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symptômes dans l'exclusion des régicides de la Chambre des pairs.

Le ministère, effrayé du bruit qui se faisait autour de la Charte, essaya d'obtenir du silence en maintenant les règlements impériaux sur l'imprimerie et la librairie, jusqu'à la présentation d'une loi sur la presse. On appliqua donc le décret du 5 février 1810, qui autorisait le directeur général de la librairie à indiquer à l'auteur les suppressions et changements jugés convenables, et, sur son refus, à défendre la vente de l'ouvrage, à faire rompre les formes et saisir les feuilles ou exemplaires déjà imprimés. M. Royer-Collard, que l'abbé de Montesquiou venait de nommer directeur de la librairie, fut chargé de l'exécution de l'ordonnance qui, sans rappeler les termes du décret impérial, la remettait de fait en vigueur, en alléguant seulement la nécessité de réprimer les abus. On voulait imposer silence aux critiques, parce qu'on ne pouvait leur faire la seule réponse sincère, sinon plausible, c'est que le temps de la réflexion avait manqué, et qu'il avait manqué par l'impatience des souverains étrangers, et surtout du chef principal de la coalition. Cette réponse aurait compromis le pouvoir en le justifiant.

La monarchie allait donc entrer dans la tâche difficile et ardue du gouvernement, après les désastres de l'Empire, avec une Charte qui, à côté de principes incontestables, de dispositions essentielles et nécessaires, en contenait d'inutiles, d'imprudentes, d'injustes même; Charte improvisée en partie d'après les idées qui, en 1789, n'avaient pu recevoir leur application à cause des courants révolutionnaires, et rédigée sur les exigences individuelles d'intérêts égoïstes. Elle allait avoir dans cette tâche deux auxiliaires peu sûrs: le Sénat de l'Empire légèrement tempéré par l'adjonction de l'ancienne aristocratie de cour, pleine d'inexpérience dans la politique; le Corps législatif de l'Empire, qui avait rapporté de sa lutte tardive

contre l'omnipotence napoléonienne un constitutionnalisme défiant, jaloux, et empressé à se produire. Elle avait à marcher dans les voies d'un régime tout nouveau en France, sans avoir cherché à connaître, par des élections, les dispositions actuelles, les opinions dominantes, les intérêts de cette nation qu'elle était appelée à gouverner. Par une singulière anomalie, elle introduisait le gouvernement représentatif dans la machine à centralisation la plus formidable qui eût existé, sans qu'on pût prévoir l'effet que produirait ce mélange de la liberté politique avec l'omnipotence administrative poussée jusqu'à ses dernières limites. Cette difficile expérience allait être tentée sans que le gouvernement royal possédât, dans une représentation vraie et actuelle des intérêts et des idées du pays, une lumière pour l'éclairer à la fois sur les choses à faire et les fautes à éviter, une force pour lutter en même temps contre les embûches et les attaques de ses adversaires et les entraînements et les imprudences de ses amis. Situation pleine de périls! Les écueils étaient à chaque pas, et les pilotes n'avaient pas plus que les passagers l'expérience de la manœuvre et la connaissance des parages où naviguait le vaisseau de l'État. Sans doute la faveur publique accompagnait le gouvernement royal au départ, et l'immense assentiment qui avait accueilli la Restauration à son avénement la suivait. Mais ce n'était là qu'un appui moral, et la réalité, toujours au-dessous de l'idéal, sans parler des fautes inévitables dans une position si difficile, pouvait l'affaiblir. Les deux seules forces organisées, l'armée et l'administration, dataient de l'Empire. L'armée surtout, qui avait conservé l'organisation impériale, en partie même les numéros des régiments et les souvenirs vivaces de leurs légendes historiques et de tant de prodiges militaires accomplis avec Napoléon, appartenait plus à l'empereur qu'à la France. En outre, d'un bout du royaume à l'autre, il y avait comme une suite d'étapes militaires, for

mée des officiers que la réduction de l'armée laissait sans emplois, traînée de poudre qui pouvait s'allumer en un instant. Enfin Napoléon, précipité du trône par des revers imprévus, encore dans la vigueur de l'âge et dans l'enivrement de ses rêves ambitieux, était à l'île d'Elbe, à vingt-quatre heures seulement du littoral français.

LIVRE QUATRIÈME

SESSION DE 1814. CONGRÈS DE VIENNE

PREMIERS ESSAIS DE GOUVERNEMENT. — ORDONNANCES SUR LA CÉLÉBRATION DU DIMANCHE. GRADES. DÉCORATIONS. PREMIERS DÉBATS.-LOI SUR LA PRESSE.

SESSION DE 1814.

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La paix était conclue, la Charte promulguée; les armées étrangères évacuaient le territoire national: il fallait gouverner. Tâche difficile et ardue! Qui gouvernerait? Le Roi? Il connaissait peu le pays, et les infirmités prématurées dont il était accablé, en lui laissant toute la vivacité de son esprit, lui avaient fait perdre cette activité et cette puissance d'application nécessaires aux devoirs du gouvernement. Le ministère ? Il n'était point homogène, on l'a vu, il manquait d'autorité morale, et bien qu'il comptât dans son sein des esprits distingués, il ne contenait pas un seul homme de direction politique. Les Chambres? La Chambre des pairs, formée de serviteurs de l'Empire choisis parmi les hommes de la Révolution, et d'hommes de l'ancienne cour, quelques-uns revenus récemment de l'émigration, presque tous étrangers aux affaires, n'avait ni unité, ni initiative, ni autorité morale, et ne pouvait donner l'impulsion. La Chambre des députés aspirait à

prendre cette position, mais elle était pleine d'inexpérience, et elle appartenait, par la date de son élection, à un mouvement d'opinion qui devait créer des embarras. C'était une Chambre longtemps comprimée et humiliée par la toutepuissance impériale, qui aspirait à se relever de cette humiliation en attirant à elle l'initiative, et qui devait par conséquent rechercher les occasions de jouer un rôle. Quoiqu'elle eût des sympathies sincères pour la Restauration, elle était en grande partie animée d'un esprit instinctif d'opposition contre les actes du gouvernement, comme si elle eût voulu racheter sa longue docilité par un esprit d'indépendance qui allait jusqu'à une susceptibilité ombrageuse. Ceux qui ont étudié les secrètes réactions de la nature humaine ne s'étonneront pas de cette disposition. La nuance dominante de cette Chambre appartenait aux opinions formalistes de la Constituante; elle avait leur défiance contre tout ce qui vient du pouvoir, leur confiance absolue dans certaines théories, leur foi présomptueuse en elles-mêmes.

Tels étaient les moyens de gouvernement avec lesquels la, Royauté allait aborder une situation pleine de difficultés, car la Charte, destinée à pacifier les discordes et les luttes, les avait laissées subsister dans toute leur violence. Les questions qu'elle avait fermées restaient ouvertes pour beaucoup d'esprits, et les partis ne s'étaient point fait entre eux les concessions qu'elle avait faites à la paix publique. La tribune, la presse, ces deux grands moyens d'action dans les gouvernements libres, quand ils sont organisés et qu'ils reposent sur le respect de tous pour des institutions de pouvoir et de liberté également incontestées, allaient donc devenir des arènes de combats et des leviers de destruction. Il y avait dans la population un sentiment général qui pouvait être facilement exploité par les partis contraires, c'était une surprise chagrine de voir les hommes de l'ancienne noblesse, exclus des affaires, pour la

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