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blique du Venezuela, au sujet de la frontière des Guyanes anglaise et vénézuélienne. Le différend s'est même envenimé au point de déterminer une rupture entre les deux pays. M. Saint-Johns, ministre britannique à Caracas, a demandé ses passeports et s'est embarqué à bord d'un des trois navires de guerre à l'ancre dans la rade de Puerto-Cabello. Il s'agit de la possession de territoires sur lesquels les Anglais n'ont élevé de réclamations que depuis la première moitié de ce siècle. Déjà un arrangement avait été ébauché entre le gouvernement du Venezuela et lord Aberdeen, mais il avait été rompu par la mort du plénipotentiaire vénézuélien.

Plus tard, le cabinet de Caracas avait remis la question sur le tapis, mais lord Granville avait refusé d'adopter les vues de son prédécesseur. Dans ces derniers temps, une commission avait été nommée par le gouvernement fédéral du Venezuela pour étudier sur le terrain cette question de limites. Elle avait trouvé le territoire compris entre les cours d'eau Guaima, Barima, Aruca et la bande orientale de l'Amacuro occupé par les Anglais, ainsi que le territoire aurifère situé entre les cours d'eau Cuguni, Mazurini et Purini. Des autorités vénézuéliennes avaient été nommées par elle sur ces territoires. De son côté, le cabinet anglais avait fait annoncer qu'aucun titre, aucune prétention affectant les territoires déclarés par le gouvernement de Sa Majesté Britannique comme partie intégrante de sa colonie de Guyane, et émanant du gouvernement vénézuélien ou de tout autre individu autorisé par lui, ne seraient admis par Sa Majesté ou par le gouvernement de la Guyane anglaise, et que toute personne prenant possession de ces territoires ou pré'endant y exercer quelque droit, à quelque titre que ce fùt, se rendrait passible des lois de cette colonie. J'ai sous les yeux les notes contenant les griefs du gouvernement vénézuélien. Il y est dit que la Grande-Bretagne a violé le territoire du Venezuela en s'y introduisant par des endroits prohibés par les traités; en y nommant des commissaires; en y établissant des bureaux sur lesquels flotte le drapeau anglais; en enlevant, en jugeant, en condamnant un fonctionnaire vénézuélien; en envoyant sur les lieux un juge et des agents de police armés; en y décrétant des prohibitions de commerce; en comprenant les rivières l'Amacuro et la Barima dans. la juridiction du gouverneur de Demerara (Guyane anglaise); en autorisant l'exploitation de mines sur le territoire de la république et en y exerçant d'autres actes de domination. La Grande-Bretagne, est-il encore dit dans ces notes, s'est arrogé le droit de décider par elle-même, par

devant elle, et en sa faveur, une question qui était en litige et qui appar tenait au Venezuela autant qu'à elle-même. Elle s'est déclarée coproprié taire de l'Orénoque, la grande artère fluviale de l'Amérique du Sud, en s'emparant du canal de Barima, qui est une de ses embouchures, et par ce fleuve et ses affluents de vastes régions appartenant à divers pays. Elle a enfreint à son profit la convention qu'elle-même avait proposée au Venezuela, le 18 novembre 1850, et elle a occupé le territoire qu'ellemême avait garanti. Dans les diverses occasions où le Venezuela a voulu en venir à un arrangement, elle a progressivement augmenté ses prétentions, réclamant toujours une plus grande proportion du territoire vénézuélien, d'abord de l'Essequibo au Pomaron, puis jusqu'au Morocco, puis jusqu'au Guaima, et en dernier lieu, jusqu'au Barima et à l'Amacuro. La Grande-Bretagne a donc attenté aux droits de souveraineté et d'indépendance du Venezuela, en le privant de la plus inviolable des propriétés d'une nation, c'est-à-dire de son territoire. Le Venezuela se déclare toutefois prêt à se soumettre à la décision d'une tierce puis

sance.

Ces plaintes sont-elles fondées? On prétend que les Anglais établiront leurs droits de possession par un mémoire abondant en données historiques. La présomption, je ne puis le dissimuler, doit être contre eux, aux yeux de tous les hommes de bonne foi qui ont vécu pendant quelques années en Amérique.

Les républiques hispano-américaines, je ne saurais trop le répéter, et j'assume très volontiers toute la responsabilité de cette opinion, sont les taillables et corvéables à merci de l'Europe en général et de l'Angleterre en particulier. Les Européens sont trop portés à les traiter comme des champs ouverts à la spéculation et à l'exploitation. Et cependant rien n'est plus hospitalier que ces généreuses, nobles et fières populations de l'Amérique espagnole, si peu connues sur notre vieux continent et si dignes de l'être. L'Europe ne se forme point une idée des ressources qu'elle pourrait tirer d'une entente vraiment cordiale avec ces républiques, fondée sur le respect absolu de leurs droits souverains. L'avenir lui prouvera qu'elle a toujours méconnu ses véritables intérêts en blessant ces États dans ce qu'ils ont de plus cher : leur dignité et leur indépendance. Déjà, du reste, la situation troublée et précaire de plus d'un État de l'Europe a commencé à venger la jeune Amérique des injustes dédains de l'ancien monde.

Lyon, ce 9 mai 1887.

P. PRADIER-FODÉRÉ.

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QUELQUES DOCUMENTS RELATIFS

A LA QUESTION BULGARE,

PUBLIÉS ET ANNOTÉS PAR

M. G. ROLIN-JAEQUEMYNS.

(SUITE) (1).

IV. Mission diplomatique du général baron de Kaulbars en Bulgarie. - Premiers échanges de vues.

1.16 septembre. -Note du Messager officiel russe annonçant et définissant la mission du général baron de Kaulbars.

A la suite des relations très tendues qui existaient dans ces derniers temps entre la Russie et le gouvernement du prince Alexandre, le poste d'agent diplomatique de Russie à Sofia était resté vacant. Les événements qui viennent de s'accomplir en Bulgarie exigeant la présence à Sofia d'un représentant russe ayant l'autorité voulue, la gérance temporaire de l'agence diplomatique dans cette ville vient d'être confiée à M. le général-major baron de Kaulbars, agent militaire à l'ambassade de Vienne, qui a déjà été chargé à plusieurs reprises de missions dans les divers pays de la péninsule des Balkans. Le général-major baron Kaulbars aura à étudier en détail la situation des affaires en Bulgarie, et à assister de ses conseils les Bulgares pour les faire sortir de la crise que traverse leur pays.

2. 27 septembre. -Le baron de Kaulbars à M. Natchevitch, ministre des affaires étrangères de Bulgarie (). - Conseils donnés au gouvernement bulgare.

Sofia, le 15/27 septembre 1886.

Pour compléter ce que je vous ai dit dans notre entretien d'hier, et par ordre du gouvernement impérial, j'ai l'honneur de vous communiquer

(1) Voir Ire livraison, p. 82.

(2) Traduction publiée en annexe au no 394 du Blue Book, «Turkey », 1887, I. — Le texte original de la note est en russe. On remarquera que, dans cette traduction, il est question de la mise en liberté pure et simple des conspirateurs du 21 août. En fait, ceux-ci ont tous été relâchés à la fin d'octobre.

aujourd'hui que, dans la pensée de ce gouvernement, la convocation de la grande assemblée nationale dans l'état actuel du pays ne peut pas être reconnue comme légale, et que les décisions d'une pareille assemblée n'auraient, à nos yeux, aucune signification.

En vue de cela, je conseille au gouvernement bulgare :

1. D'ajourner les élections à une date la plus éloignée possible.

2. Pour faire sortir le pays de l'état de surexcitation où il se trouve actuellement, et pour donner possibilité que les élections puissent avoir lieu sans pression et dans des conditions plus normales, de lever immédiatement l'état de siège, et de mettre en liberté en même temps tous ceux qui se trouvent arrêtés par suite des événements du 9 (21) août.

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3. - 2 octobre. M. Natchevitch au baron de Kaulbars ('). Le gouvernement bulgare suivra les conseils de la Russie, pour autant que les lois le permettent.

Sofia, le 20 septembre (2 octobre) 1886.

J'ai l'honneur d'accuser réception de la note de Votre Excellence du 15 de ce mois (2 octobre), note qui a été sans retard communiquée à MM. les régents et au conseil des ministres.

le

En réponse, j'ai l'honneur de déclarer à Votre Excellence que ministère, animé du vif désir de suivre les conseils du gouvernement impérial de Russie, a considéré avec la plus sérieuse attention la teneur de la note susmentionnée, et a décidé de se conformer à tous les conseils que vous avez bien voulu lui donner, pour autant qu'ils ne contreviennent point aux lois en vigueur.

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4.2 octobre. Le baron de Kaulbars à M. Natchevitch. Il exige une réponse plus précise.

Sofia, le 20 septembre (2 octobre) 1886.

J'ai eu l'honneur de recevoir votre note da 20 septembre (2 octobre) 1886. A mon plus vif regret, elle ne donne pas une réponse directe aux questions posées dans ma note du 15 septembre.

J'aurai l'honneur d'attendre de votre part, dans le courant de la journée de demain, une déclaration plus exacte et plus définie.

(') Cette note et les trois suivantes ont été publiées en traduction dans le Blue Book précité, en annexes au no 421.

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-3 octobre. M. Natchevitch au baron de Kaulbars. Le gouvernement bulgare ne peut que maintenir ses déclarations.

Sofia, le 21 septembre (8 octobre) 1886.

J'ai l'honneur de vous informer que j'ai reçu la note que vous avez bien voulu m'écrire le 20 septembre courant pour me demander une réponse directe aux questions posées dans votre note du 15 septembre.

Comme cette dernière note de Votre Excellence ne contenait point de questions, mais seulement des conseils que vous avez eu la bonté d'adresser au gouvernement bulgare, le conseil des ministres m'a chargé de vous transmettre de nouveau les assurances que je vous ai données par ma note responsive du 20 septembre.

En vous répétant que le gouvernement bulgare est décidé à se conformer à tous les conseils que vous avez bien voulu lui donner, en tant qu'ils sont d'accord avec les lois en vigueur dans le pays, je prie Votre Excellence d'agréer, etc.

6.

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4 octobre. M. le baron de Kaulbars à M. Natchevitch. Il réclame la mise en liberté immédiate de tous les officiers arrêtés et l'ajournement des élections.

Sofia, le 22 septembre (4 octobre) 1886.

J'ai reçu votre note du 22 septembre 1886. A mon plus vif regret, je vois que les conseils du gouvernement impérial, exprimés par moi dans la note du 15 septembre, n'ont pas été adoptés par les chefs du gouverne ment bulgare dans la mesure qui serait indispensable pour la pacification du pays et le rétablissement de l'ordre légal.

Quittant Sofia pour quelque temps, je puis seulement vous répéter, de la manière la plus pressante, que le gouvernement impérial désire la mise en liberté immédiate de tous les officiers arrêtés, et l'ajournement des élections jusqu'en novembre.

La responsabilité des conséquences qui pourraient surgir par suite du non-accomplissement des désirs susmentionnés du gouvernement impérial retombe entièrement sur les chefs actuels du gouvernement bulgare.

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