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tereau, et à qui le mouvement des troupes ennemies pour suivre Schwarzenberg sur la Marne avait permis enfin de passer par Sens et par Troyes. Chaque dépêche contenait un nouvel avis de se hâter. Napoléon ordonna au général Dejean, son aide de camp, de partir à franc étrier pour annoncer son retour à Paris. Il ne partit point lui-même, comme il aurait pu le faire, puisque la route était libre; il semblait avoir perdu cette confiance dans sa fortune qui était le principe de son activité; il délibérait quand il aurait fallu agir, et il expédiait des aides de camp quand il aurait fallu sa présence pour dé– fendre sa cause, si elle pouvait encore être défendue.

Après cette halte à Doulencourt, on se remit en marche et l'on arriva à Troyes dans la nuit. De Troyes, le prince de Neuchâtel dépêcha le général Girardin à Paris, pour multiplier les avis de retour. Le 30 mars, au matin, Napoléon se remit en route. Il marcha militairement jusqu'à Villeneuve-sur-Somme, situé au point presque intermédiaire entre Troyes et Montereau. Là seulement, rassuré sur la sécurité de la route, il se jeta dans une carriole de poste; il apprit successivement, en changeant de chevaux, les nouvelles les plus funestes pour sa cause : l'arrivée des coalisés devant Paris, le départ de l'Impératrice et du roi de Rome pour Blois, la bataille engagée par une poignée d'hommes contre les immenses armées des coalisés. Napoléon dévorait l'espace; les roues de sa carriole brûlaient le pavé, et il pressait encore du geste et de la voix les conducteurs. Arrivera-t-il à temps? Comme pour ce personnage de Shakspeare, l'Empire était pour lui au prix de la vitesse d'un cheval. Son œil interrogeait l'horizon; son oreille, les bruits apportés par les vents; son esprit, les chances de sa fortune. C'était une de ces tortures morales qui abrégent la vie. Les minutes pesaient sur lui comme des siècles. Le soir, il devait être aux portes de Paris, à Fromenteau, près des fontaines de Juvisy; mais Paris tenait-il encore?

Hist, de la Restaur. I.

V

BATAILLE ET CAPITULATION DE PARIS.

Aucun préparatif sérieux n'avait été fait pour la défense de la capitale. Il était évident que les hommes préposés par l'Empereur à cette tâche restaient au-dessous de leur mission ou ne voulaient pas la remplir; mais, dans l'une et l'autre alternative, la responsabilité remonte jusqu'à celui qui avait choisi de semblables instruments, et qui, s'éloignant de Paris, n'avait pourvu ni à l'unité, ni à l'habileté, ni à l'énergie du commandement. Il y avait, il faut le dire, un sentiment général qui pénétrait dans toutes les âmes : c'est que Paris ne voulait ni ne devait être sacrifié à la prolongation du pouvoir de Napoléon, qui, tout le monde commençait à le voir, courait à sa perte. C'est de ce sentiment que n'ont pas tenu assez compte ceux qui, depuis l'événement, ont curieusement recherché les ressources qu'on aurait pu mettre en valeur, soit en hommes, soit en matériel. Les parcs d'artillerie, les arsenaux pleins de fusils, les magasins de poudre, les dépôts des régiments, la garde nationale disponible, tout a été soigneusement supputé par des calculateurs qui ont oublié qu'à tout cela manquait la grande âme qui avait animé de son souffle la défense de Sagonte du temps des Romains, d'Orléans sous Charles VII, et de Saragosse de nos jours, la résolution de mourir pour la religion, pour la royauté, pour la nationalité, pour la liberté, pour la patrie. Ici, au contraire, on comprenait instinctivement qu'il n'y avait de menacés que la domination d'un seul, son esprit de conquête, son ambition trop à l'étroit dans l'Europe. Ceux qui auraient dû donner des ordres n'en donnaient pas, et ceux qui, dans d'autres circonstances, auraient pris

l'initiative ne songeaient pas à la prendre. La population était inerte et le gouvernement inactif. Les émissaires des hommes qui, par devoir, s'occupaient de la défense, attendaient pendant des heures entières le réveil du roi Joseph qui tenait sans doute à prouver que les minuties de l'étiquette, si souvent reprochées aux vieilles dynasties, sont au nombre des emprunts que leur font le plus facilement et le plus volontiers les dynasties nouvelles'.

Paris n'offrait de défenses naturelles que sur un cinquième environ de sa circonférence. Depuis Rosny jusqu'au faubourg de la Villette, une chaîne de collines continues s'élève; Romainville est le point culminant de cette chaîne. Depuis la Villette jusqu'à Montmartre, le terrain ne présente aucun accident; il n'y avait donc pour défense que les deux faubourgs et les maisons construites au dehors des barrières. Il en était de même de Montmartre à Neuilly. De l'autre côté de la Seine, Paris était abordable par tous les points, car on ne trouvait nulle part de hauteur qui pùt servir à arrêter l'ennemi. Cette configuration de Paris était sans doute au nombre des motifs qui ôtaient aux lieutenants de l'Empereur l'espoir d'en défendre les abords. Il était évident qu'au bout de quelques heures les chefs des coalisés, en examinant les divers points par lesquels on peut aborder la ville, découvriraient les points d'attaque sur lesquels la résistance était impossible. Le bonheur voulut que l'ennemi arrivât par le côté que protégeaient des défenses naturelles.

Le 29 mars 1814, à trois heures de l'après-midi, les têtes de colonnes de Schwarzenberg occupaient Rosny et le bas de Romainville, et faisaient halte dans cette position, convaincues qu'il y avait des obstacles devant elles. Ce ne fut que dans la

( Me

1. « Je rentrai à Paris et je ne pus jamais joindre Joseph Bonaparte. Le miaistre de la guerre même ne fut accessible qu'à dix heures du soir. moires du dac de Raguse, tome VI, page 241.)

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soirée que Marmont et Mortier, qui avaient franchi la Marne au pont de Charenton, tournèrent Paris par Saint-Mandé et Charonne, et prirent position à leur tour à Belleville, à Bagnolet et aux villages environnants, sur les collines destinées à devenir le lendemain le théâtre de la lutte. Le duc de Raguse visita aussitôt les buttes de Chaumont et de Belleville, dernières positions militaires qu'il eût songé à étudier dans ses longues campagnes. Il reconnut que les nombreux murs des jardins attenant aux maisons gêneraient les mouvements de ses troupes, et, voulant donner un peu de repos à ses soldats harassés, il se rendit au ministère de la guerre afin de demander les ouvriers nécessaires pour faire quelques travaux pendant la nuit, et réclama les vivres, les fourrages, les souliers, dont son corps avait un pressant besoin. Mais le ministre de la guerre était invisible comme Joseph Bonaparte; le duc de Raguse ne put rien obtenir, rien même demander; il dut laisser en se retirant une lettre pour le duc de Feltre, qui ne la lut que le lendemain'.

Les troupes qui allaient défendre Paris étaient en bien petit nombre. Les forces réunies des ducs de Raguse et de Trévise n'arrivaient pas, d'après les évaluations les plus élevées, à sept mille fantassins et deux mille cavaliers. Deux petits corps, sous les ordres des généraux Compans et Arrighi, allaient à peine à cinq mille hommes; en ajoutant à ce chiffre environ deux mille hommes de la garde, quelques centaines de gardes nationaux volontaires, et un certain nombre de soldats de toutes armes tirés des dépôts et placés sous les ordres du ministre de

1. On lit dans le Journal des opérations du sixième corps, par le colonel Fabvier: « On croira difficilement que, quand nos troupes arrivèrent à Charenton, Belleville, etc., elles n'y trouvèrent pas une ration de vivres ni de fourrages, et que le lendemain plus de trois cents hommes combattirent pieds nus, tandis que depuis longtemps les administrations militaires étaient à Brie-Comte-Robert avec un énorme convoi de vivres et d'effets d'habillement.» (Page 65.)

la guerre et du commandant de la division, on a de la peine à l'élever au-dessus d'un effectif de seize mille combattants 1. C'était avec cette faible armée, qui n'avait rien d'homogène et qui avait en outre l'inconvénient de ne pas être concentrée sous le même commandement, et d'obéir à plusieurs chefs indépendants les uns des autres, que l'on allait tenter de lutter contre les forces formidables arrivées devant Paris et qu'on ne peut évaluer à moins de cent vingt mille hommes, dont soixante-treize mille hommes furent engagés. Le duc de Raguse, commandant en chef les deux petits corps formant un effectif de neuf mille hommes, se chargea de défendre les approches de Paris à droite de la route de Meaux; il laissa au duc de Trévise le soin de couvrir la ligne qui s'étend à gauche de cette route. Comme la position de l'ennemi indiquait que l'attaque principale serait dirigée contre le duc de Raguse, celui-ci partagea inégalement les troupes, garda son corps réduit à deux mille cinq cents fantassins et huit cents chevaux, y ajouta les cinq mille fantassins et les sept cents cavaliers du général Compans, et laissa deux mille hommes au duc de Trévise.

« Le 30 mars, avant le jour, dit un des plus vigoureux soldats de cette suprême lutte, les troupes montèrent à Belleville et à Ménilmontant; l'ennemi était en avant de Romainville; on l'attaqua fortement; il fut repoussé et notre ligne rétablie : la gauche au moulin de Romainville, tenant tout le petit bois; la droite aux maisons les plus élevées de Bagnolet et au moulin de Malassise. Une partie de notre cavalerie resta à droite dans la plaine; le reste fut envoyé à gauche avec celle du duc de Trévise. On se battit dans cette position jusqu'à dix heures avec un grand acharnement. A dix heures, notre droite fut forcée et notre gauche recula jusque hors du petit bois. Le

1. C'est le chiffre donné par le colonel Fabvier.

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