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voix accentuée et sonore, avec un geste juste et mesuré, et une pose toute royale:

Messieurs, dit-il, lorsque pour la première fois je viens dans cette enceinte m'environner des grands corps de l'État, des représentants d'une nation qui ne cesse de me prodiguer les plus touchantes marques de son amour, je me félicite d'être devenu le fidèle dispensateur des bienfaits que la divine Providence daigne accorder à mon peuple.

J'ai fait avec l'Autriche, la Russie, l'Angleterre et la Prusse une paix dans laquelle sont compris leurs alliés, c'est-à-dire tous les princes de la chrétienté. La guerre était universelle, la réconciliation l'est pareillement.

« Le rang que la France a toujours occupé parmi les nations n'a été transféré à aucune autre et lui demeure sans partage. Tout ce que les autres États acquièrent de sécurité accroît également la sienne, et par conséquent ajoute à sa puissance véritable. Ce qu'elle ne conserve pas de ses conquêtes ne doit donc pas être regardé comme retranché de sa force réelle.

La gloire des armées françaises n'a reçu aucune atteinte; les monuments de leur valeur subsistent, et les chefs-d'œuvre des arts nous appartiennent désormais par des droits plus stables et plus sacrés que ceux de la victoire.

D.

Les routes du commerce vont être libres. Le marché de la France ne sera plus seul ouvert aux productions de son sol et de son industrie. Celles dont l'habitude lui a fait un besoin ou qui sont nécessaires aux arts qu'elle exerce lui seront fournies par les possessions qu'elle recouvre. Elle ne sera plus réduite à s'en priver ou à ne les obtenir qu'à des conditions ruineuses. Nos manufactures vont refleurir, nos villes maritimes vont renaître, et tout nous promet qu'un long calme au dehors et une félicité durable au dedans seront les heureux fruits de la paix.

« Un souvenir douloureux vient toutefois troubler ma joie. J'étais né, je me flattais de rester toute ma vie le plus fidèle sujet du meilleur des rois; et j'occupe aujourd'hui sa place! Mais du moins il n'est pas mort tout entier, il revit dans ce testament qu'il destinait à l'instruction de l'auguste et malheureux enfant auquel je devais succéder! C'est les yeux fixés sur cet immortel ouvrage, c'est pénétré des sentiments qui le dictèrent, c'est guidé par l'expérience et secondé par les conseils de plusieurs d'entre vous que j'ai rédigé la Charte constitutionnelle dont vous allez entendre la lecture, et qui assoit sur des bases solides la prospérité de l'État.

« Mon chancelier va vous faire connaître, avec plus de détails, mes intentions paternelles.

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L'effet de ce discours fut grand. La partie difficile, celle qui concernait la restitution de nos conquêtes, avait été touchée avec une délicatesse exquise. La gloire de nos armées avait trouvé un juste et consolant témoignage. Les avantages du nouveau gouvernement, la paix, ce besoin du monde, le commerce renaissant avec le rétablissement des relations internationales, la prospérité et le bien-être qui en sont la suite, et tous les bienfaits d'un régime réglé par les lois, avaient été annoncés avec la Charte rattachée d'une manière touchante au testament de Louis XVI. Après tant d'années d'interruption, on avait reconnu l'accent d'un roi de France.

L'impression durait encore quand le chancelier prit la parole, selon l'ancien usage, pour développer ce que le Roi n'avait fait qu'indiquer. On éprouvait les inconvénients de la précipitation avec laquelle les actes préliminaires de la Charte avaient dû être rédigés, et du défaut de concert qui avait régné dans tous ces travaux. Le Roi, le chancelier, M. Beugnot, avaient travaillé, on l'a vu, sans s'être concertés; à peine le chancelier avait-il eu le temps de donner une lecture rapide de son travail dans le conseil. Il en résultait que chacun avait donné à ses paroles une empreinte fortement individuelle. Le chancelier, homme d'une probité antique, mais peu favorable aux nouvelles idées, et qui aurait voulu que le Roi se contentât de promulguer « une ordonnance de réformation, » avait abondé dans ses opinions personnelles, et avait même donné à la Charte ce nom qui lui convenait peu. Toute la pensée de son discours était de montrer réunis en principe, dans les mains du Roi, les pouvoirs que le Roi venait de partager en fait avec les Chambres. Cette satisfaction purement théorique qu'il donnait à ses idées propres fournissait aux esprits méfiants un prétexte de soupçonner une arrière-pensée bien éloignée des idées de cet homme d'une probité rigide, qui,

la Charte une fois donnée, croyait qu'elle devait être main

tenue.

Voici le discours de M. Dambray :

« Vous venez d'entendre les paroles touchantes et les intentions paternelles de Sa Majesté. C'est à ses ministres à vous faire les communications importantes qui en sont la suite.

« Quel magnifique et touchant spectacle que celui d'un roi qui, pour s'assurer de nos respects, n'avait besoin que de ses vertus; qui déploie l'appareil imposant de la royauté pour apporter à son peuple, épuisé par vingt cinq ans de malheurs, le bienfait si désiré d'une paix honorable, et celui non moins précieux d'une ordonnance de réformation, par laquelle il éteint tous les partis comme il maintient tous les droits.

« Il s'est écoulé bien des années depuis que la Providence divine appela notre monarque au trône de ses pères. A l'époque de son avénement, la France égarée par de fausses théories, divisée par l'esprit d'intrigue, aveuglée par de vaines apparences de liberté, était devenue la proie de toutes les factions comme le théâtre de tous les excès, et se trouvait livrée aux plus horribles convulsions de l'anarchie. Elle a successivement essayé de tous les gouvernements jusqu'à ce que le poids des maux qui l'accablaient l'ait enfin ramenée au gouvernement paternel qui, pendant quatorze siècles, avait fait sa gloire et son bonheur.

« Le souffle de Dieu a renversé ce colosse formidable de puissance qui pesait sur l'Europe entière; mais sous les débris d'un édifice gigantesque, encore plus promptement détruit qu'élevé, la France a retrouvé du moins les fondements inébranlables de son antique monarchie.

« C'est sur cette base sacrée qu'il faut élever aujourd'hui un édifice durable que le temps et la main des hommes ne puissent plus détruire. C'est le Roi qui en devient plus que jamais la pierre fondamentale; c'est autour de lui que tous les Français doivent se rallier. Et quel roi mérita jamais mieux leur obéissance et leur fidélité! Rappelé dans ses États par les vœux unanimes de ses peuples, il les a conquis sans armée, les a soumis par amour; il a réuni tous les esprits en gagnant tous les cœurs.

« En pleine possession de tous les droits héréditaires sur ce beau royaume, il ne veut exercer l'autorité qu'il tient de Dieu et de ses pères qu'en posant lui-même les bornes de son pouvoir.

"Loin de lui l'idée que la souveraineté doive être dégagée des contrepoids salutaires qui, sous des dénominations différentes, ont constamment existé dans notre Constitution. Il y substitue lui-même un établissement de pouvoir tellement combiné, qu'il offre autant de garanties pour la nation que de sauvegarde pour la royauté. Il ne veut être que le chef

suprême de la grande famille dont il est le père. C'est lui-même qui vient donner aux Français une Charte constitutionnelle appropriée à leurs désirs comme à leurs besoins, et à la situation respective des hommes et des choses.

<< L'enthousiasme touchant avec lequel le Roi a été reçu dans ses États, l'empressement spontané de tous les corps civils et militaires, ont convaincu Sa Majesté de cette vérité si douce pour son cœur, que la France était monarchique par sentiment et regardait le pouvoir de la couronne comme un pouvoir tutélaire nécessaire à son bonheur.

«Sa Majesté ne craint donc point qu'il puisse rester aucun genre de défiance entre elle et son peuple: inséparablement unis par les liens du plus tendre amour, une confiance mutuelle doit cimenter leurs engagements.

« Il faut à la France un pouvoir royal protecteur, sans pouvoir devenir oppressif; il faut au Roi des sujets aimants et fidèles, toujours libres et égaux devant la loi. L'autorité doit avoir assez de force pour déjouer tous les partis, comprimer toutes les factions, imposer à tous les ennemis qui menacent son repos et son bonheur.

«La nation peut en même temps désirer une garantie contre tous les genres d'abus dont elle vient d'éprouver les excès.

« La situation momentanée du royaume, après tant d'années d'orages, exige enfin quelques précautions, peut-être même quelques sacrifices, pour apaiser toutes les haines, prévenir toutes les réactions, consolider toutes les fortunes, amener en un mot tous les Français à un oubli généreux du passé et à une réconciliation générale.

«Tel est, Messieurs, l'esprit vraiment paternel dans lequel a été rẻdigée cette grande Charte que le Roi m'ordonne de mettre sous les yeux de l'ancien Sénat et du dernier Corps législatif.

« Si le premier de ces corps a pour ainsi dire cessé d'exister avec la puissance qui l'avait établi, si le second ne peut avoir sans l'autorisation du Roi que des pouvoirs incertains et déjà expirés pour plusieurs de ses séries, leurs membres n'en sont pas moins l'élite des notables du royaume. Aussi le Roi les a-t-il consultés en choisissant dans leur sein les membres que leur confiance avait plus d'une fois signalés à l'estime publique. Il en a pour ainsi dire agrandi son conseil, et il doit à leurs sages observations plusieurs additions utiles, plusieurs restrictions importantes.

« C'est le travail unanime de la commission dont ils ont fait partie qui va être mis sous vos yeux pour être ensuite porté aux deux Chambres créées par la Constitution, et envoyé à tous les tribunaux comme à toutes les municipalités.

« Je ne doute pas, Messieurs, qu'il n'existe parmi vous un enthou

siasme de reconnaissance qui, du sein de la capitale, se propagera bientôt jusqu'aux extrémités du royaume. »>

Quelques oreilles trouvèrent ces paroles malsonnantes après celles du Roi. Cette insistance à rappeler que les deux corps devant lesquels on lisait la Charte constitutionnelle n'avaient que des pouvoirs éteints blessa plusieurs des auditeurs. Le chancelier allait au delà de la réalité des choses, en présentant la Charte comme une pure concession octroyée par Louis XVIII dans la plénitude de sa puissance. La transaction faite d'abord par le comte d'Artois, ensuite par le Roi luimême avec le Sénat, si elle n'avait pas été publiquement avouée, était connue de plusieurs, évidente pour tous. Ce pouvoir absolu, dont on se montrait si jaloux dans la théorie, avait fléchi dans la pratique. On n'en sauvait les apparences qu'en faisant concéder par le Roi, au nom d'un pouvoir constituant qui n'avait jamais appartenu aux rois de France, dans un pays constitué par des lois anciennes, les droits essentiels à une nation civilisée et éclairée, aussi bien que les concessions que le Sénat impérial, appuyé par l'empereur Alexandre, avait demandées.

Ce discours avait en outre l'inconvénient d'insister sur ce qu'il y avait de faux dans la situation : ce Sénat et ce Corps législatif de l'Empire, qui, en un moment, allaient se trouver transformés en une Chambre des pairs et une Chambre des députés de la monarchie; ce Corps législatif surtout qui allait tenir du Roi les pouvoirs que les électeurs seuls auraient pu lui donner. Il y avait là un fond d'anomalies et de contradictions, entrevues tout d'abord par l'instinct public, et dont la malveillance, toujours si clairvoyante, allait profiter au détriment de la royauté. On subissait déjà les inconvénients de la fausse position qu'on avait acceptée en restant en présence des deux grands corps constitués de l'Empire déchu, au lieu de se mettre en présence de la France.

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