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vint pas. Il envoyait ses ordres de Paris; bientôt il devait paraître à la nouvelle cour.

Pendant les sept jours qu'il dut passer encore à Fontainebleau pour attendre la ratification de l'Angleterre au traité du 11 avril, Napoléon qui avait éprouvé, pendant tant d'années, toutes les extrémités de la flatterie, éprouva celles du délaissement et de l'abandon. Les agonies de fortune sont plus tristes que les agonies d'existence, parce qu'elles demeurent sensibles à ce qui se passe autour d'elles, et qu'elles durent plus longtemps. L'expiation qui devait continuer dans l'exil commençait. Non-seulement Napoléon avait beaucoup méprisé les hommes, mais en leur demandant une obéissance aveugle, sans conditions et sans scrupules, en ravalant des êtres moraux au rang d'agents mécaniques, il les avait avilis. Quoi d'étonnant qu'au moment où la force, c'est-à-dire le seul moteur des agents matériels, s'échappait de ses mains, il retrouvât les hommes de son entourage à la place qu'il leur avait marquée lui-même, c'est-à-dire au niveau de ses mépris?

Triste et découragé, il vivait retiré dans le coin du palais de Fontainebleau où il s'était caché. S'il quittait quelques instants sa chambre, c'était pour se promener dans le petit jardin renfermé entre l'ancienne galerie des Cerfs et la chapelle. Sa curiosité éteinte ne se ranimait que lorsque le bruit inaccoutumé des roues, réveillant les échos endormis de la grande cour, annonçait un départ ou un retour, moins souvent le second que le premier. Alors, comme un homme qui déjà entré dans les ombres et le silence du passé se retourne pour entendre les bruits du monde, de la vie et du mouvement arrivant jusqu'à lui, il voulait savoir qui venait visiter le royaume de la solitude et de l'abandon. Rarement les réponses étaient de nature à le satisfaire. Ses plus chers confidents, ceux qui l'avaient servi de plus près, ne vinrent pas. Quelques hommes qui, tenus à distance, avaient gardé le sentiment

de la dignité humaine, furent les seuls à visiter Fontainebleau désert; Macdonald, Moncey, Mortier furent avec Bertrand, Caulaincourt et Maret, qui restèrent jusqu'au dernier moment auprès de lui, les représentants exceptionnels de la haute aristocratie impériale auprès de l'Empereur, pendant les suprêmes journées qu'il passa à Fontainebleau. Dans les rangs moins élevés de l'armée, les dévouements furent plus nombreux. Les vieux soldats de la garde demandèrent en grand nombre à suivre leur général à l'île d'Elbe; il fallut choisir, parmi ceux qui se présentèrent, les quatre cents hommes que le traité du 11 avril autorisait Napoléon à emmener avec lui. Le maréchal du palais Bertrand, les généraux Cambronne et Drouot figuraient en tête de la liste.

Cependant on apprenait à Fontainebleau que les derniers restes de l'organisation impériale achevaient de se dissoudre. La régence fugitive qui sortait de Paris le 30 mars était arrivée à Blois le 1er avril et n'avait pu y rester longtemps. Elle avait envoyé dans les départements avec lesquels on pouvait encore communiquer des proclamations ayant pour objet de faire lever les populations en masse. Ces proclamations, suggérées par l'Empereur qui expédiait émissaire sur émissaire à la régente, étaient restées sans résultat. Les yeux étaient fixés sur Paris et Fontainebleau; là était le drame, il n'y avait guère sur les divers points de la circonférence que des spectateurs. Marie-Louise elle-même s'était trouvée entre les ordres impérieux de son mari, qui lui prescrivait de ne pas perdre un moment pour agir, et les recommandations secrètes de son père, qui l'invitait à laisser marcher les événements. Entre ces deux voix, elle écoutait la seule qui lui fût chère. MarieLouise, il ne faut pas l'oublier, était aussi une conquête militaire de Napoléon, et il n'avait rien fait pour lui faire oublier l'origine de leur union. Les frères de l'Empereur, Joseph et Jérôme, accourus avec elle à Blois, la regardaient comme un gage

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entre leurs mains; ils voulaient même l'obliger à les suivre, contre son gré, dans les provinces plus lointaines situées derrière la Loire. Marie-Louise poussée à bout résista, et, pour échapper à des obsessions qui prenaient le caractère de la violence, elle dut en appeler à M. de Beausset, préfet du palais. Celui-ci, résol de la défendre, demanda au général Cafarelli et au comte d Jaussonville, un des chambellans du palais, si la garde de 1 Impératrice souffrirait qu'on la violentât ainsi. Les officiers de cette garde avertis entrèrent aussitôt dans le palais; ils demandèrent à être introduits pour offrir leur épée à l'Impératrice. Dès lors Joseph et Jérôme, et Cambacérès de connivence avec eux, durent renoncer à leurs desseins. Il fut convenu qu'on attendrait les ordres de l'Empereur. Mais on était au 7 avril, et Napoléon, qui avait signé le 6 son abdication absolue, n'avait plus d'ordres à donner, et avait encore moins les moyens de faire exécuter sa volonté. Le 8 avril, Marie-Louise reçut des passe-ports de l'empereur de Russie, pour se rendre à Orléans, où un aide de camp d'Alexandre dut la conduire en la protégeant contre les nombreux pulks de Cosaques qui infestaient la campagne.

Ce fut le signal de la dispersion de la régence. La puissance impériale venait de mourir à Fontainebleau, son effigie disparut à Blois. Chacun suivit l'appel de sa destinée. Cambacérès envoya de Blois son adhésion aux actes du Sénat et du gouvernement provisoire. Les frères, les parents de l'Empereur et quelques grands dignitaires de l'Empire suivirent Marie-Louise jusqu'à Orléans. Dans cette ville elle les congédia, en leur faisant obtenir des passe-ports. Madame mère et son frère le cardinal Fesch partirent pour Rome, l'asile généreux des fortunes tombées comme des grandeurs déchues; Louis Bonaparte, ci-devant roi de Hollande, pour la Suisse; Joseph et Jérôme Bonaparte, ci-devant rois d'Espagne et de Westphalie, l'y suivirent bientôt. Toutes ces puissances d'em

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prunt disparaissaient comme des fantômes, avec la seule réalité qu'il y eût dans leur famille, le génie et la puissance de l'Empereur. Marie-Louise elle-même, cédant aux invitations du prince d'Esterhazy, envoyé auprès d'elle par son père, se rendait avec lui à Rambouillet, et y conduisait son fils à l'empereur d'Autriche, qui les attendait.

Napoléon avait prolongé autant qu'il avait pu sa correspondance avec Marie-Louise. Ses émissaires, ses lettres vinrent la chercher à Blois, à Orléans, à Rambouillet même. Il comprenait qu'elle était maintenant le dernier lien qui le rattachait aux familles souveraines. Tant que la question n'avait pas été tranchée contre la régence, il l'avait pressée d'intervenir auprès de son père pour que celui-ci défendît les intérêts de son petit-fils. Mais l'empereur d'Autriche, après avoir sacrifié une première fois sa fille aux intérêts d'existence de son empire, la sacrifiait une seconde fois à l'intérêt de la paix du monde. C'était pour la décider à retourner à Vienne qu'il l'attendait à Rambouillet. Il la faisait descendre du trône de France par un motif analogue à celui qui l'avait décidé à l'y laisser monter; et c'était encore une fois la politique qui allait régler la destinée de Marie-Louise. Napoléon craignait cette entrevue. Il comprenait que Marie-Louise, réunie à son père, lui échappait; dans sa défaite, c'était un gage, une décoration de ses adversités, et s'il pressentait déjà un retour, c'était une force, car Marie-Louise reliait son infortune présente à sa fortune passée. Il n'avait rien omis, même lorsque l'Impératrice fut à Rambouillet, pour la décider à le suivre à l'île d'Elbe. Le seul chemin qui restât ouvert devant Fontainebleau était celui de Rambouillet, et le général Flahaut, le colonel Montesquiou et le baron de Beausset allaient et venaient portant les messages de l'Empereur à l'Impératrice et les réponses de celle-ci à l'Empereur. Il affectait dans ses correspondances de regarder comme une chose naturelle et hors de doute sa réu

nion avec l'Impératrice à l'île d'Elbe, comme si c'eût été une affaire de famille dans laquelle la diplomatie n'avait point à entrer; ses lettres peignaient l'île d'Elbe à Marie-Louise comme on peint un lieu qu'on doit habiter en commun. Il oubliait ou plutôt il affectait d'oublier que la politique délie ce qu'elle noue. Il n'avait pas su rendre le trône de France aimable à Marie-Louise, quand il avait fallu le partager avec lui; comment se serait-elle décidée à aller partager avec lui un exil? Il avait fait d'elle la compagne de sa puissance, non de son cœur et de sa destinée. Aussi, tandis qu'une autre archiduchesse d'Autriche, Marie-Antoinette, suivait sans faiblir Louis XVI de Versailles aux Tuileries devenues une prison, des Tuileries au Temple, du Temple sur l'échafaud, Marie-Louise abandonnait Napoléon à la descente du trône, et, comme une captive affranchie du joug d'un maître, elle reprenait le chemin de cette patrie allemande qu'elle n'avait jamais oubliée.

Les nouvelles qui vinrent à Napoléon de Rambouillet à Fontainebleau, furent celles-ci: Marie-Louise avait reçu la visite de son père; celui-ci n'avait pu retenir ses larmes en embrassant cette fille chérie; il avait vu pour la première fois son petit-fils et il avait reconnu avec émotion, dans cette figure enfantine, les traits distinctifs de la famille impériale d'Autriche. Dès cette première entrevue, l'empereur d'Autriche avait fait entendre à sa fille qu'elle devait se considérer comme séparée, au moins pour un temps, d'avec son mari; qu'elle ferait bien de se distraire en faisant avec son fils un voyage à Vienne, où elle trouverait quelque repos et des consolations dans le sein de sa famille. Le lendemain, l'empereur d'Autriche était revenu avec l'empereur de Russie, qui avait désiré faire une visite à l'Impératrice. Chaque nouveau message de Rambouillet apportait ainsi à Napoléon une crainte et un regret. Il comprenait que la coalition victorieuse lui enlevait ce que lui avait

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