Page images
PDF
EPUB

régime d'arbitraire, de contribution militaire et d'avanies. L'article 8 de la convention stipulait que l'administration des départements militairement occupés serait remise aux autorités-françaises'. C'était leur délivrance. En outre, quelque dures qu'on puisse trouver les conditions souscrites, elles étaient beaucoup moins dures que celles du congrès de Châtillon 2, et Napoléon avait en dernier lieu autorisé le duc de Vicence à les signer. Les souverains exigèrent-ils que la convention fût immédiatement souscrite? La fortune des armes les mettait en position d'obtenir ce qu'ils exigeaient, et l'on ne pouvait, dans l'état de dislocation où se trouvaient l'armée et la France, recommencer la guerre pour conserver un matériel et des arsenaux qu'on cédait par la convention. M. de Talleyrand montra-t-il un empressement d'autant plus inexcusable qu'il aurait été intéressé à accepter des conditions fâcheuses? On l'a dit, et sa mauvaise renommée a autorisé ces bruits; mais il faut tenir compte de la disposition du public à chercher derrière tout malheur national une trahison. Ce qu'il y a de certain, c'est que la responsabilité de cette convention pèse sur M. de Talleyrand qui en fut le négociateur, et non sur le comte d'Artois qui, nouveau venu

1. L'article 8 de la convention du 23 avril était ainsi conçu : « Il sera fait remise par les cobelligérants, après la signature du présent acte, de l'administration des départements ou villes actuellement occupés par leurs forces, aux magistrats nommés par S. A. R. le lieutenant général du royaume de France. Les autorités royales pourvoiront aux subsistances et besoins des troupes jusqu'au moment où elles auront évacué le territoire français, les puissances alliées voulant, par un effet de leur amitié pour la France, faire cesser les réquisitions militaires, aussitôt que la remise au pouvoir légitime aura été effectuée. Le blocus des places fortes en France sera levé sur-le-champ par les armées alliées. 2. Par l'article 6 du projet de convention de Châtillon, les puissances exi ́ ́ geaient, on l'a vu, que Napoléon remit les forteresses et forts des pays cédés et ceux qui étaient encore occupés par les troupes en Allemagne, sans exception, et que les places et forts fussent remis dans l'état où ils étaient, avec toute leur artillerie, munitions de guerre et de bouche, archives, etc. Napoléon devait remettre en outre aux coalisés les places de Besançon, Béford, Huningue, pour être gardées en dépôt comme Strasbourg, Metz et Thionville, jusqu'à la ratification définitive de la paix.

en France, nécessairement inexpérimenté dans les affaires, n'en fut que le signataire confiant.

Voici les principaux articles de la convention du 23 avril, publiée dans le Moniteur du 24 du même mois :

« Aujourd'hui ont été ratifiées, par S. A. R. Monsieur, frère du Roi, lieutenant général du royaume, des conventions avec chacune des puissances alliées. En voici le texte :

Les puissances alliées, réunies dans l'intention de mettre un terme aux malheurs de l'Europe, ont nommé des plénipotentiaires pour convenir d'un acte, lequel, sans préjuger les dispositions de la paix, renferme les stipulations d'une suspension d'hostilités, et qui sera suivi, le plus tôt que faire se pourra, d'un traité de paix. Ces plénipotentiaires, après l'échange de leurs pouvoirs, sont convenus des articles suivants : « ARTICLE PREMIER. Toutes hostilités sur terre et sur mer sont et demeurent suspendues entre les puissances alliées et la France.

ART. 2. Pour constater le rétablissement des rapports d'amitié entre les puissances alliées et la France, et pour la faire jouir d'avance, autant que possible, des avantages de la paix, les puissances alliées feront évacuer, chacune par leurs armées, le territoire français tel qu'il se trouvait au 1er janvier 1792, à mesure que les places encore occupées hors de ces limites par les troupes françaises seront évacuées et remises aux alliés.

ART. 3. Le lieutenant général du royaume de France donnera en conséquence, aux commandants de ces places, l'ordre de les remettre, de manière à ce que la remise totale puisse être effectuée au 1er juin prochain. Ils peuvent emmener l'artillerie de campagne dans la proportion de trois pièces par chaque mille hommes, malades et blessés compris.

La dotation des forteresses, et tout ce qui n'est pas propriété particulière, demeurera et sera remise en entier aux alliés, sans qu'il puisse en être distrait aucun objet. Dans la dotation sont compris, non-seulement les dépôts d'artillerie et de munitions, mais encore toutes autres provenances de tout genre, ainsi que les archives, inventaires, plans, cartes, modèles, etc.

ART. 4. Les stipulations de l'article précédent seront également appliquées aux places maritimes. »

Enfin venait l'article 8, plus haut cité, qui restituait à l'administration nationale toutes les portions de notre territoire régies par l'administration étrangère.

Les sacrifices souscrits par la convention du 23 avril 1814 étaient considérables. L'impression publique fut douloureuse. On avait presque oublié qu'il y avait des vainqueurs et des vaincus, la convention du 23 avril le rappelait. Après cet échange de paroles généreuses du côté d'Alexandre, laudatives de la part du Sénat, la loi du plus fort reparaissait : il fallut la subir; mais le contre-coup fut défavorable à Monsieur, sur lequel on reporta la responsabilité d'un consentement qu'il ne pouvait refuser. On eût dit qu'il avait créé la situation désastreuse dont la convention du 23 avril n'était que l'expression diplomatique.

[ocr errors]

LOUIS XVIII, SES PRÉCÉDENTS, SES IDÉES, SON CARACTÈRE. NEGOCIATIONS QUI PRÉCÉDENT SON RETOUR,

Les

Il n'y avait encore en France que du provisoire, on attendait avec impatience du définitif. Il ne pouvait venir que d'Hartwell. yeux commençaient à se fixer sur cette résidence, un mois auparavant complétement inconnue à la France, et qui devenait le point de mire de tous les regards, de tous les efforts en sens contraires, de toutes les ambitions, de toutes les espérances; car c'est de là qu'allait arriver l'avenir du pays. Quel était le prince qui allait régner sur la France? Quelle avait été sa vie dans l'exil? Quels étaient son caractère, ses aptitudes, ses idées ? Telles étaient les questions qui se posaient devant les esprits. Il faut y répondre.

Louis XVIII était un prince plein du sentiment de son droit. Ce sentiment, comme une force invincible, l'avait soutenu pendant les longues épreuves de l'exil. Il avait foi dans le principe monarchique; il n'avait pas cessé d'espérer, parce qu'il

Hist. de la Restaur. I.

19

n'avait pas cessé de croire, et il s'était montré le noble gardien de la dignité royale sur la terre étrangère. Il portait très-haut aussi le sentiment de l'honneur national, et, en 1800, il écrivait, dans les instructions secrètes données à M. de SaintPriest accrédité près la cour de Vienne, au moment où la coalition se préparait à frapper un grand coup qui pouvait faire prévoir l'éventualité d'un remaniement de l'Europe et d'une Restauration en France: «Si pour faire une frontière aux Pays-Bas on demandait la cession de quelques places, M. de Saint-Priest déclarerait qu'il m'est impossible d'y consentir: 1o parce que ce serait me déshonorer, et qu'assurément je ne sacrifierai pas au désir de régner le seul bien qui me reste, celui que nul homme, excepté moi, ne saurait me ravir, l'honneur; 2o parce que cette mesure, une fois connue en France (et elle ne pourrait pas manquer de l'être), me dépopulariserait entièrement.... Si, malgré ces raisons, le ministre autrichien s'obstinait jusqu'à faire de la cession de la moindre bicoque en France une condition sine qua non, M. de Saint-Priest n'aurait plus qu'à demander des passe-ports pour venir me retrouver1. »

Au sentiment de l'inviolabilité de son droit, de la dignité royale et de l'honneur national, Louis XVIII joignait un souci jaloux du maintien du principe de l'autorité. L'examen attentif de sa correspondance la plus intime et la lecture des déclarations publiées par lui à différentes époques de son exil ne donnent point lieu de penser qu'il fut dans l'origine partisan de l'application de la constitution anglaise à la France. Tout au contraire, on le retrouve partout très-partisan de l'ancienne constitution française, telle qu'elle existait avant 1789, et, tout en souscrivant à des modifications rendues inévitables par la

1. Lettres et Instructions de Louis XVIII au comte de Saint-Priest, précédées d'une notice, par M. de Barante, pair de France. (Amyot, 1845.)

marche du temps, désireux de s'en rapprocher autant que possible. Cette tendance des idées de Louis XVIII est manifeste dans les observations qu'il adressa en 1799 à M. de SaintPriest sur un projet de déclaration proposé par cet ancien ministre1. On voyait transpirer à la même époque cette jalousie de son autorité qui était un des traits de son caractère. « Un gouvernement sage, écrivait-il, doit connaître le vœu du peuple et y déférer quand il est raisonnable, mais toujours agir proprio motu; c'est le secret de se concilier l'amour et le respect. Si je suis un jour roi de fait, comme je le suis de droit, je veux l'être par la grâce de Dieu2. »

Ainsi parlait, ainsi pensait Louis XVIII en 1799, car il s'exprimait de cette manière dans un écrit qui n'était point destiné à voir le jour. Ces opinions paraissent avec plus de netteté et plus de vigueur encore dans les observations que lui suggéra la lecture des Réflexions de M. le chevalier de la Coudraye sur les Cahiers de la noblesse du Poitou aux états généraux de 1789. Dans ces observations, Louis XVIII se montre contraire à la périodicité régulière des assemblées politiques et peu favorable au gouvernement anglais3. Il est vraisemblable néanmoins que ces idées avaient subi des modifications pendant le séjour du Roi en Angleterre, où il avait été à portée d'apprendre les avantages qu'on peut tirer de ce genre de gou

vernement.

Louis XVIII avait des idées larges sur l'admissibilité de tous aux emplois et par conséquent sur l'égalité possible, sur la nécessité de couvrir d'un voile les opinions et les votes après

1. « J'ai dit que je voulais rétablir l'ancienne Constitution française dégagée des abus qui s'y étaient introduits. Cette phrase, que je n'ai pas mise sans dessein dans ma déclaration de 1795, me laisse toute la latitude dont j'ai besoin... Le temps introduit souvent des abus dans une Constitution, mais il ne saurait la rendre abusive en elle-même. »

2. Lettres de Louis XVIII.

3. Manuscrit inédit de Louis XVIII, publié par Martin d'Oisy. (Paris, 1839.

« PreviousContinue »