Page images
PDF
EPUB

l'Église. Ets'il refuse d'entendre même l'Église, qu'il soit pour toi comme un Gentil et un péager. »

Ainsi, sur la double base de la loi naturelle, c'est-à-dire de la science morale et de la souveraineté populaire, se serait constituée la véritable légitimité. La science aurait éclairé le peuple, le peuple aurait appuyé la science, empêchant les fonctionnaires, sans excepter le roi, de s'en écarter sans nécessité. Dans ces conditions, le gouvernement aurait pu être fort parce qu'il aurait eu la confiance de tous.

Mais tout a été compromis pour des siècles, parce qu'on a cru pouvoir se passer du peuple, tablir sans lui la communication entre le temporel et le spirituel; parce qu'on a oublié que si les rois sont les directeurs de la force, le peuple seul en est le générateur. Assurément, la position était difficile le sentiment de la solidarité, que l'oppression commune avait fait naître chez les peuples de l'ancien empire, ne se retrouvait pas chez la plupart des peuples du nouveau, qui avaient vécu dans l'isolement et l'indépendance. Les bases de l'ancienne société étaient détruites, tant par la migration que par l'adoption plus ou moins forcée d'une religion nouvelle qui avait dû mettre la perturbation dans les notions. morales. Il y avait là, pour l'Église, une grande tâche à remplir; malheureusement, par l'attribution de la personnalité civile, l'Église avait été jetée hors de ses conditions naturelles d'existence. Je ne doute pas qu'elle n'ait voulu faire et n'ait fait réellement beaucoup de bien avec la richesse et la puissance qu'on l'a mise en mesure d'acquérir, mais ce bien a été payé trop cher par la confusion qui en est résultée. La personnalité civile de l'Église, respectable assurément comme tout autre principe du droit positif quand une fois elle est adoptée, n'en est pas moins une méprise du législateur. Elle a eu pour effet de faire déserter au clergé la cause du droit commun pour celle du privilège, de le pousser dans la voie de la révolution. En disant : L'Église, c'est moi, le clergé commet la pire des usurpations et favorise les autres; c'est ainsi qu'on aboutit à la féodalité caractérisée par la domination de l'homme sur l'homme, mode de vivre essentiellement romain que la commune germanique doit précisément éviter. Sacrifiant tout à l'unité, l'empire romain avait détruit la commune et perdu tout point d'appui dans les populations c'est parce qu'on n'a pas su corriger ce défaut que l'empire s'est brisé; les morceaux ont donné la féodalité, qui en a les inconvénients sans les avantages, l'absolutisme sans l'unité, l'oppression sans la protection. Le clergé a secondé ce qu'il devait combattre, introduit la

D

féodalité jusque dans le domaine spirituel. On en a la preuve dans ce mot de fidèle employé par les divers clergés pour désigner ceux qui leur restent soumis, par opposition aux libres penseurs, souvent confondus avec les excommuniés. Le châtiment ne s'est pas fait longtemps attendre le clergé ne put bientôt pas mieux se défendre contre les spoliations de la noblesse que la France contre les invasions des Normands.

Il ne manque pas, il est vrai, de tentatives de réaction; l'avènement des Carolingiens en est une. Les sécularisations de Dagobert et de Charles Martel sont des retours tout à la fois au droit germanique et à la nature des choses, retours qu'on ne sut malheureusement pas justifier, faute de théoriciens à opposer à ceux du clergé. La création des échevins est une tentative pour concilier la justice populaire avec les exigences d'un grand État.

Du vivant de Charlemagne, l'unité paraît se rétablir. A sa mort, le clergé, faisant comprendre qu'il est le maître, entreprend de remplacer la diversité des droits populaires par une législation unique dont il aurait le monopole. On sait qu'il a réussi dans une certaine mesure; mais son succès lui fut un piège : les évêques deviennent de plus en plus des hommes de gouvernement et se détournent de leurs fonctions propres. Leur doctrine s'en ressent, ne considère que l'application, n'emploie que la déduction; leur système juridique a sans doute plus de profondeur que celui des Romains; on commence même à constituer une science des motifs du droit. Mais, comme on prétend que le droit doit se faire par le clergé, on estime que la connaissance de ces motifs doit être l'affaire du clergé seul. Le dogme officiel s'oppose à la science libre; la théologie se sépare de la philosophie et finit par s'y substituer; la confusion dans les fonctions qu'il faudrait distinguer a pour contrecoup la séparation de celles qui devraient rester unies. Un abîme se creuse entre la science des motifs du droit et la science de ses applications; cette tendance s'accentue avec le temps, et c'est ainsi que, de nos jours, au dire de certaines gens qui pourraient bien n'avoir pas tout à fait tort, la science de la religion n'aboutit à rien, et la science du droit ne repose sur rien.

C'est en France surtout qu'il faut étudier ce mouvement. L'Allemagne se sépare de bonne heure pour rentrer dans son courant national. Elle rejette la législation franque, rejette également la prétention de soumettre la pensée au joug de la discipline; le droit y reprend le

caractère d'une science, de nos jours encore incomplète, mais qui est en train de se faire; elle retrouve chez elle assez de vie communale pour retarder la dissolution de l'ancien organisme. Il est vrai que la formation de l'état de choses nouveau se trouve ralentie par contre-coup, mais il s'opérera dans de meilleures conditions.

En France, au contraire, les événements se précipitent. Il n'y a bientôt plus de peuple, mais seulement des seigneurs maîtres absolus de tous ceux qui habitent leurs terres; les masses n'ont plus de droits, plus de patrie. Qui donc leur demandera du patriotisme? Et pourtant les rois ont besoin du peuple. Aussi, ce que le clergé devait faire et n'a pas fait, le temporel l'essayera; c'est pour répondre aux prétentions abusives de la papauté dévoyée que seront convoqués les premiers états généraux. Par cet appel du saint-siège au sentiment national, une atteinte irréparable est portée, non point à l'Église, non point au pouvoir spirituel, mais à une forme défectueuse de ces deux grandes idées. D'autre part, pour faire un peuple, la parole d'un roi ne suffit pas; il faut un esprit public, une action spirituelle prolongée peut-être pendant des siècles; et si la touchante apparition de Jeanne d'Arc montre ce qu'aurait fait le peuple inspiré par la religion, le reste de l'histoire de France prouve que si les deux pouvoirs réunis ne peuvent se passer du peuple, le peuple ne peut se passer ni de l'un ni de l'autre des deux pouvoirs.

CHRONIQUE DES FAITS INTERNATIONAUX.

AMÉRIQUE ESPAGNOLE.

SOMMAIRE.

rives de la - Questions Le différend

L'esclavage au Brésil. L'anniversaire de la naissance de don Pedro. Une lacune dans le règne d'un prince philosophe. · La convention de Genève. Une énigme à résoudre. Le fervet opus du poète latin transporté sur les Plata. Les centaines d'yeux d'un gouvernement qui veut être éclairé. de frontières. L'arbitrage international dans l'Amérique espagnole. italo-colombien. Les limites entre la Colombie et le Venezuela. Le traité préliminaire de limites entre le Pérou et la Bolivie. Les månes de Charles-Quint et de Philippe II. Le conflit anglo-vénézuélien. Les griefs du Venezuela contre l'Angleterre. L'Amérique espagnole et l'Europe.

[ocr errors]

De consolantes nouvelles viennent du Brésil. Un vent de liberté souffle sur cette terre de l'esclavage. La chambre municipale de Rio-Janeiro a affranchi, en quinze mois, sept cent cinquante esclaves avec le produit des souscriptions du livre d'or de la municipalité. Pour rendre hommage à la mémoire d'un sénateur libéral qui vient de mourir, la ville de Santos (San Paulo) a décidé d'affranchir tous les esclaves existant dans le municipe. L'anniversaire de la naissance de Sa Majesté l'empereur du Brésil a été solennisé par l'affranchissement de soixante et un esclaves. L'empereur don Pedro a soixante et un ans ! C'est une belle idée, que celle de donner une liberté par chaque année de l'existence d'un souverain. Il est certain que le prince philosophe qui porte la couronne du Brésil ne pouvait recevoir un hommage qui répondit mieux aux aspirations de son cœur.

Don Pedro est plus qu'un grand prince il est essentiellement un homme de bien. En lui, la politique n'a pas étouffé l'humanité. Il y a cependant dans son règne des lacunes qu'il me permettra de signaler avec un étonnement respectueux. Comment se fait-il, par exemple, que cette admirable convention de Genève du 22 août 1864, relative aux militaires blessés sur les champs de bataille, n'ait pas encore obtenu l'adhésion de son gouvernement? Eh quoi! lorsque depuis vingt-trois ans tous les États des deux mondes ont souscrit successivement à cette convention, dont l'objet est d'adoucir les maux inséparables de la guerre, le Brésil seul resterait-il sourd à cet appel de la civilisation

[ocr errors][merged small][merged small]

et de l'humanité? N'a-t-il pas été invité par le conseil fédéral suisse à se faire représenter, à Genève, à la conférence qui a rédigé la convention? Le comité international de la Croix-Rouge, désireux de rallier tous les États civilisés à la convention qui était en grande partie son ouvrage, s'est efforcé officieusement (il n'a pas de caractère officiel) de déterminer le gouvernement brésilien à donner son adhésion. Ses tentatives ont été multipliées et très variées. Toutes ont échoué. Comment faut-il expliquer cette abstention persévérante? Le gouvernement brésilien n'aurait-il, par hasard, pas compris la portée et le caractère de la convention de 1864? Mais ses hommes d'État sont trop éclairés, trop au courant et trop pénétrés des exigences de la civilisation moderne, pour ne pas avoir salué avec émotion la généreuse pensée qui a inspiré la convention de Genève. N'aurait-il considéré cette convention que comme un arrangement européen, entre nations européennes? Mais toutes les démocraties américaines et certaines autocraties asiatiques ont envoyé leur adhésion. Il n'a donc pas entendu l'applaudissement qui s'est élevé de l'extrême occident à l'extrême orient du globe? Le mot de cette énigme se trouve sans doute dans le sentiment de sécurité qu'entretient en lui sa situation heureuse, entre un océan qui le protège et une grande république exclusivement vouée aux pacifiques conquêtes de la civilisation et du travail.

Rien n'est intéressant à contempler comme l'activité féconde avec laquelle la République Argentine, voisine du Brésil, prépare les hautes destinées qui lui sont réservées. C'est le fervet opus du poète latin. Chemins de fer, routes, canaux, ports, défrichements, colonies avancées sur le territoire non acquis encore à la civilisation, développement inouï de l'instruction publique à tous les degrés, encouragements à l'émigration étrangère, expansion du commerce, progrès de l'industrie nationale, augmentation du bien-être, avancement des sciences et des arts, tout concourt à faire de cet État sud-américain si privilégié en toutes choses le type d'une nation vraiment prospère et digne de sa prospérité. Ce qui est une preuve de sa supériorité sur bien des puissances de l'un et de l'autre monde, c'est que la République Argentine ne s'isole pas dans la contemplation d'elle-même, et qu'elle est avide de recevoir l'enseignement des autres États européens et américains. Dans une récente circulaire adressée par le ministre des relations extérieures argentin à ses agents à l'étranger, ce fonctionnaire leur disait que le président de la République les verrait avec satisfaction se consacrer à l'étude des ques

« PreviousContinue »