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faction que j'éprouve en apprenant l'empressement avec lequel vous vous rendez à l'invitation du gouvernement provisoire, de vous ranger, conformément au décret du 2 de ce mois, sous les bannières de la cause française. Les services distingués que vous avez rendus à votre pays sont reconnus généralement; mais vous y mettez le comble en rendant à leur patrie le peu de braves échappés à l'ambition d'un seul homme. Je vous prie de croire que j'ai surtout apprécié la délicatesse de l'article que vous demandez et que j'accepte relativement à la personne de Napoléon. Rien ne caractérise mieux cette belle générosité naturelle aux Français, et qui distingue particulièrement Votre Excellence..

Quand les trois plénipotentiaires de Napoléon traversèrent Essonne, ils trouvèrent le duc de Raguse ainsi lié par un traité avec le prince de Schwarzenberg. L'acte d'abdication dont les trois maréchaux étaient porteurs rendait ce traité inutile. Ils étaient arrivés au même but que Marmont par un chemin différent et plus court. Il regretta dès lors d'avoir signé une convention qui n'avait d'excuse à ses yeux que dans sa nécessité, et qui cessait d'être nécessaire. S'ouvrant aux maréchaux sur l'acte échangé entre lui et le prince de Schwarzenberg, il s'empressa de se joindre à eux afin d'aller plaider à Paris la cause de la régence de Marie-Louise; mais avant de quitter Essonne, il fit connaître aux chefs de corps auxquels il laissait le commandement, entre autres au général Souham le plus ancien, et aux généraux Compans et Bordessoulle, l'abdication de l'Empereur et les motifs de son propre départ. « Je leur annonçai mon prochain retour, dit le maréchal. Je leur donnai l'ordre, en présence des plénipotentiaires de l'Empereur, de ne pas faire, quoi qu'il arrivât, le moindre mouvement avant mon retour. Nous nous rendimes au quartier général du prince de Schwarzenberg pour prendre l'autorisation nécessaire à notre voyage à Paris. Dans mon entrevue avec ce général, je me dégageai des négociations commencées. Le changement survenu dans la position générale devait en apporter un dans ma conduite. Mes démarches

Hist. de la Restaur. 1.

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n'ayant eu d'autre but que de sauver mon pays, et une mesure prise en commun et de concert avec Napoléon permettant d'atteindre ce but, je ne pouvais m'en isoler. Il me comprit parfaitement, et donna l'assentiment le plus complet à ma résolution '. >>

Les choses étaient dans cet état le 4 avril, à dix heures du soir, lorsque les passe-ports demandés à l'empereur Alexandre pour les trois plénipotentiaires de l'empereur Napoléon et pour Marmont arrivèrent à Petit-Bourg, au quartier général du prince de Schwarzenberg. Ils se mirent immédiatement en route pour Paris.

Le maréchal Marmont s'était trompé en croyant qu'on peut ébranler la règle de l'obéissance militaire au-dessus de soi et la maintenir au-dessous. Quand la délibération est entrée dans l'armée, elle descend de rang en rang. Les généraux de division Souham, commandant par intérim, Bordessoulle, Compans, Digeon, commandant l'artillerie, Ledru des Essarts et le général de brigade chef d'état-major Meynadier, qui demeuraient à la tête de l'armée, se trouvant placés sous le coup des mêmes circonstances qui avaient agi sur le duc de Raguse, pouvaient se croire autorisés à prendre l'initiative, s'il se produisait des incidents de nature à hâter l'exécution de la mesure qui n'était que suspendue.

Les plénipotentiaires de Napoléon arrivèrent à l'hôtel de la rue Saint-Florentin à une heure après minuit, le 5 avril 1814. Tout le monde y veillait. Les membres du gouvernement provisoire épiaient l'arrivée des négociateurs. C'était leur cause aussi bien que celle de la dynastie de Napoléon qui allait être jugée sur l'appel porté par les maréchaux contre la décision du 31 mars. Le procès qu'on avait regardé comme clos se rouvrait. Les figures étaient soucieuses, comme au moment d'un évé

1. Mémoires du duc de Raguse, tome VI, page 261.

nement décisif. Si l'on revenait sur la déclaration du 31 mars, la situation de tous ceux qui avaient pris part à cette déclaration et aux événements qui en avaient été la suite devenait difficile, périlleuse même. Quand les plénipotentiaires entrèrent, on chercha à les entourer. Il y eut peu de paroles échangées. Les portes de l'appartement de l'empereur de Russie s'ouvrirent, et les négociateurs furent aussitôt introduits. Ce fut le maréchal Macdonald qui porta la parole. Il commença par donner lecture à Alexandre de l'abdication conditionnelle de l'empereur Napoléon; puis il parla simplement, fortement, avec une mâle éloquence, très-peu de l'Empereur, beaucoup de l'armée. Il invoqua sa gloire militaire rehaussée d'un nouvel éclat par sa constance et sa fidélité dans les revers. Il demanda en son nom le règue du fils de Napoléon. C'était le vœu de l'armée, dit-il, une satisfaction morale qui lui était due, la seule garantie de l'avenir qu'elle avait mérité. Elle ne pourrait voir sans appréhension le retour d'une famille étrangère à ses services, à sa gloire. Lui refuser cette marque de sympathie et d'estime, et en même temps cette sûreté nécessaire, c'était la rattacher à la cause de Napoléon. Voulait-on rouvrir la carrière des combats au moment où elle se fermait?

Ney et Marmont firent valoir le sacrifice de Napoléon. Il renonçait à une dernière chance militaire, pourvu qu'on laissât son fils assis sur son trône. Ce sacrifice méritait bien, disaientils, la compensation qu'il demandait.

Le duc de Vicence, qui avait vécu dans la familiarité d'Alexandre, savait les cordes qu'il fallait faire vibrer dans son cœur, et les toucha avec une grande habileté. Il insista surtout sur la promesse faite par l'empereur de Russie de ne pas intervenir dans les questions du gouvernement intérieur de la France. Le pays, avait-il dit, devait lui-même décider de ses destinées. Et quelles voix plus autorisées pouvaient exprimer le vœu du pays, que celles des maréchaux parlant au nom de

l'armée française? Est-ce qu'une déclaration surprise à la bonne foi du souverain pouvait faire obstacle à l'accomplissement d'une promesse si souvent répétée, et d'une parole solennellement donnée? Il s'en rapportait sur ce point à l'équité et à la magnanimité de l'empereur de Russie.

Alexandre, visiblement ému, gardait le silence et laissait se prolonger cette scène, qui peut-être n'était pas pour lui sans douceur. La cause qui se débattait devant lui, c'était celle de l'ancien dominateur de l'Europe : une parole tombée des lèvres d'Alexandre allait décider du sort de la dynastie de Napoléon. Il suspendait cette parole attendue comme un arrêt de la destinée. Peut-être, s'il eût été en réalité seul à prononcer, aurait-il été tenté par la grandeur de l'action qu'on lui demandait. Mais la résolution prise était une résolution collective: l'Autriche, la Prusse, l'Angleterre si puissante dans les conseils européens, avaient prononcé avec la Russie sur le sort de la dynastie de Napoléon. Quelque chose de plus, Napoléon et sa dynastie étaient condamnés par l'intérêt européen et la force des choses; les souverains n'avaient fait que signifier l'arrêt porté de plus haut. Tout en se sentant touché de la démarche des maréchaux, et aussi des considérations qu'ils avaient fait valoir au nom de l'armée, Alexandre ne leur donna qu'une réponse évasive. Ne pouvant prononcer seul, leur dit-il, il fallait qu'il conférât avec ses alliés. Il les congédia donc en leur promettant de les recevoir dans quelques heures. Il ne pouvait faire moins, car il ne lui convenait pas d'assumer seul la responsabilité du refus opposé à la requête présentée au nom de l'armée française; mais il ne pouvait faire plus.

Les maréchaux se retirèrent en emportant une lueur d'espoir. Peu de temps après un nouveau conseil s'ouvrit : le roi de Prusse y assistait, les membres du gouvernement provisoire y avaient été également convoqués, ainsi que le général Dessolle, en sa qualité de commandant en chef de la garde

nationale de Paris. Le langage des membres du gouvernement provisoire était dicté d'avance. Ils rappelèrent la déclaration du 31 mars, par laquelle les souverains alliés avaient pris à la face de la France et de l'Europe entière l'engagement de ne plus traiter avec Napoléon Bonaparte, ni avec aucun membre de sa famille. C'était un fait acquis. Voulaient-ils, maintenant remettre en discussion ce qu'ils avaient décidé par des raisons dont la force n'était pas affaiblie? Le pouvaient-ils quand tant de personnes s'étaient engagées sur la foi d'une parole qu'elles avaient le droit de regarder comme sacrée? Cette régence dont on parlait ne serait en réalité qu'un paravent derrière lequel se cacherait Bonaparte, tout prêt à la première occasion à ressaisir l'Empire. Le général Dessolle ajouta, en élevant la voix avec brusquerie, que si les souverains alliés revenaient à la régence, il ne resterait plus à ceux qui s'étaient compromis sur leur foi qu'à leur demander des passe-ports pour aller chercher un abri à l'étranger contre les vengeances qu'ils avaient si imprudemment appelées sur leur tête.

La brusquerie de cette interpellation et l'accent du général Dessolle parurent avoir blessé l'empereur Alexandre. Il répondit avec quelque vivacité que jamais personne n'aurait à se repentir de s'être fié à lui, et que, quoi qu'il arrivât, sa protection serait acquise à ceux qui s'étaient compromis sur sa parole; mais la question générale qu'il s'agissait de résoudre était trop haute pour qu'on y mêlât des intérêts personnels.

Il devenait évident que l'empereur Alexandre voulait donner une satisfaction morale à l'armée, en remettant en discussion la question qui avait été résolue le 31 mars. Les membres du gouvernement provisoire avaient des raisons décisives à faire valoir contre le règne du fils de Napoléon avec une régence, et Napoléon les avait indiquées lui-même, lorsqu'il avait dit en recevant le courrier envoyé par les maréchaux au sortir de

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