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1263. On oppose à cette doctrine que, suivant l'article 614 du code, l'usufruitier est tenu de dénoncer au propriétaire toutes les usurpations ou entreprises qui peuvent être faites sur le fonds, faute de quoi il est responsable des suites, comme il le serait des dégradations commises par lui-même; d'où l'on voudrait conclure qu'il faut bien que le législateur l'ait regardé comme inhabile à former la complainte, puisqu'il veut que le propriétaire soit averti pour l'intenter lui-même : mais ne doit-on pas plutôt tirer de cette disposition une conséquence toute contraire?

Les actions possessoires exigent toujours de la célérité, puisqu'elles doivent être intentées dans l'année, si donc le propriétaire n'était pas présent sur les lieux, l'usufruitier qui doit, à temps utile, lui dénoncer l'usurpation, à peine de répondre des suites, pourrait se trouver chargé de cette redoutable garantie, par le seul fait d'un tiers, sans qu'il lui fût possible de s'en mettre à couvert, s'il ne ui était pas permis d'agir lui-même: eut-on, sans calomnier le législateur, outenir qu'il ait voulu placer l'usufruitier dans une pareille position?

S

Et d'ailleurs comment les droits de l'usufruitier pourraient-ils dépendre du plus ou moins d'activité ou de négligence du propriétaire qui peut être empêché ou différer de se pourvoir à temps utile, après que l'entreprise lui aura été dénoncée?

1264. Concluons donc que l'usufruitier a, dans son intérêt propre, les actions possessoires, nonobstant l'obliga

tion qui pèse sur lui de dénoncer au propriétaire les entreprises qui peuvent être faites sur le fonds grevé d'usufruit, pour que ce dernier soit aussi mis à portée de défendre par tous les moyens qu'il jugera convena! les que si le tiers contre lequel l'usufruitier agit seul en complainte, est intéressé à ne pas voir recommencer l'action par le propriétaire, c'est bien là une raison d'appeler celui-ci dans la cause; mais ce ne pourrait être un juste motif d'en écarter l'usufruitier, et de lui refuser la qualité nécessaire pour ouvrir une action qui tend à conserver le domaine dans lequel il est associé.

1265. Mais l'usufruitier a-t-il les actions possessoires, même à l'encontre du propriétaire du fonds? Pourrait-il former complainte pour cause de trouble de la part de celui-ci?

Pour la négative, on dira que l'usufruitier ne peut pas avoir envers le propriétaire les mêmes droits qu'il aurait à l'encontre d'un tiers, puisque, comparativement au propriétaire, il n'est qu'un détenteur précaire; que le propriétaire étant le véritable possesseur, même quand l'usufruitier est en jouissance, il y aurait de la contradiction à vouloir l'évincer d'une possession qu'on est forcé de reconnaître pour être la sienne; qu'enfin cette décision paraît être aussi celle de la loi romaine qui s'exprime dans les termes suivans, sur le possesseur précaire comparé au véritable maître du fonds: Quod ait prætor in interdicto, nec vi, nec clàm, nec precariò, alter ab altero possidetis, hoc eò pertinet, ut si quis possidet vi, aut clàm, aut precariò, siquidem ab alio, prosit ei possessio; si verò ab adversario suo non debeat eum propter hoc, quod ab eo possidet, vincere. Has enim possessiones non debere proficere palàm est 1.

Nonobstant ces raisonnemens,

nous

croyons que l'usufruitier doit avoir l'exercice des actions possessoires, même contre le propriétaire qui voudrait s'entremettre dans la possession du fonds, ou

L. 1. §9, ff. uti possidetis, lib. 43, tit. 17.

qui apporterait du trouble à sa jouissance. Il faut, en effet, toujours en revenir à ce point de doctrine incontestable, c'est que la possession de l'usufruitier, en tant qu'elle s'applique au droit d'usufruit, ne peut être précaire du moment qu'il en jouit et le possède pour lui-même; mais dès qu'il a une possession civile et proprement dite, il faut bien qu'il puisse la revendiquer contre quiconque voudrait l'usurper; et en la revendiquant contre le propriétaire, il ne demande rien qui appartienne à celui-ci, puisqu'il n'exige que la possession de son usufruit. La loi veut que l'usufruit d'un fonds soit considéré comme un immeuble à part, civilement séparé de la nue propriété; il faut donc admettre toutes les conséquences qui dérivent de cette vérité de principe, et reconnaître dans l'usufruitier possesseur de cet immeuble, la faculté d'exercer toutes les actions possessoires. Loin qu'il soit permis de distinguer ici la cause du propriétaire de celle de toute autre personne tierce, c'est qu'il lui est spécialement défendu, par l'article 599 du code, d'apporter aucun trouble à la jouissance de l'usufruitier comment donc celui-ci n'aurait-il pas contre lui l'exercice de l'action en complainte?

1266. Si la loi romaine veut que le possesseur précaire ne puisse user de l'interdit uti possidetis à l'égard de celui dont il tient sa possession, c'est lorsqu'il s'agit du précaire proprement dit, tel qu'elle le définit elle-même; c'est-à-dire de celui qui peut être déjeté à volonté : precarium est quod precibus petenti utendum conceditur tandiù, quandiù is qui concessit, patitur1; or, l'usufruitier n'est pas un possesseur que le propriétaire puisse expulser à volonté; donc la disposition de la loi romaine rapportée plus haut n'est point applicable à sa cause.

l'exception de la chose jugée contre le propriétaire? ou, en d'autres termes, l'usufruitier est-il recevable à former tierce opposition à un jugement rendu contre le propriétaire seul, et par lequel on aurait adjugé le fonds en toute propriété à un tiers?

Cette question peut se présenter dans quatre hypothèses principales :

1° Lorsqu'après qu'un droit d'usufruit a été établi par un acte entre-vifs, le propriétaire a été condamné au délaissement du fonds en plein domaine, sans que l'usufruitier fût de cause;

2o Lorsque l'action en revendication du fonds était déjà ouverte avec le testateur qui en a légué l'usufruit, et que le jugement d'éviction n'a été prononcé qu'après son décès, contre l'héritier seulement, et sans avoir appelé l'usufruitier en reprise d'instance;

3o Si l'action en revendication du fonds n'a été intentée qu'après la mort du testateur et jugée avec l'héritier seul en qualité de cause;

4° Lorsque l'action intentée par l'héritier de la loi, n'a eu pour objet direct et immédiat que l'irrégularité d'un testament qu'il est parvenu à faire déclarer nul contre le légataire universel ou l'héritier institué, sans que le légataire de l'usufruit ait été appelé dans le procès.

Avant d'entrer dans l'examen des diverses discussions qui peuvent se rapporter à chacune de ces quatre hypothèses, nous examinerons d'abord ce que c'est que l'exception de la chose jugée, et sur quel principe repose le droit d'en repousser les effets.

Cette manière de procéder nons entrainera sans doute dans une digression un peu longue; mais nous espérons qu'on nous la pardonnera, soit parce que, dans la suite de cet ouvrage, il sera encore plus d'une fois question de l'application des principes que nous allons développer; soit parce que nous écrivons principale1267. L'usufruitier est-il passible de ment pour la jeunesse, c'est-à-dire pour

SIXIÈME QUESTION.

une classe d'hommes que nous ne devons pas suppposer être déjà parfaitement in'L. 1 in princip., ff. de precario, lib. 45, tit. 26. struits de toutes les règles que nous avons

à indiquer, et qu'en conséquence nous nous exposerions à n'être pas compris comme il faut, si, sans aucune discussion préalable sur l'intelligence des vrais principes de la matière, nous abordions de suite les questions qui s'y rattachent, et dont les solutions en dérivent.

Au surplus:

Indocti discant, et ament meminisse periti.

On entend, en général, par exceptions, les moyens que celui qui est actionné en justice oppose à la demande formée contre lui.

Dans les cas les plus ordinaires, les exceptions du défendeur ont pour but d'arrêter un premier procès : l'exception de la chose jugée est, au contraire, opposée par celui qui a obtenu gain de cause; et elle est opposée pour mettre obstacle au renouvellement d'un procès déjà terminé par la décision du juge. Elle fait nécessairement partie de nos institutions civiles, parce qu'il faut, pour la paix publique et le repos des familles, que les débats judiciaires entre les citoyens, aient un terme fixe, après lequel il ne soit plus permis de les renouveler. Elle est de toutes les exceptions la plus respectable, puisqu'elle se rattache à des considérations d'ordre général.,

Quoiqu'elle ne soit immédiatement fondée que sur la présomption du bien-jugé,. néanmoins lorsque tous les moyens de rétractation et de réformation d'un jugement sont épuisés, elle ne souffre l'admission d'aucune preuve contraire, et la loi veut qu'il ne soit permis de voir que l'expression de la vérité dans un jugement passé en force de chose jugée; d'où l'on a tiré cet axiome, res judicata pro veritate habetur.

Mais pour pouvoir user efficacement de cette exception, il faut être dans les con

ditions voulues par les règles de la justice; sans quoi celui à qui on l'oppose peut à son tour en écarter les effets, et pour cela il lui suffira d'établir, ou que le jugement dont sa partie adverse se prévaut contre lui, ne le concerne pas; ou que ce jugement ne porte pas sur la chose qui est aujourd'hui en litige.

1268. Voilà bien une nouvelle contestation, qui doit être reportée devant les juges compétens; mais son objet n'est pas de faire réformer, dans l'intérêt de celuilà même qui avait été condamné, la décision portée contre lui. Le but qu'on se propose dans cette seconde lutte tend seu-lement à faire voir que le jugement dont on se prévaut, n'est pas applicable à la cause actuelle, pris égard soit à la diversité de la chose en litige, soit à la diversité de la personne qui intente la nouvelle demande.

Les dispositions de nos lois qui statuent sur cette matière, ne sont pas nombreuses elles sont toutes contenues dans l'article 1351 du code civil, et dans l'article 474 du code de procédure.

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Article 1351 du code civil.

1269. « L'autorité de la chose jugée n'a « lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée << soit la même ; que la demande soit fon<< dée sur la même cause; que la demande << soit entre les mêmes parties, et formée « par elles et contre elles en la même qua<«<lité. >> Toutes ces conditions étaient déjà exigées à peu près dans les mêmes termes par les lois romaines ; et toutes sont cumulativement requises pour être passibles des effets du jugement qu'on nous oppose; quæ nisi omnia concurrant alia res est: mais reprenons les diverses parties de cet article.

1270. L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du ju

2 Vid. II. 12, 13 et 14, ff. de except. rei judicat.,

1 Ceux qui voudront arriver de suite à la solution de la question, n'ont qu'à recourir aux lib. 44, tit. 2. nos 1382, 1383, 1584 et 1390.

gement: ainsi, lorsqu'un tribunal a prononcé sur le possessoire en faveur de l'un des deux contendans, celui qui a obtenu gain de cause ne pourrait opposer l'exception de la chose jugée, pour écarter l'action au pétitoire qui serait ensuite intentée par l'autre; parce que le droit de propriété ne fait pas l'objet d'un jugement posses

soire.

1271. Il faut que la chose demandée soit la même, parce que les droits des parties restent nécessairement tout entiers pour tous objets sur lesquels le juge n'a pas prononcé ; mais pour que la chose demandée une seconde fois doive être ici considérée comme identique avec celle sur laquelle le juge a déjà statué, il n'est pas nécessaire qu'elle soit intégralement la même. Ainsi celui qui, après avoir été repoussé de la demande d'un troupeau entier, voudrait demander ensuite quelques-unes des bêtes qui le composent, comme celui qui, ayant été éconduit d'une première demande en revendication d'un fonds, ouvrirait une seconde action pour exiger le délaissement d'une partie du même héritage, seraient l'un et l'autre soumis à l'autorité du premier jugement rendu d'abord sur le tout. Il faut dire de même que, si une chose grevée d'usufruit a été revendiquée en plein domaine, il ne peut plus être permis d'en répéter l'usufruit contre celui qui en a obtenu l'adjudication en toute propriété, à moins qu'on n'agisse en vertu d'une cause autre que celle qui servait de fondement à la première action. La raison de tout cela est évidente: c'est qu'un jugement qui embrasse toute une chose, porte sur toutes les parties de cette chose; et qu'en conséquence celui qui, après avair été débouté de ses prétentions sur le tout, vient ensuite en répéter une partie, veut nécessairement ramener le juge à prononcer une seconde fois sur le même objet, et c'est là ce que la loi ne permet pas.

1272. Mais cette règle étant fondée sur ce que les parties d'une chose sont uni

1 L. 7. ff. eodem.

versellement renfermées dans le tout, ne doit pas avoir d'application dans l'hypotèse inverse où, après avoir été repoussé de la demande d'une partie seulement, on en reviendrait à ouvrir une nouvelle action pour obtenir le tout. Alors on ne pourrait pas dire que le juge serait ramené à prononcer une seconde fois sur la même chose, parce qu'il serait absurde de supposer que le tout répété par la seconde demande, eût été compris dans la partie qui aurait fait l'objet du premier jugement. Ainsi après avoir, sans succès, demandé spécialement quelques bêtes faisant partie d'un troupeau, il n'y aurait point lieu à l'exception de la chose jugée contre la demande ayant pour objet la revendication du troupeau tout entier, sauf néanmoins la distraction des individus qui auraient été le sujet de la première demande.

1273. Que la demande soit fondée sur la même cause; la cause consiste dans le principe générateur du droit réclamé : il faut qu'elle soit la même comme la chose qui est demandée; parce qu'en statuant sur les droits qui résultent d'une cause spéciale et déterminée, le juge a nécessairement laissé tout entiers les droits qui peuvent résulter d'une autre cause dont la connaissance et les effets n'ont point été soumis à sa décision.

Ainsi, à supposer que le vendeur d'un héritage se fût pourvu en nullité du contrat de vente pour cause de dol, erreur ou violence, et qu'il eût échoué, il ne serait pas non-recevable à en revenir à l'action en rescision du contrat pour cause de lésion, parce que cette seconde cause rentre dans un ordre autre que celles sur lesquelles le juge avait été d'abord appelé à prononcer, et qu'en statuant sur les premières, il n'aurait aucunement statué sur celles-ci.

Ainsi encore, un légataire soit d'usufruit, soit de propriété, qui a été repoussé de la demande en délivrance de son legs, par la raison que le testament en vertu duquel il agissait a été déclaré nul, ne

2 L. 21, §3, ff. eodem.

sera pas non-recevable à intenter une nouvelle action pour obtenir la délivrance de la même chose à lui léguée encore par un autre testament, parce qu'il n'intentera pas une demande fondée sur la même cause que celle qui avait été proscrite par le premier jugement.

Ainsi, au contraire, chaque fois qu'agissant en vertu d'un titre universel, comme celui d'héritier, par exemple, l'on a été repoussé, il n'est plus permis de revenir soit à la pétition d'hérédité, quand on a été éconduit de la revendication d'objets particuliers; soit à la demande de choses particulières, quand on a échoué sur l'action en pétition d'hérédité: et ideò si hæreditate petitâ singulas res petat; vel singulis rebus petitis hæreditatem petat exceptione summovebitur 1. Dans ce cas l'exception de la chose jugée est fondée tout à la fois sur l'identité de la chose, et principalement sur l'identité de la cause qui est le fondement de l'ac

tion.

1274. La loi romaine veut avec beaucoup de raison qu'on fasse une distinction entre les actions personnelles et les actions réelles lorsqu'il s'agit d'en déterminer les causes. L'action personnelle est, par sa nature, spéciale dans sa cause, parce qu'en l'exerçant on ne demande jamais que l'exécution de tel ou tel engagement; et comme il est possible qu'une chose nous soit due à plusieurs titres, par la même personne, l'une des actions ne doit pas être absorbée par l'exercice de l'autre Actiones in personam, ab actionibus in rem hoc differunt; quod cùm eadem res ab eodem mihi debeatur, singulas obligationes singulæ causæ sequuntur, nec ulla earum alterius petitione vitiatur. Par l'action réelle au contraire on peut demander d'une manière générale, à être déclaré propriétaire de l'héritage contesté, sans provoquer restrictivement et par des conclusions précises, la décision du juge

:

IL. 7, § 4. ff. de exceptione rei judicat., lib. 44, tit. 2. 2 L. 14, § 2, ff. eod.

sur la validité ou le mérite de tel ou tel titre en particulier. Alors celui qui succombe ne peut plus revenir sous prétexte de nouvelle cause, parce qu'en agissant sans en déterminer aucune, il est censé les avoir toutes comprises dans sa demande, et que d'ailleurs la même chose ne peut pas nous appartenir doublement, comme elle peut nous être due à plusieurs titres, quand elle n'est que l'objet d'une action personnelle : At cùm in rem ago, non expressâ causâ ex quâ rem meam esse dico; omnes causæ unâ petitione adprehenduntur. Neque enim ampliùs quàm semel res mea esse potest: sæpiùs autem deberi potest 2. D'où il résulte que c'est en vain que celui qui a été, en ce cas, repoussé de l'action en revendication, voudrait la recommencer ensuite à l'aide de nouveaux titres par lui recouvrés après le jugement; sub specie novorum instrumentorum posteà repertorum, res judicatas restaurari, exemplo grave est 3, à moins que ses titres n'eussent été retenus par le fait de la partie adverse, et qu'ils ne fussent jugés décisifs, ce qui serait une cause de requête civile 4.

C'est ainsi qu'après que la décision du juge est passée en force de chose jugée, sur une demande non circonscrite dans les termes d'une cause particulière, tout ce que l'on entend par moyens de fait et de droit, tous les actes et titres en un mot qui auraient pu déterminer une décision contraire deviennent inutiles dans les mains du plaideur qui a négligé ou omis d'en faire l'emploi, à moins qu'il n'y ait eu dol pratiqué à son égard de la part de la partie adverse.

1275. Il faut remarquer encore que pour qu'une autre cause puisse être le fondement d'une nouvelle action, il est nécessaire qu'elle soit, par sa nature, dérogatoire au droit reconnu et confirmé dans la personne du défendeur, par la première décision du juge. Si, en effet,

3 L. 4, cod. de re judicat., lib. 7, tit. 52. 4 Voy. l'art. 480, § 10, du cod. de procéd.

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