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le pacte qui l'unissait au peuple français, notamment en levant des impôts, en établissant des taxes autrement qu'en vertu de la loi, contre la teneur expresse du serment qu'il avait prêté à son avénement au trône, conformément à l'article 53 de l'acte des constitutions du 28 floréal an XII;

Qu'il a commis cet attentat au droit du peuple, lors même qu'il venait d'ajourner, sans nécessité, le Corps législatif et de faire supprimer comme criminel un rapport de ce corps auquel il contestait son titre et sa part à la représentation nationale;

« Qu'il a entrepris une suite de guerres en violation de l'article 50 de l'acte des constitutions du 22 frimaire an VIII, qui veut que la déclaration de guerre soit proposée, discutée, décrétée et promulguée comme la loi;

« Qu'il a inconstitutionnellement rendu plusieurs décrets portant peine de mort, nommément les deux décrets du 5 mars dernier, tendant à faire considérer comme nationale une guerre qui n'avait lieu que dans l'intérêt de son ambition démesurée.

D

Qu'il a violé les lois constitutionnelles par ses décrets sur les prisons d'État ;

« Qu'il a anéanti la responsabilité des ministres, confondu tous les pouvoirs, et détruit l'indépendance des corps judiciaires;

• Considérant que la liberté de la presse, établie et consacrée comme l'un des droits de la nation, a été constamment soumise à la censure arbitraire de sa police et qu'en même temps il s'est toujours servi de la presse pour remplir la France et l'Europe de faits controuvés, de maximes fausses, de doctrines favorables au despotisme, et d'outrages contre les gouvernements étrangers;

Que des actes et rapports entendus par le Sénat ont subi des altérations dans la publication qui en a été faite ;

⚫ Considérant qu'au lieu de régner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français, aux termes de son serment, Napoléon a mis le comble aux malheurs de la patrie, par son refus de traiter à des conditions que l'intérêt national obligeait d'accepter, et qui ne compromettaient pas l'honneur français;

Par l'abus qu'il a fait de tous les moyens qu'on lui a confiés, en hommes et en argent ;

Par l'abandon des blessés sans pansements, sans secours, sans subsistances;

Par différentes mesures dont les suites étaient la ruine des villes, la dépopulation des campagnes, la famine et les maladies contagieuses;

Considérant que, par toutes ces causes, le gouvernement impérial établi par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII a cessé d'exister, et que le vœu manifeste de tous les Français appelle un ordre de choses dont le

premier résultat soit le rétablissement de la paix générale, et qui soit aussi l'époque d'une réconciliation solennelle entre tous les États de la grande famille européenne;

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Le Sénat déclare et décrète ce qui suit :

Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d'hérédité établi dans sa famille est aboli.

« Le peuple français et l'armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte.

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Après avoir adopté ce décret, le Sénat décida qu'il serait communiqué au gouvernement provisoire, expédié dans les départements, adressé aux armées. Ce décret légalisait, on peut le dire, le manifeste de M. de Chateaubriand, et généralisait la proclamation du conseil municipal de Paris. La situation marchait; si les paroles sévères que le sénateur Lambrechts avait mises dans la bouche du Sénat ne semblaient pas à leur place dans cette bouche toujours ouverte pour consentir ou pour flatter, elles n'en étaient pas moins dites. Elles circulaient dans Paris et dans toute la France. Le sceau du silence était brisé, et en entendant le Sénat impérial tenir lui-même un pareil langage, chacun sentait bien que c'en était fait de la puissance de Napoléon.

La logique de la situation et l'ascendant des circonstances avaient contraint M. de Talleyrand de marcher plus vite et de s'avancer plus loin qu'il n'aurait voulu. Quand le décret de déchéance eut été affiché sur tous les murs et vendu dans les rues par les crieurs publics, il comprit qu'il était opportun d'associer le Corps législatif à cet acte décisif. Il appréhendait sans doute l'indépendance de cette assemblée; plus nombreuse que le Sénat, moins facile à gouverner, elle avait prouvé dans les derniers temps de l'Empire qu'elle avait plus de jeunesse et plus de vie politique. Mais maintenant qu'on s'était engagé si loin, tout cédait au besoin de fortifier le mouvement des idées et des faits contre un retour des chances bonapartistes, et de

grouper autour de soi de nouvelles forces. En outre, le décret de déchéance reprochait à l'Empereur l'ajournement illégal du Corps législatif; il était done rationnel et l'on crut politique de lui demander son adhésion, à laquelle l'influence que lui avaient donnée sur l'opinion ses derniers actes d'indépendance prêtait de l'importance.

Un tiers à peu près des membres du Corps législatif se trouvaient à Paris. Déjà quelques députés favorables au retour de la maison de Bourbon s'étaient spontanément réunis. Le gouvernement provisoire invita tous les membres présents à se rassembler, nonobstant le décret impérial qui les avait ajournés, et le 3 avril, un tiers du Corps législatif prenait séance dans le lieu habituel de ses délibérations, sous la présidence de M. Falcon. Le décret du Sénat fut présenté à leur acceptation, et ils votèrent la déchéance en la motivant par ce seul considérant que « Napoléon Bonaparte avait violé le pacte constitutionnel. >>

Quelques membres entreprirent d'aller plus loin. Ils proposèrent de proclamer, séance tenante, le rétablissement de la monarchie légitime, et un membre, rappelant l'initiative prise par les communes d'Angleterre qui avaient envoyé à Bréda une députation pour inviter Charles II à remonter sur le trône, adjura l'assemblée de nommer une députation chargée de se rendre à Hartwell, avec un message analogue, auprès de Louis XVIII. On ne donna pas immédiatement suite à cette proposition qu'on regarda comme prématurée; il paraissait plus politique de ne pas compliquer la question de déchéance, en y mêlant une question de restauration. Le président se hâta de lever la séance, et le prince de Talleyrand, qui avait pu juger de l'esprit de l'assemblée, craignit qu'on ne fit le lendemain ce qu'on avait hésité à faire la veille, et pour rester maitre de la situation, il fit fermer la salle des délibérations du Corps législatif qui ne tint que cette séance du 3 avril.

Son vote n'en donna pas moins une très-vive impulsion, d'autant plus vive que cette assemblée était sympathique à l'opinion. Tous les corps constitués suivirent. Des adresses d'adhésion arrivèrent en foule; mais elles ne se bornaient point à demander la déchéance de l'Empereur, elles réclamaient le rétablissement des Bourbons. La cour des comptes, la cour de cassation, la cour d'appel tenaient le même langage. « Partout le nom des Bourbons se fait entendre, » disait la première; et la seconde ajoutait : « Puissions-nous, après vingt ans d'orages et de malheurs, trouver le repos à l'ombre de ce sceptre antique et révéré qui, pendant huit siècles, a si glorieusement gouverné la France. » La cour d'appel exprimait des sentiments analogues: « Fidèles aux lois fondamentales du royaume, disaient ses magistrats, nous invoquons de tous nos moyens le rétablissement de la maison de Bourbon au trône héréditaire de saint Louis. » Le chapitre de Paris adhéra, le 5 avril, à l'acte de déchéance, et le cardinal Maury, nommé par Napoléon archevêque de cette ville, et qui administrait le diocèse contre les canons et malgré les représentations réitérées du pape Pie VII, envoya de même son adhésion à la chute de celui qu'il avait loué outre mesure au temps de ses prospérités. Les tribunaux secondaires, les municipalités, les officiers de la garde nationale, tous les corps constitués concouraient au mouvement qui emportait Paris et les départements, et venaient comme autant de flots ajouter à la rapidité du torrent.

On a parlé de palinodies, il y en eut; de l'égoïsme des anciens serviteurs de l'Empire qui abandonnaient la fortune de Napoléon à son déclin pour les nouvelles prospérités qui se levaient à l'horizon, il y a dans toutes les révolutions des scandales politiques de ce genre; mais ce serait calomnier l'espèce humaine en général et la France en particulier, que d'attribuer à des motifs sordides et bas l'ensemble du mouvement qui

entraînait les esprits en 1814. Ce mouvement naissait de la conviction profonde que Napoléon ne pouvait plus rien pour la France, et que, pour sauver la cause de celle-ci, il fallait la séparer de la cause de l'Empereur. En subordonnant l'intérêt français aux intérêts de sa domination européenne, il avait motivé cette conviction, et il ne pouvait s'en prendre qu'à luimême de ce qu'il y avait un intérêt français distinct de l'intérêt bonapartiste. On comprend qu'un homme se dévoue pour une nation, mais il n'est ni juste ni raisonnable d'exiger qu'une nation se dévoue pour l'intérêt personnel d'un homme, et que, par un faux point d'honneur et par idolâtrie, elle verse le peu de sang qui lui reste dans les veines et s'expose à des maux incalculables et même au démembrement de son territoire, dans ses efforts stériles pour lui conserver une puissance acquise par sa seule habileté, compromise par ses fautes.

Le mouvement était devenu si vif, que le prince de Talleyrand comprit que le gouvernement provisoire devait se hâter d'arriver jusqu'à la Restauration, sous peine d'être devancé par l'opinion. Ce fut alors que parut la première proclamation officielle où le retour à la monarchie légitime était indiqué comme la seule issue de la situation: « Le Sénat a déclaré Napoléon déchu du trône, disait-on dans cette pièce; la patrie n'est plus avec lui. Un autre ordre de choses peut seul la sauver. Nous avons connu les excès de la licence populaire et ceux du pouvoir absolu; rétablissons la véritable monarchie, en limitant par de sages lois les divers pouvoirs qui la composent. La France se reposera de ses longues agitations, elle trouvera le bonheur dans le retour d'un gouvernement tutélaire. >>

On était arrivé au 4 avril au soir. Ce mouvement, commencé le 31 mars, s'était développé en quatre jours. Rien ne semblait pouvoir retarder le dénoûment, lorsque tout à coup la physionomie de Paris s'assombrit, la foule des solliciteurs cessa d'assiéger les bureaux du gouvernement provisoire, éta

Hist, de la Restaur. I.

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