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est presque aussi dangereux que définir, qu'il s'agisse de classifier pour exclure de l'application d'une règle ou pour y comprendre des catégories entières de faits. Et, pas plus que M. Lammasch sans doute, nous n'admettrions toutes les conséquences des classifications faites par le projet italien et par le projet français. Cette dernière est la plus simple, mais elle nous paraît aussi la moins bonne. Énumérer prend un peu plus de temps que classifier ou définir, et la lecture d'une énumération est un peu plus longue. Mais quand il s'agit de faire une bonne loi, ou de la bien saisir, beaucoup plus encore que quand il s'agit de faire un bon sonnet, le temps ne fait rien à l'affaire, » comme le disait le misanthrope à Oronte. La commission italienne objecte, au système de l'énumération, qu'il est toujours plus ou moins arbitraire: mais il nous est impossible de comprendre pourquoi il le serait plus que les autres systèmes, tandis que nous voyons très bien en quoi il l'est moins. Il oblige à peser la nature, la gravité, les conséquences possibles de chaque délit. La commission lui reproche encore de ne pas se prêter aux évolutions éventuelles du droit pénal qui pourraient ériger en délits de nouveaux faits, supprimer le caractère délictueux d'autres faits. Mais outre que l'extradition ne sera admise en général que pour des faits d'une criminalité constante et invariable, rien n'empêcherait de compléter ou de restreindre l'énumération, dans les cas invraisemblables où l'un de ces faits serait rayé de la législation pénale, et où l'on découvrirait des faits de ce genre qui ne sont pas encore réprimés. On est exposé à d'autres surprises par la méthode de la classification.

Nous ne pouvons guère douter que si la commission italienne avait eu sous les yeux le traité si complet et si remarquable de M. Lammasch, traité qui n'a malheureusement pour elle été publié que dans le courant de la présente année, elle aurait fait une œuvre meilleure encore que celle qu'elle a élaborée. Mais cela ne nous empêche pas de rendre pleinement hommage à son travail, qui constituerait un progrès considérable, lors même qu'il serait adopté sans amélioration nouvelle, et avec les quelques imperfections qu'il présente, ou avec ce que nous considérons comme tel.

LE MARIAGE EN DROIT INTERNATIONAL (1).

EXAMEN DES LEGISLATIONS DES PRINCIPAUX PAYS D'EUROPE

ET D'AMÉRIQUE,

PAR

ÉMILE STOCQUART,

avocat à la cour d'appel de Bruxelles.

Il existe une différence radicale en matière de statut personnel, entre les règles adoptées par les cours anglaises et les principes généraux proclamés par le code italien et admis dans la jurisprudence française et belge. Les dispositions du code Napoléon sur le mariage viennent augmenter ce désaccord et les difficultés qui en résultent.

La presse anglaise a signalé à maintes reprises les conséquences désastreuses de cet état de choses des femmes anglaises, mariées valablement en Angleterre, voyaient leur mariage déclaré nul par les tribunaux français, par suite du défaut d'un consentement indispensable, et se trouvaient dans cette situation digne de pitié, d'être femmes légitimes dans leur pays et concubines en France. L'opinion publique en Angleterre s'émut vivement de pareil scandale; la question fut discutée par les journaux, dans les recueils de droit, dans des réunions publiques; le parlement en fut saisi. On espéra un instant voir régler par voie diplomatique ce grave conflit des deux législations. La divergence fondamentale des principes qui régissent les rapports de famille dans les deux pays ont empêché, paraît-il, les deux gouvernements d'arriver à une entente indispensable. La Grande-Bretagne s'est contentée du droit de pouvoir exiger du consul français un certificat constatant que le fiancé français était en règle avec sa loi nationale. < Le gouvernement de Sa Majesté est disposé à croire qu'un tel certi<ficat apportera en pratique un remède aux maux dont il y a de si justes raisons de se plaindre (2). »

(1) Extrait du 2o volume en préparation : Le statut personnel anglais, par A.-V. DICEY et ÉMILE STOCQUART. Cette étude forme le complément ajouté par M. Stocquart au livre de M. Dicey.

(*) Réponse, en date du 23 février 1885, du sous-secrétaire d'État au Foreign-Office à l'évêque de Manchester, qui avait envoyé précédemment à lord Granville, secrétaire d'État au Foreign-Office, une adresse le priant « d'user de sa puissante influence pour remédier aux maux signalés ».

Comme le fait remarquer Laurent (1), il n'y a pas de contrat international plus important que le mariage, et cependant il est abandonné à l'incertitude la plus absolue. Comment se fait-il que la diplomatie se préoccupe du commerce et de l'industrie, et qu'elle ne songe pas aux intérêts bien plus essentiels de la moralité publique? La capacité légale de l'étranger n'étant pas la capacité légale de l'Anglais, il y a conflit; un traité seul y mettra fin. On peut énumérer dans le traité les conditions que les lois de chaque pays exigent pour pouvoir contracter mariage, et les pièces qu'il faut produire devant l'officier de l'état civil pour justifier de l'existence de ces conditions; les traités en donneraient la formule en indiquant les officiers chargés de les délivrer. Ces pièces, légalisées par un agent diplomatique ou un consul, seraient remises à l'officier de l'état civil du lieu de la célébration, lequel n'aurait qu'à consulter le traité pour s'assurer de la régularité des actes (2).

En semblable matière, dit M. Brocher, les États divers ne devraient pas légiférer dans l'isolement; il faudrait s'entendre, afin de déterminer des règles communes pour les mariages contractés à l'étranger. La communauté de droit est l'idéal de notre science, on peut dire que pour le mariage, c'est une rigoureuse nécessité (3).

Dans l'état actuel de la législation, les mariages contractés à l'étranger doivent, pour être valables, être célébrés dans les formes usitées dans le pays. Quand la validité de ces unions est contestée, il faut que le juge consulte les lois locales; or, la connaissance des lois étrangères est chose excessivement difficile. Je ne pense pas qu'il existe dans aucune bibliothèque d'aucun État une collection complète des lois étrangères. De là une grande incertitude et une mer de doutes (4).

Nous croyons avoir réussi à combler en partie cette lacune, en examinant ci-après les diverses législations des principaux pays de l'Europe et de l'Amérique.

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Il y a lieu d'établir une distinction entre deux ordres de lois, celles

(1) LAURENT, Droit civil international, t. IV, p. 516.

(2) Ibid., p. 515.

(3) BROCHER, Nouveau traité de droit international privé, p. 110.

(1) Laurent, ibid., t. IV, p. 490.

qui déterminent les qualités et les conditions pour pouvoir contracter mariage et celles qui règlent les solennités du mariage.

a) Conditions intrinsèques. 1o Les Français qui se marient à l'étranger sont tenus d'observer les dispositions relatives à l'âge, au consentement des parties, des ascendants ou de la famille, enfin aux empêchements résultant de la parenté ou de l'alliance. (Art. 170.)

Toutes ces dispositions étant prescrites à peine de nullité, il s'ensuit que le mariage célébré à l'étranger sera nul dans les cas où il aurait été nul, s'il avait été célébré en France. C'est en réalité l'application des principes généraux qui régissent le statut personnel (1). « Un Français, » a dit Portalis, en exposant les motifs de l'article 3, ne peut faire fraude aux lois de son pays pour aller contracter mariage en pays étranger, sans le consentement de ses père et mère, avant l'âge de vingt-cinq ans (2). » La jurisprudence est constante à cet égard. En 1881, le tribunal civil de la Seine a résolu la question dans une espèce intéressante. Un mariage avait été contracté à Londres entre Mile d'Imécourt, âgée de seize ans environ, et M. Paul Musurus-Bey, fils de l'ambassadeur ottoman en Angleterre. Mme veuve d'Imécourt demanda la nullité du mariage de sa fille. Cette demande, fondée sur la clandestinité du mariage contracté à Londres, et le défaut de consentement de la mère, a été accueillie par le tribunal (3). Une décision identique a été rendue par le même tribunal, à la date du 26 avril 1887 (4).

2o Les lois qui régissent le mariage étant des lois personnelles, l'étranger reste soumis en France aux lois de son pays, pour autant que celles-ci ne soient pas en opposition avec les bonnes mœurs et avec le droit public (5). Malgré les doutes que l'on a élevés sur ce point, la jurisprudence s'est prononcée en ce sens et elle est aujourd'hui unanime ().

(') Voyez art. 3 c. N. et t. I du Statut personnel anglais, par A.-V. DICEY et ÉMILE STOCQUART, p. 291-296.

(*) PORTALIS, Second exposé des motifs du titre préliminaire, n° 13 (LOCRÉ, t. I, p. 304).

(3) Trib. civ. Seine, 7 juillet 1881, J. D. P., 1882, t. IX, p. 309 et la note.

() J. D. P., 1887, t. XIV, p. 476. Voyez également jug. Bruxelles, 14 février 1884, J T., p. 409.

(5) Trib. civ. Bruxelles, 19 février 1881, P. B., 1881, t. III, p. 95 et la note; décision confirmée par arrêt du 14 mai 1881, P. B., 1881, t. II, p. 263 et la note; B. J., 1881, p. 758 et suiv. Voyez également t. I, du Statut personnel anglais, p. 294-295.

(6) LAURENT, ibid., t. IV, p. 506. Voyez également Code civil annoté de Dalloz, t. I, p. 153 et suiv.

b) Conditions extrinsèques. — 1o Le code Napoléon consacre l'adage universellement admis: Locus regit actum (1). Il en résulte que le mariage contracté en pays étranger entre Français, ou entre Français et étrangers, sera valable, s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays. (Art. 170.) Peu importe donc que le mariage soit un acte religieux en pays étranger ou qu'il se contracte sans forme aucune. C'est ainsi qu'il a été jugé que le mariage célébré par des Belges en Angleterre, devant un ministre anglican, est valable en Belgique (2); que la loi de l'État de New-York n'exigeant, en 1816, aucune formalité civile ou religieuse pour la célébration du mariage, puisque le seul consentement mutuel de se prendre pour époux suffisait, la validité de pareil mariage doit être reconnue en Belgique (3).

Toutefois, la disposition de l'article 170 ajoute la restriction suivante : pourvu qu'il ait été précédé des publications prescrites par l'article 63 ». Le mariage sera-t-il nul, en cas d'omission? Les décisions sont nombreuses. La cour de cassation laisse au juge le soin d'apprécier, d'après les circonstances, si l'union doit être annulée ou maintenue (*). Les époux se sont-ils mariés en pays étranger pour frauder la loi française, les tribunaux annuleront probablement le mariage; ont-ils agi de bonne foi, leur mariage sera valable.

La jurisprudence belge s'est prononcée dans le même sens (5). Toutefois, depuis la mise en vigueur de la loi du 20 mai 1882, on ne saurait plus soutenir que le défaut de publication en Belgique doive entraîner la nullité d'un mariage contracté par un Belge à l'étranger, lors même que les époux ne seraient allés s'y marier que pour frauder la loi belge (6).

(1) Voyez t. I. du Statut personnel anglais, p. 265-276.

(2) Cour de Bruxelles, 26 novembre 1875, P. B., 1876, t. II, p. 511.

(3) Trib. Anvers, 13 janvier 1886. J. T., 311. Consult. Pand. B., vo Acte de mariage, no 549 et suiv., v° Bonnes mœurs, no 19.

(*) Rejet, 8 mars 1875. D. P., 1875, t. I., p. 482. Voyez également LAURENT, Principes de droit civil, p. 39, t. III, § 2; VALETTE sur PROUDHON, t. I, p. 412; Demante, Cours analytique, t. I, p. 242; DEMANGEAT sur FŒLIX, t. II, note (a), p. 370 et suiv.; J. D. P., 1874, t. I, p. 243; 1875, t. II, p. 189; 1879, t. VI, p. 281; 1880, t. VIII, p. 479; 1881, t. VIII, p. 256; 1882, t. IX, p. 85 et 205; 1884, t. XI, p. 67 et 627; 1885, t. XII, p. 183 et 440; 1886, t. XIII, p. 335; 1887, t. XIV, p. 66, 187 et 476.

(5) Trib. Liége, 28 octobre 1882, Cl. et B., 1885, p. 14; Trib. Anvers, 30 mai 1885, Cl. et B., p. 852; LAURENT, Droit civil international, t. IV, p. 498; PRADIER-FODÉRÉ, t. III, p. 836.

(6) Trib. Bruxelles, 10 mars 1883, P. B., t. III, p. 75; J. T., p. 225.

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