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sur le fait et avis des députés de la nation. Ce concours n'est plus exigé aujourd'hui ('). Divers auteurs paraissent regretter qu'il n'ait plus été exigé par l'édit de 1778, mais ils s'accordent par là même à reconnaître que le consul n'y est plus tenu. Je crois que, d'après les principes de notre droit public intérieur, leurs regrets ne sont pas justifiés, parce que les mesures de police générale et d'intérêt politique sont forcément des mesures d'administration, et non des jugements. Il faut ou refuser le droit de les prendre aux fonctionnaires qui peuvent se trouver dans le cas d'être investis de ce droit, ou, si on le leur accorde, on doit les autoriser à en faire usage sous leur responsabilité. Cette responsabilité étant ainsi complètement et personnellement engagée, il faut conserver toute liberté d'action à ceux qu'elle engage. Entourer leurs actes du concours de tiers, semble au premier abord créer des garanties pour ceux que de semblables mesures menacent; tandis qu'en définitive, en créant ainsi des commissions impersonnelles et par suite irresponsables, des injustices et des abus plus nombreux sont à redouter. Lorsque, sous l'empire de l'ordonnance de 1671, le consul avait à requérir l'avis des députés de la nation, c'est-à-dire de deux d'entre eux, Valin nous apprend que cet avis se formulait en un espèce de jugement. Ce mot paraît bien rassurant; mais si j'ai pleine confiance dans les jugements véritables rendus par des juges en cette qualité et avec l'indépendance d'opinion qu'elle implique, je suis moins rassuré lorsqu'il s'agit de prendre des résolutions en commission administrative. L'administrateur dirigeant appelant des tiers plus ou moins sous sa dépendance à donner un avis qu'il peut ne pas suivre, trouvera rarement une opposition sérieuse et toujours une excuse pour expliquer une mesure qu'il ne pourrait que difficilement justifier s'il en était seul responsable.

Si le consul doit rendre compte au ministre d'une expulsion qu'il a prononcée et des motifs qui l'ont fait agir, il peut, avant même de prendre cette décision, lui en référer et attendre ses instructions. Dans ce cas, le ministre peut prendre lui-même directement une décision et la faire exécuter, en la notifiant à celui qu'elle concerne, par un fonctionnaire administratif, sur les lieux où se trouve momentanément l'expulsé. L'expulsion est alors une interdiction de territoire. C'est ce que l'on a fait à l'égard d'israélites marocains naturalisés Français, auxquels le

(1) GOUJET, MERGER et RUBEN DE COUDER, Dictionnaire de droit commercial, Consul, no 194; LEROY, Des consulats, p. 156; cour de cassation, 18 décembre 1858.

séjour du Maroc demeurait interdit et qui se trouvaient alors de passage en Algérie (1).

Il n'y a pas de forme sacramentelle à suivre pour prononcer l'expulsion. Dans la séance du 30 mai 1865, le comte de Bourqueney disait au Sénat « Il n'y a pas de décret en cas d'expulsion; l'ambassadeur fait signifier, par un des drogmans de l'ambassade, à la personne expulsée qu'elle ait à quitter Constantinople. Voilà comment les choses se passent. >

Les ordres d'expulsion peuvent être déférés au ministre par la personne qui en est l'objet. Mais le ministre statue définitivement sans qu'aucun recours puisse être porté contre sa décision devant les tribunaux de l'ordre administratif ou judiciaire. Il s'agit d'une mesure de haute police prise dans un intérêt public et gouvernemental, sous la responsabilité du ministre et de l'agent qui seuls peuvent apprécier les circonstances et les nécessités (2).

Dans la séance du 30 mai 1865, le conseiller d'État commissaire du gouvernement soutenait même devant le sénat, sans être contredit, qu'une pareille mesure, déférée au sénat par voie de pétition, ne pouvait pas être discutée là plus qu'ailleurs. Je doute que, de nos jours, cela fût concédé sans certaines protestations ou réserves par nos assemblées législatives, bien qu'en thèse, cela soit incontestablement exact. Ce n'est point que je conteste le droit d'improbation à ces assemblées politiques à raison d'un acte politique, mais improuver ou réformer ne sont point des actes de même nature.

Ce qui est incontestable, c'est qu'un pareil droit, à raison de sa nature, ne saurait appartenir aux tribunaux, et notamment aux tribunaux de l'ordre judiciaire. Si j'en fais l'observation, c'est que dans une circonstance, la cour d'Aix a été mise dans la nécessité de le déclarer (3).

L'exécution de l'arrêté d'expulsion peut se poursuivre par voie d'ordre suivi d'exécution volontaire ou de contrainte. Le consul peut se borner à enjoindre à son national de quitter l'Échelle dans un délai déterminé, ou, suivant les circonstances, il peut employer des moyens de coer

(1) Conseil d'État, 15 mars 1855.

(*) Conseil d'Etat, 15 mars 1855, 12 janvier 1877, 8 décembre 1882; cour de cassation, 18 décembre 1858; tribunal civil de la Seine, 26 juillet 1878; DARESTE, Justice administrative, p. 221; Aucoc, Conférences, t. Ier, no 279; GOUJET, MERGER et RUBEN DE COUDER, Dictionnaire de droit commercial, vo Consul, no 194.

(3) Arrêt d'Aix du 29 décembre 1865, réformant un jugement du tribunal consulaire de France à Bucharest, 25 juillet 1864.

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cition pour assurer l'expulsion. On ne conteste pas le droit d'expulsion résultant des dispositions de l'article 82 de l'édit de 1778. Or, c'est cet article lui-même qui porte: « Pourront nos consuls faire arrêter et renvoyer en France par le premier navire de la nation tout Français...., etc. » L'expulsion peut donc être suivie d'une arrestation avec embarquement forcé. Après les explications qui ont été données lors du vote de la loi de 1836, on a généralement admis que si l'article 82 était resté en vigueur, il n'en était pas de même de l'article 83. Toutefois, le texte voté et promulgué est loin d'avoir consacré ces explications. L'article 82 de la loi de 1836 porte, en effet : « Sont abrogés les articles 36 et suivants jusques et y compris l'article 81 de l'édit de juin 1778. Ce qui signifie sûrement que l'article 82 de l'édit n'est pas abrogé; mais comment en conclure que l'article 83 ait été atteint par une abrogation qui s'arrête à l'article 81, lorsque d'ailleurs les articles 84 et suivants ont conservé leur force, et comment soutenir que la loi de 1836 a abrogé l'article 83? Que porte, d'ailleurs, cet article? Nos consuls, en faisant embarquer un sujet dangereux, donneront un ordre par écrit au capitaine ou maître du navire de le remettre au premier port de notre royaume, à l'intendant de la marine ou au principal officier d'administration du port, qui le fera détenir jusqu'à ce qu'il ait reçu à cet égard les ordres du secrétaire d'État ayant le département de la marine; à cet effet, enjoignons à tous capitaines et maîtres de navire d'exécuter ponctuellement les ordres du consul, sous peine d'interdiction. » Nous avons vu les lois postérieures à celles de 1836 déclarer expressément que les articles 82 et 83 de l'édit seront exécutés. Et en effet, dès que le consul est autorisé à faire embarquer un de ses nationaux en l'expulsant de l'Échelle, faut-il bien lui conférer le droit de donner l'ordre aux capitaines de recevoir ces hommes à leur bord, et prescrire aux capitaines de se conformer aux ordres qu'ils auront ainsi reçus. Est-ce à dire que le Français expulsé, lorsque le navire qui le porte abordera en France, y sera mis en état de détention arbitraire et prolongée? Évidemment non; mais le capitaine du navire de la marine militaire ou marchande qui l'aura reçu à son bord, n'ayant aucun droit d'initiative pour régler les dispositions à prendre à l'égard de ce passager, devra aviser l'autorité administrative locale de son arrivée et exécuter, à l'occasion du débarquement, les instructions qu'il recevra. D'autre part, le consul qui aura prescrit l'embarquement, et qui doit immédiatement en donner avis au ministre, lui permettra par cet avertissement de donner les ordres nécessaires aux fonctionnaires du

lieu de débarquement, de manière que le capitaine chargé du transport puisse, en se conformant aux instructions qui lui seront données, mettre sa responsabilité à couvert.

Le droit conféré depuis si longtemps aux consuls par les lois françaises, et affirmé par elles au moment où les consuls de France avaient sous leur protection presque tous les étrangers en Levant et en Barbarie groupés sous le nom de Francs, a été ensuite et successivement exercé par les consuls des diverses nations, à mesure de leur institution dans les Échelles, où ils se sont substitués, à l'égard de leurs nationaux, aux consuls de France. Ils y exercent donc les mêmes fonctions, avec les mêmes droits et les mêmes pouvoirs. Lors de l'expulsion de certains israélites naturalisés Français au Maroc en 1853, ainsi que j'ai déjà eu occasion de le rappeler, le ministre de France écrivait au préfet d'Oran que cette mesure, conforme aux instructions données par le département des affaires étrangères à tous les agents consulaires de la France dans les pays musulmans, n'était d'ailleurs pas spéciale à la France et qu'elle était adoptée par les missions des autres puissances.

La loi consulaire belge de 1851 investit, d'une manière générale, les consuls en pays musulmans du droit de faire des règlements de police et d'en assurer l'exécution dans leurs circonscriptions. Le règlement russe de 1820, article 48, donne aux consuls dans ces pays le droit de prendre les mesures nécessaires pour qu'aucun Russe ne ternisse la considération nationale par sa conduite et sa mauvaise foi. Un Order in council du 30 novembre 1864 contient des dispositions de même nature pour l'Angleterre, et l'article 68 du titre IV prévoit formellement le cas où le sujet britannique pourra être expulsé de l'Échelle ou être soumis à donner des garanties spéciales. L'article 136 de la loi consulaire sarde du 15 août 1858 est ainsi conçu : « Par la présente loi, il n'est innové, par rapport aux règlements de police et aux mesures de sûreté que les consuls sont autorisés à prendre ou à ordonner suivant les circonstances, dans les limites des traités et des usages en vigueur dans les pays de leur résidence. » Cette loi est devenue la loi consulaire de l'Italie (').

Le droit pour un gouvernement d'exclure de son territoire les étrangers qui seraient la cause de troubles et de dangers sérieux est généralement admis dans les législations modernes. Les auteurs du Droit criminel belge au point de vue international disent, page 82: « Dans aucun

(1) Le 28 janvier 1866, art. 65.

pays, l'étranger n'a exactement les mêmes droits que le regnicole : partout, l'hospitalité, quelque large qu'elle soit, est soumise à certaines restrictions imposées par l'obligation où se trouve l'État de se prémunir contre les entreprises de ceux qui, par leur origine étrangère, ne sont pas naturellement en communauté d'idées, d'affection et d'intérêts avec les habitants du pays. Aussi le soin de sa sécurité intérieure l'autoriset-il à repousser de son sol l'étranger dont la conduite, les habitudes, les antécédents sont ou deviennent un danger pour lui. Tel est le but de l'expulsion, dont la légitimité est aujourd'hui reconnue dans la législation de tous les peuples. »

En effet, alors que certains auteurs soutenaient que ce droit était absolu et illimité pour le pouvoir exécutif des États, d'autres ont voulu y apporter certaines limites et restrictions, mais aucun, que je sache, n'a essayé de le nier (1). Je le trouve formellement consacré par diverses dispositions législatives en Belgique (*), en France (3), en Italie (4), en Suisse (5), en Danemark (°), en Espagne (7), en Hollande (3), en Grèce (), en Suède (1o), etc.

Les dispositions de même nature qui pourraient être prises dans les pays hors chrétienté par des gouvernements liés vis-à-vis des autres États par des traités dont les stipulations sont inconciliables avec l'exercice de pareils droits, ne pourraient être qu'une lettre morte, sans force et sans portée. J'ai indiqué avec beaucoup de développements, dans mon

MORE,

(1) MARTENS, Droit des gens, liv. III, chap. III, no 91; VATTEL, liv. I, no 231; PHILLIInternational law, no 365; WOOSLEY, International law, p. 94, § 6; DudleyFIELD, § 321; Bluntschli, Droit international codifié, §§ 383 et 384; ORTOLAN, Diplomatie de la mer, liv. II, chap. XIV, p. 323; HEFFTER, Droit international, §§ 33 et 62; P. FIORE, De l'extradition, t. Ier, chap. III; MASSE, Le droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens, t. II, no 45.

(2) Lois des 7 juillet 1865, 17 juillet 1871, 15 mars 1874, 2 juin 1874 et 1880. (3) Code pénal, art. 272; Lois des 22 vendémiaire an vi, 1er mai 1874, 3 décembre 1849, art. 7.

(4) Code pénal sarde 1859, art. 439; Loi de sûreté publique du 29 mars 1875, art. 73; règlement du 18 mars 1865, art. 86.

(5) Constitution fédérale revue et approuvée, 20 janvier 1874, art. 70.

(6) Loi du 15 mai 1875.

(7) Loi de 1852, art. 13, 14, 15 et 16; ordonnance royale de juin 1858, art. 3, 4,

9, 11 et 15, et pour les colonies, loi du 11 juillet 1870.

(8) Loi du 13 août 1847.

(9) Code de procédure pénale, art. 4.

(10) En modifiant ses lois si sévères contre les étrangers, la Suède a conservé à leur égard des mesures plus rigoureuses encore que l'expulsion.

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