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l'avantage d'avoir toujours pu se trouver à portée de voir l'un et l'autre, et par conséquent à portée de démêler les causes; car les causes existent toujours dans les partis opposés : les événements se passent dans l'intervalle qui les sépare. Ainsi, l'homme qui, sans avoir jamais voulu être homme de parti, se serait toujours tenu dans cet intervalle, aurait l'avantage de s'être trouvé au milieu des événements, et à la distance nécessaire pour en apercevoir les causes.

En révolution, un simple récit des faits n'en apprend pas plus que les gazettes, et même, en disant les faits, il n'instruit pas. L'histoire n'est une leçon plus instructive que le roman, qu'autant qu'elle enseigne à éviter les résultats funestes, comme à obtenir les résultats prospères : l'historien ne s'élève à la fonction de moraliste, qu'autant qu'il peut montrer à un peuple, non ce qu'il a souffert, mais pourquoi il a souffert;

non pas seulement ses époques de prospérité, mais la cause simultanée qui a produit sa prospérité.

Sous ce rapport, l'histoire d'une époque révolutionnaire peut être la plus utile; car une révolution est l'époque historique d'un peuple à laquelle le plus grand nombre prend part: l'histoire d'une conquête brillante ou d'un traité longuement négocié, n'intéresse guères que les acteurs ou les lecteurs; mais les révolutions sont des intérêts forcés: celui qui refuse d'y prendre part, se trouve, par le fait, exclu de toute part et de tout intérêt. Sous un autre rapport d'utilité publique, il peut être avantageux d'écrire l'histoire contemporaine d'une révolution: c'est là que les factions et les partis apprennent à se voir tels qu'ils sont, dégagés des préjugés qui les ont divisés. En révolution comme en: religion, les sectaires seuls sont coupables; l'erreur des sectateurs n'est que de l'éga

rement: ces animosités, ces haines, ces fureurs de parti, qui peignent toujours le parti opposé avec de si noires couleurs, apprendraient à s'apprécier réciproquement, à connaître leurs torts respectifs. Les hommes de parti ne vivent qu'entre eux, et ne connaissent jamais le parti opposé que par les intérêts qui les divisent, par les imputations qui les aigrissent, par les torts qu'ils se reprochent, par les crimes dont ils s'accusent: jamais la contradiction ne vient les éclairer; la contradiction serait un crime de lèse-faction. Insensiblement on se trouve engagé à croire toujours ce qu'on a cru une fois; à l'examen, on risquerait de perdre la seule excuse de ses propres torts, en perdant la certitude des torts de son adversaire. Ici l'intérêt des sectaires est d'entretenir et d'accroître l'erreur : elle est, à la fois, leur sauve-garde et leur moyen; et cette politique est d'autant plus facile, que le grand nombre

des sectateurs est toujours de bonne-foi dans son opinion : ce n'est que vers la fin des révolutions qu'il arrive de trouver des adversaires déguisés dans chaque parti.

C'est donc une histoire impartiale, qui seule pourrait leur rendre le service de les montrer l'un à l'autre moins odieux qu'ils ne croient l'être : le jacobin y verrait que tout émigré n'a pas soulevé l'Europe pour incendier sa patrie; le royaliste y verrait que tout patriote n'est pas jacobin, ni tout jacobin complice du 2 septembre; et le bon citoyen aurait quelque satisfaction à trouver de plus grands coupables peut-être, mais beaucoup moins de coupables.

L'histoire ferait en masse ce que la société fait en détail : c'est elle qui rapproche les partis, en les mettant en présence; c'est elle qui fait les modérés, dans la saine acception de ce mot, qui n'est pas du tout le synonyme d'insou

ciant. Dans le commerce ordinaire et usuel des rapprochements journaliers, partout où les hommes de partis opposés sont obligés de se trouver ensemble et de se mesurer avec les égards que la société commande, il est arrivé qu'en se voyant de près, on s'est trouvé mutuellement moins monstrueux ; et la discussion, contenue dans certaines limites, tue également le fanatisme politique comme le fanatisme religieux. Une histoire sage et vraie est une maison ouverte : chacun, en y venant chercher ses amis, est forcé de s'y trouver avec ses ennemis ou ses adversaires, de leur parler, de leur répondre et de les écouter.

L'embarras d'avoir à peindre des personnages vivants ou tenant de trop près aux événements, est moindre pour un temps de révolution : les acteurs de ces sanglants spectacles passent rapidement sur la scène; leur rôle est court; ils intéressent peu, quand ils sont descendus

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