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dans les affaires criminelles, accepté avec regret par Napoléon, était moins une innovation de la Constituante qu'un retour à la vieille manière dont nos aïeux vidaient leurs procès criminels, sauf la simplicité des formes qu'on n'avait pu conserver dans un siècle d'une civilisation avancée et corrompue. La cour de cassation, tribunal suprême destiné à retenir et à guider les autres tribunaux dans l'interprétation et l'application des lois, remontait à la Constituante.

Louis XVIII avait accepté tout cet ordre judiciaire, dans lequel on retrouvait la tradition nationale perfectionnée par l'expérience. Il n'avait ajouté à ce chapitre qu'un article, en complétant une pensée indiquée par le Sénat, mais un article qui suffirait pour rendre un roi et son règne immortel; c'était l'article 66, ainsi conçu: « La confiscation est abolie, elle ne pourra jamais être rétablie '. » Ce fut un beau spectacle que ce représentant de la légitimité monarchique à peine assis sur son trône qui, pour répondre à tant de confiscations ordonnées par un régime qui avait vécu en battant monnaie sur la place de la Révolution, adoptait dans son honnêteté et sa sagesse ce principe: « La confiscation est abolie, elle ne sera jamais rétablie. »

1. M. de la Fayette, en faisant remarquer dans ses Mémoires que le Sénat avait pris l'initiative de cette mesure dans son projet de constitution, fait une remarque juste; on lit en effet dans ce projet : La peine de la confiscation est abolie. Seulement M. de la Fayette ne fait pas remarquer que le paragraphe qui interdisait le rétablissement de cette mesure spoliatrice, appartenait à Louis XVIII, et que, dans sa bouche, cette parole avait une toute autre portée que dans celle du Sénat. Le Sénat était rempli de gens qui avaient profité des spoliations de la révolution. Louis XVIII représentait dans l'exil les intérêts spoliés.

V

INCIDENT QUI ABRÈGE LA RÉDACTION DE LA CHARTE.
PROMULGATION DE L'ACTE CONSTITUTIONNEL.

La commission avait tenu quatre séances. Les commissaires du Roi pensaient qu'elle en tiendrait trois autres. La première devait être consacrée à l'examen du chapitre intitulé: Des droits particuliers garantis par l'État; les deux autres à l'examen de quelques articles réglementaires sur la forme des élections. Ces articles, au nombre de six, qui devaient prendre place entre les articles 40 et 41 de la Charte, avaient pour objet de concilier l'article 40, qui n'accorde le concours à l'élection des députés qu'à ceux qui payent une contribution directe de 300 francs, avec l'élection à deux degrés, la seule qui semblât praticable en France, parce que c'était la seule qui eût été pratiquée depuis les états généraux les plus anciens. Le comte Beugnot, chargé de ce travail, l'avait ébauché, et Louis XVIII avait consenti à remettre la séance royale du 4 au 8 juin, pour lui donner le temps de l'achever. On était arrivé au 2 juin, lorsque le baron de Brunow, ministre des finances de Prusse, vint avertir le comte Beuguot que départ des souverains étrangers était fixé au 5 juin, et qu'il fallait que le 4 la Constitution fût proclamée, comme Louis XVIII l'avait promis. M. Beugnot se récria en vain contre cette échéance à jour fixe et si rapprochée. C'était un parti pris, et un délai fatal.

le

Les souverains étrangers avaient hâte de retourner dans leurs États, dont ils étaient depuis longtemps éloignés. Leur impatience naturelle était aiguisée par plusieurs motifs: d'abord la nécessité de mettre ordre aux affaires intérieures de leurs gou

vernements; puis une autre considération presque aussi grave: par un effet imprévu de l'invasion, la France envahie attirait l'or de l'Europe victorieuse. Ces milliers d'officiers étrangers rassemblés dans notre capitale appauvrissaient leur pays par les demandes continuelles d'argent qu'ils adressaient à leurs familles. M. de Metternich dit lui-même à M. de Vitrolles «< qu'il fallait en finir, ne fût-ce que pour mettre un terme aux demandes d'argent que les officiers faisaient chez eux pour le dépenser à Paris. » La civilisation française prélevait d'immenses tributs sur la victoire européenne. Avant de retourner dans leurs États, les souverains étrangers devaient faire un voyage en Angleterre ; c'était pour eux une raison de plus d'exiger que la Charte fût promulguée le 4 juin.

Les commissaires du roi se réunirent chez le chancelier, et tombèrent d'accord que, pris court comme on l'était, il devenait impossible de rien régler pour les élections et qu'on était forcé de laisser à la législature le soin de compléter sur ce point la Charte. On convint qu'on se bornerait à discuter le dernier chapitre, intitulé: Droits particuliers garantis par l'État, et l'on prévint confidentiellement les membres de la commission de la nécessité de borner là leur travail et de le terminer dans la séance même. Il y avait là une force de choses que tout le monde subissait. Le dernier chapitre passa sans discussion, aussi bien que les articles transitoires.

Toute la Charte se trouva donc discutée et votée en cinq séances, sous la pression de cette impatience étrangère qui n'accordait aucun délai. M. Beugnot fut chargé d'employer les vingt-quatre heures qui restaient à revoir l'ensemble du travail, à lui donner une rédaction définitive et à composer un préambule.

Les commissaires ne s'entendaient point et manquaient de temps pour se mettre d'accord sur le nom qu'on donnerait à l'acte qui allait être proclamé, et sur la forme dans laquelle il

serait publié. Le chancelier, avec ses souvenirs du parlement, était d'avis de l'appeler Ordonnance de réformation, et de l'envoyer à l'enregistrement des cours et des corps administra tifs. M. Ferrand aurait désiré qu'on l'appelât Acte constitutionnel, et, sans décliner l'enregistrement par les cours et les corps administratifs, il opinait pour qu'il fût aussi envoyé à l'acceptation des assemblées de canton. M. Beugnot combattait ces deux dénominations. Il avait été positivement expliqué, dans la commission, que l'acte dont il s'agissait était un proprio motu de la royauté, qui, dans la plénitude de sa souveraineté et de sa liberté, avait voulu faire certaines concessions. On ne pouvait donner à ces concessions le nom d'acte constitionnel, qui suppose un concours entre le Roi et le pays pour établir un nouvel ordre de choses. Le mot d'Ordonnance de réformation ne convenait pas mieux. Dans notre ancienne jurisprudence, en effet, cette expression n'est appliquée qu'aux lois qui avaient pour objet la réforme de quelques abus introduits dans l'État. Le mot d'édit vaudrait mieux; mais il reporte vers l'idée du parlement, qui enregistrait les édits ou y faisait des remontrances. Puisqu'il s'agit d'une concession faite librement par un Roi à ses peuples, le mot de Charte, consacré par l'histoire, devient le mot propre. C'est la Charte des droits, la Grande Charte comme en Angleterre, ou la Charte constitutionnelle. Quant à la forme, l'essentiel était que le Roi fit publiquement le don et l'octroi de la Charte à ses sujets. Sans doute il serait désirable que ce don pût être fait devant la France entière, réunie en assemblées primaires; mais le temps manquait pour cette convocation. Il fallait done, puisqu'on ne pouvait s'adresser à la France assemblée, s'adresser aux deux corps qui la représentent dans une certaine mesure, le Sénat et le Corps législatif.

Cette dernière opinion rencontrait des objections assez vives. Le Sénat et le Corps législatif pouvaient-ils être acceptés comme

des corps assez consistants pour recevoir le serment royal, quand on songeait que le premier allait disparaître, et que le second avait été élu sous le gouvernement précédent? N'était-il pas plus convenable d'envoyer la Charte à l'acceptation des assemblées de canton? M. Ferrand insistait tellement sur la nécessité de s'adresser ainsi directement à la nation, au lieu de s'adresser à deux assemblées placées dans une situation aussi équivoque, que le Roi ne voulut rien décider et demanda. un nouveau rapport à M. Beugnot.

Les difficultés semblaient se multiplier dans ces derniers moments, parce qu'elles apparaissaient toutes à la fois. De quelle époque le Roi daterait-il le commencement de son règne? Dans la déclaration de Saint-Ouen, on avait éludé la difficulté en datant simplement cet acte du 2 mai 1814. Mais il n'y avait plus moyen de reculer; il fallait donner à la Charte une date. royale. Quelle serait cette date?

M. Beugnot rappelait les principes constitutifs de la monarchie Le mort saisit le vif; le Roi est mort, vive le Roi! Il alléguait aussi des exemples. Charles VII n'avait-il pas daté son règne du jour de la mort de Charles VI, en dépit du traité de Troyes et de l'assentiment que les grands corps de l'État, la capitale et la majorité des provinces y avaient donné? Henri IV aussi n'avait-il pas daté son règne du jour de la mort de Henri III, quoique la reconnaissance de sa souveraineté, abstraction faite de la fureur des partis, fût encore une question, et même une question légale?

Exemples peu concluants, il faut le dire, pour le cas qu'il s'agissait de régler. Charles VII et Henri IV, en effet, n'avaient pas quitté la France, ils y avaient toujours eu un drapeau levé, des provinces soumises; de fait comme de droit, ils y avaient régné à partir de la mort de leurs prédécesseurs. La situation de Louis XVIII, absent depuis 1789, et qui depuis quatorze ans n'avait pas eu d'autorité sur un pouce du territoire français,

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