bétail et des lieues carrées, Napoléon avouait que la monarchie universelle était une chimère et que l'avenir appartenait aux nations on lit dans le Mémorial de Sainte-Hélène ces paroles remarquables « L'agglomération des peuples arrivera tôt ou tard, par la force des choses, et je ne pense pas qu'après ma chute et la disparition de mon système, il y ait en Europe d'autre grand équilibre possible que l'agglomération et la confédération des grands peuples (1). » C'est l'oraison funèbre de la monarchie universelle prononcée par celui qui aurait eu le plus de titres à la domination du monde, si Dieu permettait qu'elle appartînt à un homme. Sa chute, comme il le dit, est la condamnation de son système. Ce que Napoléon n'a pu faire, personne ne le fera, et s'il ne l'a point fait, c'est que la chose est impossible. Les nations sont de Dieu, il n'y a pas de puissance humaine qui les puisse détruire. Elles disparaissent parfois de la scène du monde, et on les dirait mortes; mais le jour de la résurrection arrive, et les morts sortent de leurs tombeaux. C'est ce mouvement qui fait la grandeur du dix-neuvième siècle. Napoléon a méconnu la tendance de l'humanité, tant qu'il a eu le pouvoir en main. C'est la cause de sa chute et en ce sens nous dirons qu'il ne fut pas le grand homme, le messie que l'on voudrait faire de lui; il est un de ces prophètes du passé, qui tentent de ramener le genre humain dans des voies qu'il a abandonnées. Mais il ne faut point pousser la sévérité jusqu'à l'injustice. Si Napoléon a été un homme de guerre, il a aussi été un conquérant civilisateur. Il n'oublia jamais, même dans ses plus criminelles entreprises, qu'il était le fils de la Révolution. Quand Napoléon fit son entrée à Madrid, il se présenta à l'Espagne, non comme un maître, mais comme un libérateur : « J'ai aboli, dit-il dans sa proclamation, ce tribunal d'inquisition contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient. Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent exercer aucune juridiction extérieure et corporelle sur les citoyens. J'ai supprimé les droits féodaux; chacun pourra établir des hôtelleries, des fours, des moulins, des pêcheries et donner un libre essor à son industrie. L'égoïsme, la richesse et (1) Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène. la prospérité d'un petit nombre d'hommes nuisaient plus à votre agriculture que les chaleurs de la canicule... Comme il n'y a qu'un Dieu, il ne doit y avoir dans un État qu'une justice. Toutes les justices particulières avaient été usurpées, et étaient contraires aux droits de la nation ; je les ai détruites... La génération présente pourra varier dans son opinion, trop de passions ont été mises en jeu; mais vos neveux me béniront comme votre régénérateur (1). >> Ce que Napoléon dit aux Espagnols, l'histoire le dit de l'Europe entière. Faut-il donc nous associer à ceux qui saluent le César français comme un sauveur? Son neveu et son héritier l'a appelé l'exécuteur testamentaire de la Révolution française. Il ne mérite pas ce titre à tous égards; et même en le prenant au pied de la lettre, il implique un rang inférieur. C'est la Révolution qui prend l'initiative, c'est elle qui lance le monde dans de nouvelles voies, c'est elle qui ouvre l'ère de la liberté et de l'égalité. L'empereur est la force mise au service des principes de 89, force souvent aveugle et infidèle à sa mission. Ce n'est pas la force qu'il faut glorifier, c'est la pensée. La pensée libre gouvernant le monde, tel sera le fruit de la Révolution. Il est dû à la philosophie et non au génie guerrier. (1) Correspondance de Napoléon, t. XVII, pag. 236. Comparez la lettre de Napoléon du 27 mars 1809 à Joseph: « La France, engagée en Espagne dans une guerre aussi cruelle, doit espérer au moins l'avantage de régénérer ce pays et de le rendre à des idées plus libérales. (Mémoires et Correspondance de Joseph, t. VI, pag. 90.) TABLE DES MATIÈRES LIVRE PREMIER LA RÉVOLUTION ET L'EUROPE CHAP. I. Universalité de la Révolution française § 2. La Révolution française et les révolutions d'Angleterre § 3. La France et la Révolution. CHAP. II. Cosmopolitisme de la Révolution. § 1. Liberté universelle No 1. Les constituants 40 |