Page images
PDF
EPUB

sincèrement que la personne que vous avez annoncée, soit à bord. Je ne partirai pas d'ici, dans tous les cas, que ce navire ne soit en rade.

Je désire bien sincèrement, Monsieur le Président, que cette négociation puisse s'ouvrir. Les dispositions sont toutes favorables, et je serai bien heureux de pouvoir amener à sa fin une affaire d'un si haut intérêt.

Je saisis cette occasion, Monsieur le Président, &c.,

ESMANGART.

(P.)-M. de Laujon à M. le Président d'Haïti.

MONSIEUR LE PRESIDENT,

Paris, ce 8 Mai, 1824.

J'AI quitté avant-hier le Hâvre, d'où j'ai été rappelé aussitôt après l'entrée dans ce port du navire le Rousseau, qui était parti du Port-au Prince le 25 Mars. Ce navire est le quatrième qui soit arrivé au Hâvre depuis le Charles, Capitaine Doullé, sur lequel devait s'embarquer l'Envoyé de Votre Excellence: et non-seulement cet Envoyé ne s'est trouvé sur aucun de ces quatre bâtiments, mais, ni moi, ni M. Esmangart, n'avons reçu d'information qui nous aient fait connaître la cause de ce retard. Le Gouvernement ne pensant pas, Monsieur le Président, qu'il fût possible, d'après toutes les pièces dont j'ai été porteur, et qui sont aujourd'hui entre les mains de Votre Excellence, qu'elle pût concevoir le plus léger doute sur l'exécution franche et loyale des dispositions qui lui ont été annoncées concernant le Traité à intervenir, a vu, avec une extrème surprise, ensuite qu'aucun avis n'ait été donné sur les motifs qui ont pu occasioner son retard. J'ignore jusqu'à ce moment quel est le mouvement auquel il se décidera, et ne puis assez exprimer à Votre Excellence combien cet état de choses me fait éprouver de chagrin. J'ai été comblé de bonheur tout le temps que j'ai été près de vous, Monsieur le Président, j'ai rapporté en France ces mêmes sentiments dont vous m'aviez pénétré, et je ne les ai décrits qu'avec imperfection au milieu de tous mes efforts pour en retracer la vérité, j'ai dit ce que je pensais, et j'affirme encore que mes opinions ne sont pas changées: cependant les intentions que j'avais annoncées comme étant celles de Votre Excellence, et qui avaient été confirmées par elles dans sa Lettre à Monsieur le Conseiller d'Etat Esmangart, ne recevant aujourd'hui aucune confirmation des preuves qui devaient en être données, et que l'on attendait, où est pour moi la possibilité de ramener la confiance et de faire cesser les incertitudes? ces moyens sont au-dessus de mon pouvoir.

Je n'ai ni le courage ni la force de rien ajouter de plus à cette Lettre, et ne puis, Monsieur le Président, vous exprimer que mon profond chagrin, et le désir que j'ai de la prompte arrivée de l'Envoyé de Votre Excellence. J'ai l'honneur d'être, &c.,

A. DE LAUJON.

(P.)-M. de Laujon à M. le Président d'Haïti.

MONSIEUR LE President, Paris, le 12 Mai, 1824. J'AI eu l'honneur de vous écrire, le 8 courant, aussitôt mon retour à Paris, où j'avais été rappelé après l'arrivée du Rousseau, à bord duquel ne s'était trouvé ni l'Envoyé de Votre Excellence, ni aucune Lettre qui eût été adressée, soit à M. Esmangart, soit à moi, pour nous faire connaître les causes d'un retard qui devient si malheureux. Comment est-il possible, M. le Président, qu'aucun rapport quelconque n'ait pu obtenir votre croyance, au point de vous faire douter un seul instant de la franchise et de la loyauté du Gouvernement du Roi? M. Esmangart serait donc entré dans les vues de vous tromper ; j'y aurais donc participé moi-même. Or, je demande à Votre Excellence si rien de tout cela est concevable. Des armements considérables à Brest, une armée de vingt mille hommes arrivée à La Martinique, et destinée à agir contre votre Pays, voilà les nouvelles que vous avez sans doute reçues et que l'on s'est plu à vous faire croire, quand il n'y a pas un mot de vrai. Vous ne tarderez pas à en être convaincu et vous regretterez alors que les choses n'aient pas eu la prompte exécution que vous deviez leur donner. Oui, Monsieur le Président, M. Esmangart et moi serions aujourd'hui en route avec l'Envoyé de Votre Excellence, pour vous porter un Traité, qui, conclu d'après les bases convenables, n'aurait pas souffert ici la moindre difficulté. Que de chagrins j'en ressens! aucune expression de ma part ne suffirait pour vous les retracer. Non-seulement je ne puis pas prévoir quelles pourront être les suites de cette affaire, si le Gouvernement vient à perdre toute confiance dans les promesses qui lui ont été faites; mais je tomberai moi-même auprès de lui dans une disgrâce que je n'aurai pas assurément méritée. Voyez comme les peines touchent de près au bonheur. Tout était joie pour moi lorsque je suis arrivé, je ne l'ai pas laissé ignorer à Votre Excellence, et tout est chagrin aujourd'hui.

Dans l'embarras où je suis de savoir comment je puis enfin persuader Votre Excellence, j'ai l'honneur de lui faire passer la Lettre qui m'a été écrite par M. Esmangart, lors de mon rappel, et je pense qu'elle verra combien tout est vrai dans ce que nous lui disons.

Toutes mes espérances, et celles dans lesquelles je n'ai d'autres ressources que d'entretenir le Gouvernement, sont, que toutes les Lettres que j'ai eu l'intention d'écrire à Votre Excellence, et qui lui seront successivement parvenues, auront eu pour résultats de rétablir sa confiance et de la décider à envoyer promptement. Les choses seront conduites ici avec tant de dextérité, et l'on entrevoit si peu de difficultés dans leur terminaison, que je n'estime pas qu'il doive s'écouler plus de trois mois, à compter du départ de la Personne que

Votre Excellence enverrait, pour que nous nous retrouvions tous ensemble auprès de vous.

Comptez, je vous prie, sur toutes ces vérités, Monsieur le Président, ainsi que sur le profond respect, &c.,

A. DE LAUJON.

(P.)-M. Esmangart à Monsieur de Laujon, au Havre.

Paris, ce 4 Mai, 1824. VOILA, mon cher Laujon, le navire le Rousseau arrivé du Port-auPrince, et pas plus que les autres il ne vous amène la Personne annoncée par le Président. Votre présence au Hâvre n'est plus nécessaire; elle ne servirait désormais qu'à faire jaser d'avantage; et avec tout ce qui s'est dit sur l'objet de votre séjour dans ce port, elle ne servirait même qu'à compromettre le Gouvernement. Nous désirons, certainement bien sincèrement, qu'un arrangement tel qu'il paraissait convenu, vienne mettre un terme à notre position fausse avec St. Domingue: mais encore faut-il que le Gouvernement conserve sa position, sans avoir l'air d'aller trop au-devant d'un arrangement qu'il fera malgré l'opposition de quelques têtes exaltées. Je regrette bien sincèrement, je vous le répète, que le Président n'ait pas mis à exécu tion le projet qu'il avait d'envoyer quelqu'un : la chose serait conclue à présent, et le Traité serait en route pour le Port-au-Prince. Quant à moi, je ne puis attendre ici. Je pars demain pour Strasbourg. J'envoie, de la part du Ministre, une instruction à M. Chabanon, au Hâvre. Et si l'Envoyé que nous attendons débarque dans ce port, il se dirigera sur le point convenu, et je m'y rendrai.

Le Gouvernement ici n'est pas content. Il est blessé de penser que le Président a encore de la défiance. Qu'il voie donc quelle est la position de la France, et il sera convaincu qu'elle n'a besoin d'aucun détour pour demander sans hésiter tout ce qui lui paraîtrait convenable. Comment peut-il croire à ces annonces continuelles d'armements, quand, depuis dix ans, rien de ce qui lui avait été annoncé comme positif en ce genre, ne s'est réalisé Cette méfiance devient injurieuse pour le Gouvernement, qui devient lui-même défiant; et cela ne peut que rendre le Traité plus difficile. Il veut en finir; le Ministre me l'a encore dit hier. Dieu veuille que le Président ne rende pas mes efforts et mes soins inutiles par une temporisation qui ne peut que tout compromettre.

[ocr errors]

Sans adieu revenez sans tarder; nous causerons de tout cela plus à notre aise ici.

Tout à vous,

ESMANGART.

P. S.-Je ne partirai pas d'ici avant votre retour.

RAPPORT des Messieurs Larose et Rouanez à son Excellence le Président d'Haïti.

PRESIDENT,

Port-au-Prince, le 5 Octobre, 1824. NOMMES par Votre Excellence pour nous rendre auprès du Gouvernement Français, à l'effet d'obtenir la reconnaissance, en forme authentique, de l'Indépendance du Peuple Haïtien, et de parvenir ensuite à la conclusion d'un Traité de Commerce entre la France et Haïti, notre devoir et notre conscience nous imposent l'obligation d'exposer à Votre Excellence le résultat de la Mission qui nous a été confiée. Nous écarterons tous les détails qui ne se rattachent pas essentiellement aux faits.

Partis du Port-au-Prince le 1 Mai de la présente année, sur le Julius-Thalès, nous arrivâmes au Hâvre dans la nuit du 14 Juin. Nos Instructions nous recommandaient d'aviser sur le champ M. le Conseiller d'Etat Esmangart de notre débarquement. Nous écrivîmes donc, dès le lendemain à ce Magistrat, qui venait de passer de la Préfecture de la Manche à celle du Bas-Rhin. Nous reçûmes sa réponse (No. 1.) à St.-Germain, où M. Laujon avait eu ordre de nous accompagner.

Avant d'entrer en matière, nous croyons qu'il n'est pas inutile de dire à Votre Excellence que le lieu des conférences, après avoir été d'abord désigné à St.-Germain, fut ensuite fixé à Strasbourg, résidence de M. Esmangart, lequel M. le Marquis de Clermont-Tonnerre, Ministre de la Marine, nous annonçait dans sa lettre du 20 Juin (No. 2.) être autorisé à recevoir nos propositions. Mais d'après les représentations que nous adressâmes à M. Esmangart sur les lenteurs qu'apporterait nécessairement à la conclusion du Traité l'éloignement où nous nous trouvions de la Capitale, nous fûmes appelés à Paris. (Nos. 3. et 4.)

Notre premier soin, en entrant en conférence avec M. Esmangart, avait été de l'inviter à proposer à son Gouvernement de reconnaître l'Indépendance d'Haïti par une Ordonnance Royale, comme la seule forme qui pût inspirer une entière confiance pour l'avenir au Peuple Haïtien. M. Esmangart nous ayant donné l'espoir que cette demande aurait une réponse conforme à nos désirs (No. 5.), nous jugeâmes à propos d'établir, sans tarder, les conditions du Traité projeté, dont il avait d'ailleurs parfaite connaissance, puisqu'il les avait provoqués luimême, par sa Lettre à Votre Excellence en date du 7 Novembre, 1823, et dans ses instructions à M. Laujon. Ces conditions reposaient 1° sur la reconnaissance irrévocable de l'Indépendance d'Haïti; 2° sur une indemnité pécuniaire en faveur de la France; 3° sur des avantages mutuels de Commerce pour les deux Pays. A cette Communication, M. Esmangart répondit, le 9 Juillet (No. 6.), que nous pourrions le lendemain conférer sur les bases ci-dessus mentionnées.

Néanmoins, plusieurs jours s'étant écoulés sans que nous vissions se réaliser les espérances qu'on nous avait fait concevoir, nous mani[1824-25.]

3 B

festâmes notre anxiété à M. Esmangart, qui, tout en rejetant le retard dont nous nous plaignions sur les grandes occupations du Gouvernement pendant la Session des Chambres, nous assura que sous peu le Ministre serait plus libre, et que l'on ne perdrait pas de temps pour en finir. (No. 7.)

Dès lors, nous eûmes avec M. Esmangart, qui avait cessé toute Correspondance par écrit, de fréquents entretiens, dans lesquels les questions précédemment établies furent agitées de nouveau. Les principales clauses, telles que la Reconnaissance, en forme authentique, de l'Indépendance d'Haïti, l'indemnité pécuniaire et les avantages commerciaux en faveur de la France sur le pied des Nations les plus favorisées, n'occasionnèrent point de longs débats: seulement on trouvait l'indemnité au-dessous des prétentions que l'on voulait faire valoir; mais cela ne devait point, de l'aveu même de M. Esmangart, être une difficulté majeure.

Etant d'accord, ou du moins à peu près, sur tous ces points, nous insistons pour en venir à une fin. C'est alors que M. Esmangart nous parla pour la première fois de la Partie de l'Est d'Haïti, réunie depuis plus de deux ans à la République. Selon lui, le Traité ne devait embrasser que la Portion de Territoire ayant appartenu ci-devant à la France, et S. M. T. C. ne pouvait stipuler pour le Roi d'Espagne. Nous déclarâmes qu'il ne nous était pas permis d'admettre une distinetion non produite dans les ouvertures qui avaient été faites à notre Gouvernement, et qui avaient amené notre mission. Cet obstacle inattendu nous laissa entrevoir qu'on cherchait ou à traîner l'affaire en longueur, ou à se ménager un moyen de la rompre.

Cependant le terme que Votre Excellence avait assigné à notre Négociation approchait, et nous voyions avec douleur que le Ministère ne se prononçait pas. En conséquence nous écrivîmes les 28 et 30 Juillet, à M. Esmangart, pour lui rappeler ses promesses, et pour lui dire que si l'on persistait à éluder de conclure, on nous mettrait dans la pénible nécessité de réclamer immédiatement nos Passeports. M. Esmangart vint nous voir le 31; et, après être convenus de nous répondre officiellement (ce que pourtant il n'a pas fait), il nous proposa une entrevue avec le Ministre. Elle eut lieu le soir du même jour.

M. le Marquis de Clermont-Tonnerre ouvrit la conférence en disant qu'il avait chargé M. le Conseiller-d'Etat Esmangart de nous inviter à cette entrevue dans l'intention de nous faire part du projet d'Ordonnance Royale qui consacrait l'Indépendance d'Haïti, comme nous l'avions désiré, et dans lequel Sa Majesté ne se réservait que la SOUVERAINETE EXTERIEURE. Vous pouvez juger de notre étonnement, Président, lorsque nous entendîmes proférer ce mot qui blesse au vif l'honneur national: aussi, malgré tous les efforts que M. le Ministre de la Marine fit pour nous persuader que cette réserve était autant

« PreviousContinue »