Page images
PDF
EPUB

ôter à l'attrait bienveillant de son sourire, à la noblesse charmante de son geste, et dont le visage rayonnait de bonheur et d'émotion, répondre aux cris, aux témoignages d'affection et d'enthousiasme par des gestes pleins de grâce. Il saluait à droite, à gauche, aux fenêtres, aux toits, dans la direction des boulevards, dans celle des rues. Son regard pénétrait partout; il remerciait de la main, de la tête, et, chacun le sentait, plus encore du cœur, la foule qui lui adressait les cris mille fois répétés de: Vive le Roi! Vivent les Bourbons! Vive Monsieur! Puis, de moment en moment, on voyait quelques vieux chevaliers de Saint-Louis, restes du temps et de la Révolution, traverser la haie de la garde nationale, se jeter sur la main du petit-fils de Henri IV et la couvrir de baisers; Siméons de la cause monarchique, qui remerciaient Dieu de les avoir fait vivre jusqu'à ce jour béni qu'ils avaient désespéré de voir!

Telles furent les scènes qui se reproduisirent sur toute la ligne du parcours, de la porte Saint-Denis, à travers la rue Saint-Denis, cette rue si marchande, toute ruisselante d'une foule en habits de fête, toute pavoisée d'étendards fleurdelisés, toute retentissante d'acclamations, jusqu'à NotreDame, la vieille basilique. Le chapitre attendait le comte d'Artois aux portes de l'Église'; pour le clergé aussi la chute de l'Empire était une délivrance. Le comte d'Artois répondit au discours chaleureux que lui adressa le vicaire capitulaire : « C'est la miséricorde de Dieu qui a mis un terme aux malheurs des Français, allons lui en rendre grâce. Le Roi ne peut être heureux qu'autant que son peuple sera heureux. On chanta le Te Deum et le Domine salvum fac Regem, et la

1. Le 9 avril le chapitre, extraordinairement assemblé sous la présidence de M. Sinchole d'Espinasse, chanoine titulaire et vicaire général capitulaire, avait révoqué tous les pouvoirs précédemment donnés au cardinal Maury, pour aduinistrer l'archevêché de Paris au nom du chapitre. Le chapitre n'avait pu donner canoniquement ces pouvoirs au cardinal Maury, archevêque désigné, il aurait don dù proclamer purement et simplement la nullité de sa précédente délibération.

multitude qui, écartant tous les obstacles, avait envahi la nef, les bas côtés, les plus obscures chapelles, répéta en chœur, avec ses dix mille voix, la prière du psaume de David. C'était une manière respectueuse de crier encore vive le Roi dans l'église. Le maréchal Ney, qui était debout derrière le fauteuil de Monsieur, à côté du baron de Vitrolles, ne put contenir l'expression de sa surprise : « Comprenez-vous un pareil enthousiasme, lui dit-il ; qui aurait pu le croire? » En sortant de NotreDame, les maréchaux, gagnés à l'irrésistible ascendant des sentiments publics, se placèrent en évidence en avant de Monsieur. La foule, qui l'attendait aux portes, le reconduisit avec les mêmes acclamations au château des Tuileries, sur le faîte duquel le drapeau blanc se déploya au moment où M. le comte d'Artois y entrait. Il y entra brisé de fatigue, d'émotions, de reconnaissance, de joie, car le cœur humain est moins fort contre le bonheur que contre la douleur. En mettant le pied sur le premier degré de l'escalier, il éprouva une défaillance, et fut obligé de s'appuyer sur le bras des maréchaux pour monter. Cette ivresse lui était commune avec la population de Paris. Souvenirs du passé, doutes sur l'avenir, affections, regrets, appréhensions, intérêts particuliers, tout avait disparu dans cet entraînement général qui ne laissait place dans les cœurs que pour la joie, l'espérance et l'amour. Heures d'effusions, de félicité et d'émotions inexprimables, si rares dans la vie des nations, que souvent tout un siècle s'écoule sans en contenir de pareilles, et que cependant le temps emporte sur son aile comme toutes les heures, pesantes ou légères, mais qui laissent dans le cœur un baume sur les souffrances du passé, et même contre celles de l'avenir!

Hist. de la Restaur. 1.

18

II

LE COMTE D'ARTOIS A PARIS.

Le comte d'Artois, encore sous le coup des émotions de la journée du 12 avril, disait, le soir, à quelques confidents intimes: « J'ai été reçu comme l'enfant de la maison. » C'était le mot de la journée, la parole sortie du cœur du prince. Le gouvernement provisoire chercha le lendemain une autre expression de nature à donner à cette journée une portée conforme à ses intérêts et à ses vues. On devait insérer dans le Moniteur les discours adressés au comte d'Artois et ses réponses dans la journée du 12 avril. M. de Talleyrand chargea M. Beugnot d'imaginer un mot à effet qui pût satisfaire le Sénat et donner à croire au public que Monsieur entrait complétement dans ses vues, et de placer ce mot dans la réponse du prince au discours de M. de Talleyrand. Après avoir bien cherché, M. Beugnot composa tout un discours dans lequel se trouvait une de ces paroles qui réussissent toujours en France, parce qu'elles semblent insinuer beaucoup plus qu'elles ne disent. Le prince de Talleyrand biffa la plus grande partie de la composition de M. Beugnot, et ne laissa subsister que la phrase suivante: Voici à peu près ce qu'on a retenu de la réponse de Monsieur au prince de Talleyrand: « Messieurs les membres du gouvernement provisoire, je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour notre patrie. J'éprouve une émotion qui m'empêche d'exprimer tout ce que je ressens. Plus de divisions: la paix et la France; je la revois, et rien n'y est changė, si ce n'est qu'il s'y trouve un Français de plus. »

Il était difficile d'exprimer, sous une forme plus ingénieuse, une idée plus contraire à la situation vraie des choses. Mon

sieur, comte d'Artois, en France, c'était non-seulement un Français de plus, mais c'était la paix au lieu de la guerre, un gouvernement modéré au lieu d'un gouvernement absolu, la liberté politique au lieu de l'arbitraire, la tradition nationale au lieu de la souveraineté du peuple ou de celle de la force. Il y avait donc beancoup de choses de changées en France, mais il importait au Sénat, aux personnes en place qu'il n'y eût rien de changé dans les dotations, les traitements, les pensions. De là le succès du mot dans tout le monde officiel, et comme rien ne réussit comme le succès, on parvint à faire réussir le mot auprès de Monsieur par son succès même, et à obtenir qu'il ne reniât pas la paternité d'une parole qui produisait de si heureux effets. « Rien n'est changé, il n'y a en France qu'un Français de plus,» répétaient à l'envi les sénateurs, et ils attendaient que le comte d'Artois, mettant sa conduite d'accord avec cette parole, se soumît aux faits existants.

Le comte d'Artois n'attachait point à un mot, si ingénieusement tourné qu'il fût, cette valeur politique, et il paraissait peu disposé à céder aux vues du Sénat. Le problème qui avait précédé l'entrée du frère du Roi à Paris reparaissait donc plus insoluble. Ce fut la seule force organisée qu'il y eût dans la situation, la force étrangère, qui se chargea de le résoudre.

On était au second jour de l'arrivée du comte d'Artois à Paris. Rien ne se décidait. Monsieur, salué par la population parisienne comme le représentant légitime de l'autorité royale, occupait, sans aucune autorité légale, une des ailes du château des Tuileries. Les heures s'écoulaient en réceptions; tout le monde sortait ravi de ses audiences, en comparant la courtoisie sympathique de son accueil à la froideur hautaine des réceptions impériales. Il y avait comme un courant irrésistible de sentiments et d'idées qui portait vers lui tous les cœurs: ceux-là mêmes que leurs précédents semblaient mettre à l'abri de cette attraction n'y résistaient pas, et le général La Fayette

a raconté dans ses Mémoires comment, au mois d'avril, il ne put rencontrer Monsieur dans la rue sans se sentir vivement ému. Heureux de ces succès, le comte d'Artois oubliait ce que sa position avait d'indéfini. A l'autre aile du château, le gouvernement provisoire continuait à détenir le pouvoir légal dépouillé de tout prestige et de toute influence.

M. de Vitrolles fit une démarche pour mettre un terme à cet état de choses. Il alla proposer aux membres de ce gouvernement de résigner leurs pouvoirs dans les mains de Monsieur; on en insérerait la nouvelle au Moniteur, et tout se trouverait terminé. Fouché, qui était arrivé la veille d'Illyrie, attiré par une situation difficile et troublée, comme ces oiseaux que l'odeur de la proie affriande, intervint dans la discussion et dit vivement à M. de Vitrolles: « Ce que vous dites ne signifie rien, c'est le Sénat qui doit déléguer le pouvoir au comte d'Artois. » Alors il se mit à l'œuvre et rédigea un projet de réponse pour le prince. M. de Talleyrand y changea quelques mots, et M. le baron de Vitrolles se chargea de le soumettre à Monsieur. De deux choses l'une, ou il fallait accepter cet expédient fâcheux, ou prendre le pouvoir par un coup d'autorité, en faisant publier ses lettres patentes de lieutenant général, dissoudre le Sénat s'il résistait, et agir de même à l'égard du Corps législatif.

Pour agir ainsi, il aurait fallu se sentir de force à résister à l'empereur de Russie. Les chefs les plus influents du Sénat

1. «Je me serais fait scrupule d'appeler les Bourbons, dit-il, et néanmoins telle est la force des premières impressions, que je les retrouvai avec plaisir, qu la vue du comte d'Artois dans la rue m'émut vivement. » La Fayette lui adressa même, à la date du 15 avril, la lettre suivante : « Monseigneur, il n'y a point d'époque dans ma vie qui ne concourrait à me rendre heureux de voir votre retour devenir un signal et un gage de bonheur et de liberté publique. Profondément uni à cette satisfaction nationale, j'ai besoin d'offrir à Monsieur l'hommage de mon attachement personnel. » (Mémoires du général La Fayette, tome V, pages 307 et 308.)

« PreviousContinue »