de Français, si elle rétrogradait.

Sans doute, en voyant l'abaissement moral des caractères, la couardise et l'hypocrisie des intérêts, le mépris de l'humanité dont ils font preuve, les excès auxquels ils dévouent le présent et l'avenir de la nation, il est pardonnable de croire à une rétrogradation, et de pleurer, avec certains

écrivains, trop préoccupés de la surface pour regarder au fond, sur notre décadence.

Décadence de caste, à la bonne heure! c'est le règne Louis XV des bourgeois. Cela durera bien autant que nous, disent-ils comme l'autre; et après, le déluge!...

Hélas! ils n'auront pas l'honneur de ce baptême in ex◄ tremis. Il y a, pour le moment, trop d'incapacité dans la classe moyenne, trop d'innocence encore dans le peuple. Qu'ils jouissent tranquilles, et transmettent à leurs légitimes héritiers leurs fortunes équivoques. Puissent-ils seulement, avant de mourir, apprendre que la base de toute Spéculation honnête et féconde est le Travail : nous ne leur souhaitons pour châtiment que ce remords!

FIN.

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