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1789.

Des harangues à l'Hôtel-de-ville, et un Te deum 1. Ep: à la métropole furent, pour quelques instants, le signal de la tranquillité; le rappel de Necker, le renvoi des nouveaux ministres, le départ précipité de plusieurs favoris, et celui des princes de la maison de Condé, celui du comte d'Artois, frère du roi, tout annonçoit une révolution complète dans le gouvernement. En un instant, le roi fut seul. Cette fuite prompte et prématurée fut une grande faute politique; elle motiya toutes les imputations et toutes les accusations antérieures, et fut le signal, trop obéi dans la suite, de cette nombreuse et fatale émigration qui, séparant de tout intérêt public, ne laissa plus à chacun que son intérêt personnel, des griefs à venger, et le souvenir amer de ses pertes.

Le calme de Paris n'était encore que l'effet de l'agitation générale et de l'inquiétude des esprits; tout le monde se tenait debout, serré et immobile, et toutes les parties de ce grand corps se contenaient l'une par l'autre. Cet état violent ne pouvait pas durer; il restait une grande démarche à faire pour sceller la réconciliation du peuple et du trône. Le roi fit savoir 17 juill. que son intention était de se rendre dans la capitale; l'assemblée annonça une députation de cent de ses membres pour l'accompagner, et se porta en corps sur son passage; toutes les formes Tome I.

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1." Ep. conservatoires, amies de l'ordre, étaient obser 1789. vées, et c'est à cette soigneuse attention de les maintenir, qu'il faut attribuer le haut degré de pouvoir et de considération que l'assemblée nationale obtint au dehors: heureuse eût été la chose publique, si l'assemblée eût toujours maintenu la même mesure et le même ordre au dedans de soi!

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Le roi était parti sans appareil et presque sans garde il fut reçu aux portes de Paris : par deux cent mille hommes sous les armes, et dans le silence, commandés par Lafayette, proclamé général, le 15, à l'Hôtel-de-ville. Bailly, comme prévôt des marchands, et bientôt maire, lui présenta les clefs, et lui dit : « Ce sont les mêmes clefs qui furent offertes à Henri IV; vainqueur, il << avait conquis son peuple; aujourd'hui, c'est le « peuple qui a reconquis son roi». Ce mot, et le cortége, lui montraient une puissance qui avait cessé d'être la sienne, et qui pouvait la redevenir. Il monta à l'Hôtel-de-ville, gardé, entouré, couvert des armes de tous ceux qui l'approchaient: son maintien fut assuré, et, dans toutes les circonstances critiques, on ne put lui refuser un courage personnel et physique, qu'il n'avait pas, au moral, dans les délibérations du conseil et dans sa conduite politique; il écouta en silence les discours qui furent prononcés par Bailly, par Tolendal, Moreau de Saint- Méry et Ethis;

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enfin, pressé de répondre : « On sait bien, dit-il, 1. Ep. que je suis bien aise de me trouver au milieu de mon peuple, et qu'il peut toujours compter << sur moi ». Cette simplicité n'était pas sans élévation il parut ensuite à l'une des fenêtres, se montra au peuple qui remplissait la place de Grève, et fut accueilli par des cris de vive le roi! il fut reconduit avec le même cortége et les mêmes acclamations; on baissa les armes, sur son passage, en signe de paix. Les démonstrations des Parisiens étaient sincères, et tout pouvait encore être ramené à l'ordre; le roi était personnellement aimé du peuple; on lui savait gré de ses intentions, de ses qualités publiques, et de ses vertus domestiques; les grands sacrifices étaient faits, les factions internes ou étrangères pouvaient être contenues par la grande masse des gens de bien, intéressés à l'ordre; il eût fallu seulement les rallier par une conduite soutenue, et par un plan suivi.

Avant le départ du roi pour Paris, on avait, dans l'assemblée, dénoncé les ministres ; leur démission arrivait à chaque dénonciation; le maréchal de Broglie écrivit au président, qu'il avait fait passer aux troupes les ordres du roi pour s'éloigner de Paris et de Versailles. Ce vieux général ne voyait qu'à regret sa réputation compromise; il redisait souvent: Je vois bien mon armée, mais je ne vois pas les ennemis. Trois

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1. Ep. ans après, lorsqu'on voulut le mettre à la tête des Français dissidants, il répondit : Je ne sais pas faire la guerre sans canon, Dans la même séance de l'assemblée, tous les députés nobles ou prêtres qui avaient déposé des protestations ou des réserves, les levèrent, et déclarèrent que les dangers publics ne leur permettaient plus de refuser d'y prendre part. Cette déclaration était élevée et généreuse on fit partir aussi le messager qui portait à Necker la lettre du roi pour son rappel; le roi l'avait envoyée au président, et l'assemblée en joignit une d'invitation: on croyait le trouver à Bruxelles, il en était parti; on le manqua de quelques heures à Francfort, il fut atteint à Bâle. Jamais homme en place n'avait d'aussi glorieux témoignages de l'estime, de la confiance publiques. Après deux époques de ministère également honorables, sa disgrace était une calamité : une nation avait pris les armes pour le venger et pour le ravoir; il ne pouvait plus s'élever, il ne pouvait que se maintenir ou déchoir; et cependant, qui eût prévu son avenir, eût encore hésité à lui conseiller de se refuser aux regrets et aux vœux de tout un peuple et du roi, qui faisaient, de son retour, sceau de leur réconciliation : il est, sans doute, des devoirs envers la chose publique, envers sa propre considération; et si Necker, bornant son existence à sa gloire passée et à ses succès du

reçu

le

moment, se fût refusé au vœu général, Necker 1.7 Ep. était un homme déshonoré de son vivant, et sa 1789. mémoire était flétrie : personne n'est obligé d'être homme public; mais, quand ce rôle est pris, plus il est brillant, moins il est possible de rentrer volontairement dans la foule avec honneur et sûreté; il est bien juste que la célébrité ait quelques inconvénients, et l'obscurité quelques priviléges.

Necker traversa la France en triomphe; le peuple se portait en foule sur les chemins pour voir le bon ministre partout les honneurs lui furent rendus par les corps civils et militaires. Jamais homme n'avait joui d'une aussi grande faveur populaire, et n'avait été destiné à donner un plus grand exemple de ses vicissitudes : il sembla le prévoir; rentrant dans son appartement ministériel de Versailles, il dit à un de ses amis en lui serrant la main, il faut donc mourir.

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Sa réception à l'assemblée fut honorable et 28 juill. mesurée ; il sut affecter une grande réserve dans son maintien et dans un discours très - simple et très-court; il alla ensuite à Paris : il se présenta à l'Hôtel-de-ville, où l'attendaient son dernier triomphe et ses premiers dégoûts.

Deux exécutions populaires avaient encore 30 juill. eu lieu depuis celles de Launay et de Fles- Pièces j. selle; Berthier, intendant de Paris, Foulon, ancien magistrat, ayaient été les victimes,

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