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ment apte pour la législation; ses écrits nous parlons de ceux de ses écrits qui sont relativement achevés sont frappants sous ce rapport;

les principes y sont établis avec une admirable clarté et les déductions sont développées avec un soin infini. C'est dans ces déductions que l'auteur excelle. Rien n'égale la patience avec laquelle il fouille, taille son sujet. Dans l'état où il nous est parvenu, ce que nous sommes tenté d'appeler le Consilium Egyptiacum (') de Bentham ne peut certes nous montrer ce dont le maître était capable; mais nous faisons allusion à un autre travail, ayant également trait à un gouvernement despotique : nous voulons parler de l'écrit rédigé en 1822 et en 1823 pour Tripoli. Quelques-unes des pensées qu'il émettait dans ce premier mémoire doivent avoir trouvé place dans ses communications à Méhémet-Ali.

Le conseil au pacha d'Égypte a cependant un avantage : il prouve une fois de plus la bonté, la candeur d'âme du vénérable vieillard. On a lu les lignes où il s'accuse d'égoïsme. L'aveu se retrouve fréquemment sous la plume de Bentham, et cependant, égoïste, il ne l'était point. Il s'est rendu justice quand il a écrit ces mots : « Le mal qu'éprouvent les autres, je l'éprouve; jamais on n'a souffert en ma présence que je ne souffrisse; jamais la joie de qui que ce soit ne m'a laissé sans joie. Égoïste, mais avec sympathie, j'ai toujours voulu donner au plus grand nombre possible le maximum de cette joie dont je jouis, le minimum de ces peines qui me font mal. » Athée, Jérémie Bentham méritait le paradis qui, selon le mot favori de l'abbé de Saint-Pierre, est aur bienfaisants.

(') Voir Revue de Droit international, 1883, p. 530.

LES MANUSCRITS DE SIR JULIUS CESAR,

PAR

M. E. NYS.

Sir Julius Cæsar est un des personnages importants de l'Angleterre vers la fin du xvr siècle et dans le premier tiers du xvir siècle. Il avait été nommé juge de l'amirauté à l'âge de 25 ans; puis il était devenu maître des requêtes et, en 1614, il avait été élevé au poste de maître des rôles, qu'il devait occuper pendant vingt et un ans. Sa vie officielle se passa donc sous trois règnes, et sous chacun de ces règnes, il fut persona gratissima auprès du souverain et des ministres dirigeants. Ses alliances de famille (il fut marié trois fois) ajoutèrent encore à la situation qu'il s'était créée. Rappelons seulement qu'il avait épousé une nièce de Bacon. Sa valeur a été diversement appréciée par ses contemporains. Les uns le considéraient comme un excellent magistrat, comme un homme fort doué; les autres le disaient borné, sans connaissances et dépourvu de tout esprit juridique; mais tout le monde était d'accord pour louer son intégrité et pour vanter son inépuisable

charité.

Si nous rappelons ici le souvenir de sir Julius Cæsar, c'est qu'il peut rendre à l'histoire du droit international quelques services ('). Nous ne parlons pas des avis et des dissertations qui nous sont renseignés par le Calendar of State Papers et qui reposent au Public Record Office; mais dans sa longue carrière, il a réuni une volumineuse collection de notes, de mémoires, de consultations, de lettres, ayant trait à la plupart des questions qui ont été agitées sous Élisabeth, Jacques Ier et Charles Ier. Mêlé à nombre d'affaires considérables, témoin ou acteur dans plus d'un drame politique, il a pu se procurer des documents importants, et parmi ceux-ci nous mentionnons, au point de vue de l'histoire littéraire du droit international, des pièces d'une réelle valeur. Plusieurs d'entre elles mériteraient d'être publiées. Le lecteur en jugera.

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() Voir Revue de Droit international, 1885, p. 74 et suiv.

Un mot d'abord au sujet de la collection elle-même. La bibliothèque de sir Julius Cæsar demeura longtemps en possession de sa famille, mais vers le milieu du siècle dernier, un de ses descendants, tombé dans la misère, fut obligé de la donner en gage pour une dette de vingt livres. Le créancier, à son tour, céda le gage à un tiers pour quarante livres. Il fut impossible de trouver acquéreur pour cette somme, et Dieu sait ce que le précieux trésor serait devenu si, en 1757, un libraire habile, informé de l'existence de la collection, n'avait rédigé un catalogue et procédé à la vente. Celle-ci produisit près de 353 livres, somme infime si l'on songe aux richesses que la collection renfermait. Les acquéreurs furent heureusement en petit nombre et furent des connaisseurs; ainsi la plupart des manuscrits de l'ancien maître des rôles ont pu être rachetés par le British Museum et actuellement les Cæsar Papers sont presque reconstitués.

Originairement, la bibliothèque comprenait 187 volumes, renfermant chacun des centaines de pièces. Près du tiers de ces volumes avaient été acquis par un bibliophile, Philippe Webb; à son décès, ils devinrent la propriété de lord Lansdowne, alors comte de Shelburne. Lord Lansdowne est l'homme éclairé qui fut l'ami dévoué de Bentham et que celui-ci consultait parfois au sujet de livres rares; c'est chez lord Lansdowne que Bentham fit la connaissance du bibliothécaire de ce dernier, Étienne Dumont. En 1807, la bibliothèque de lord Lansdowne fut achetée par le gouvernement, et le British Museum entra en possession de cinquante volumes de la collection de sir Julius Cæsar. Des achats successifs ramenèrent une grande partie des autres volumes.

Une première série de documents relatifs à l'histoire littéraire du droit international nous est conservée dans le volume 139 des Lansdowne manuscripts, feuillets 112 à 119.

On sait qu'Albéric Gentil se consacrait à sa profession d'avocat (il était membre de Gray's Inn) plus qu'à ses fonctions de professeur en droit. Ses ouvrages lui avait créé une haute situation et on le consultait fréquemment. Lorsque la paix fut conclue entre l'Angleterre et l'Espagne, il se fit que la guerre continuant entre l'Espagne et les provinces-Unies, les tribunaux anglais furent fréquemment saisis de questions relatives aux navires capturés par les corsaires hollandais. En 1605, l'ambassadeur d'Espagne chargea Gentil de la défense des intérêts des sujets espagnols et, pendant trois ans, celui-ci s'occupa ainsi de procès où les principaux points du droit maritime en temps de guerre

étaient discutés. Il nous reste de cette période de la vie de Gentil un ouvrage, l'Advocatio hispanica, qui fut publié après sa mort par les soins de son frère Scipion. Par son testament, Albéric Gentil avait ordonné que tous ses ouvrages manuscrits fussent brûlés, à l'exception des livres de l'Advocatio : « Onely the spanish bookes Advocationis whiche yf they be not verye perfecte, he my said brother maye, withowte necessary trouble, mende them. » L'ouvrage parut à Hanau en 1613, et Scipion Gentil, dans sa préface, le caractérise en disant qu'il traite des controverses surgies en Angleterre entre les Espagnols et des sujets d'autres pays, notamment les Hollandais. Ajoutons que la volonté de Gentil ne fut pas respectée en ce qui concerne les autres manuscrits (').

Le premier livre de l'Advocatio hispanica (elle comprend deux livres) s'occupe spécialement des questions maritimes. Les points de droit qui y sont discutés se sont réellement présentés : Gentil était l'avocat d'une des parties; il a rédigé à ce sujet des mémoires; il a fait triompher parfois ses opinions; parfois aussi il a échoué. Or, ce sont ces mémoires que sir Julius Cæsar nous a conservés, en même temps qu'il a conservé les répliques des adversaires et qu'il nous fait parfois connaître la décision de la cour de justice. Nous sommes ici en présence des dossiers d'affaires traitées il y a près de trois siècles, et nous avons la chance de rencontrer parmi les avocats l'un des créateurs de la science du droit international. Nous résumerons les pièces, en complétant, s'il y a lieu, notre récit au moyen des indications fournies par les archives anglaises, si fidèlement rapportées par le Calendar of State papers.

Le volume 139, Lansdowne Mss., que nous venons de citer, renferme une consultation d'Albéric Gentil de treize pages de grand format, d'une écriture serrée; deux réponses de sir Thomas Crompton, l'avocat général du roi, l'une comptant trois pages, l'autre trois pages et demie, et une réplique de Gentil de deux pages. La consultation d'Albéric Gentil est surtout importante. Elle a servi pour les chapitres VI et suivants de l'Advocatio hispanica qui en sont le résumé. Seulement, ce résumé ne saurait donner une idée de la vigueur et de la logique de l'œuvre originale.

Voici les faits qui avaient amené le procès :

Un capitaine hollandais, Henri Yong, avait acheté un navire en Angleterre; l'équipage se composait de 46 matelots anglais, de 3 mate

(1) T. E. HOLLAND, Inaugural lecture on Albericus Gentilis.

lots étrangers et du capitaine. Yong était muni de lettres de marque délivrées dans les Provinces-Unies. Le navire fit voile vers l'Espagne et captura un navire portugais. Yong avait voulu ramener sa prise dans les Provinces-Unies, mais la tempête l'obligea de se réfugier dans un port anglais, où l'officier du roi arrêta l'équipage et s'empara du navire capteur, qu'il considérait comme un bâtiment anglais ayant, au mépris du traité de paix, commis des actes d'hostilité envers les sujets d'un prince ami. Sur ces entrefaites, l'ambassadeur espagnol (les rois d'Espagne régnaient sur le Portugal depuis 1580) intervint dans le litige et éleva, à la date du 5 avril 1605, des réclamations au nom de Botelio, le capitaine du navire capturé par Yong.

La commission devant laquelle l'affaire fut portée se composait du lord chief justice, du lord chief baron, de sir Julius Cæsar, de sir Daniel Dunn et de sir Richard Swale. A la demande de l'ambassade espagnole, le roi autorisa, le 11 mai, les commissaires à s'adjoindre telles autres personnes qu'ils jugeraient convenable.

C'est à cette commission que s'adresse Albéric Gentil pour discuter la question: Si bona de hostibus capta ducantur per marinum districtum regis amici utrique patri, an sint libera?

Il expose d'abord les faits et indique ensuite la position respective des parties le Hollandais soutient qu'il lui est fait violence; l'autorité anglaise prétend qu'elle empêche le Hollandais de faire violence; le propriétaire du navire capturé réclame sa liberté et demande la restitution de son bien.

Gentil est l'avocat de Botelio. Il se prononce avec force contre les prétentions du capitaine Yong et discute longuement. Comme dans tous les écrits de l'époque, les citations abondent. Bartole, Balde, une foule de commentateurs y passent; Lopez est cité parmi les auteurs du droit de la guerre et Gentil invoque à plusieurs reprises ses propres ouvrages. L'argumentation tend à établir diverses propositions : il y a postliminie; admettre la thèse du capitaine hollandais serait autoriser le Carcer privatus en Angleterre, puisque le capitaine du navire capturé est sujet d'un roi ami; il faut appliquer par analogie la théorie des canonistes sur le droit d'asile et sur le condamné traversant une église. Une phrase est caractéristique. Elle montre combien Gentil devance son siècle. En effet, l'auteur du De jure belli attaque avec vigueur l'odieux droit des lettres de marque et des représailles. En son style dur, rugueux, haché, il dénonce cet usage barbare:

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