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geaient la barque. Pictet n'eut garde de ne pas le faire sentir à ses collègues lorsque, le 13 juin, en Conseil, il leur rendit compte de son mandat.

« Magnifiques et très Honorés Seigneurs, disait-il en terminant son exposé, je sens que le résultat de ma mission est peu satisfaisant pour Genève. Les difficultés étaient grandes j'ai eu bien souvent le sentiment de mon incapacité et de mon inexpérience dans des affaires aussi délicates et aussi importantes.

>> Je ne pense pas néanmoins qu'aucune faute grave ait été commise ou qu'aucune démarche essentielle ait été négligée. Notre position actuelle demeure aussi bonne que l'ensemble des circonstances dans lesquelles nous étions ait pu le permettre; il nous reste encore une probabilité d'accession et d'arrangement de délimitations par voies amiables. >>>

Le Conseil répondit à ce discours en arrêtant de « témoigner à M. le conseiller Pictet son entière satisfaction de sa conduite à Paris, de son zèle, de son courage à lutter contre les obstacles et les désagréments de sa position; de lui déclarer qu'il avait répondu en tout à la confiance du Conseil et qu'il avait droit à ses remerciements. >>

CHAPITRE IV

MISSION DE PICTET DE ROCHEMONT ET D'IVERNOIS

AU CONGRÈS DE VIENNE

1814-1815

Les Genevois mirent à profit les quelques mois qui s'écoulèrent entre la signature du premier traité de Paris et l'ouverture du Congrès de Vienne pour resserrer, autant qu'il dépendait d'eux, leurs liens avec la Suisse, et en même temps pour asseoir sur une base régulière leur organisation politique intérieure. Sur le premier point, un gage préalable leur avait été donné dès le 1er juin par l'envoi, mentionné plus haut, d'un bataillon fribourgeois. Le 10 juillet, leurs députés à Zurich, MM. Saladin et Schmidtmeyer, étaient admis à discuter avec la commission diplomatique fédérale les questions se rattachant à l'entrée de la république dans l'Alliance helvétique. Les « bases constitutionnelles » que ces députés présentèrent à leurs futurs confédérés, au nom du Conseil provisoire, reçurent l'approbation de la commission. Les 22/24 août le projet de constitution élaboré par le Conseil fut soumis à l'ensemble des citoyens genevois âgés de plus de vingt-cinq ans et adopté par eux à la presque unanimité des suffrages.

Le 12 septembre, la Diète étant réunie à Zurich, le

bourgmestre de Reinhard, président de cette haute assemblée, invita les députations à faire connaître leurs instructions sur la demande de Genève d'être reçu au nombre des Cantons. Sur vingt-un Etats présents (en y comprenant deux demi-cantons), quinze se prononcèrent sans hésiter pour l'admission; deux députations prirent le référendum pour laisser à leurs commettants le soin de décider s'ils voulaient de Genève comme canton ou seulement comme allié; une (Unterwald-le-Haut) prit le référendum sur ce dernier point seulement. Trois députations (Schwyz, Tessin et le Bas-Unterwald) étaient absentes.

Il fut résolu qu'on donnerait immédiatement avis de ce vote au Conseil genevois, mais en même temps, la Diète se réservait de délibérer ultérieurement sur la forme, les conditions et l'époque de l'incorporation effective de Genève à la Suisse.

Quelque conditionnelle que fût la forme de la réponse faite à la demande des Genevois, ceux-ci n'en accueillirent pas moins le vote de la Diète avec une vive reconnaissance et manifestèrent leur joie par des salves d'artillerie, des sonneries de cloches, une illumination générale, des services d'actions de grâce dans toutes les églises. Après quoi, rassurés dans une grande mesure sur leur avenir, ils s'occupèrent sans délai du choix de leurs magistrats définitifs.

Un Conseil Représentatif ou Souverain, composé de deux cent quarante membres, fut élu entre le 17 septembre et le 6 octobre. Le premier acte de ce corps consista à nommer les Syndics et le Conseil d'Etat. Ainsi qu'on pouvait s'y attendre, les membres du gouvernement provisoire furent tous confirmés dans leurs fonctions. Ami Lullin et Pictet de Rochemont réunirent, à quatre voix près, l'unanimité des suffrages.

Pictet n'assistait point à cette élection. Dès le milieu du mois de septembre, il avait été invité par le Conseil à se rendre à Vienne pour tâcher de regagner, s'il en était temps encore, auprès du Congrès qui allait s'assembler, ce qu'il n'avait pas été possible d'obtenir à Paris. On lui adjoignait dans cette tâche délicate M. François d'Ivernois, le « chevalier » d'Ivernois, comme on l'appelait depuis que le roi George III l'avait créé knight. Pictet se mit en route le 25 septembre, accompagné de M. EynardLullin comme secrétaire de légation, et arriva quelques jours avant son collègue, qu'une mission spéciale auprès du cabinet anglais avait retenu en route 1.

De même que nous l'avons fait pour les négociations de Paris, nous laisserons à Pictet lui-même la parole pour celles de Vienne. Sa correspondance avec le secrétaire d'Etat Turrettini offre, des démarches des deux députés, un exposé plus circonstancié encore et surtout plus vivant que le compte rendu officiel déposé aux archives de l'Etat. Quelques détails tirés soit des notes manuscrites de M. d'Ivernois, soit du journal privé de M. Eynard-Lullin, serviront à compléter le tableau. Jusqu'à ce jour, ces divers documents étaient restés inédits 2.

Dans le rapport que Pictet de Rochemont présenta au Conseil d'Etat, après son retour de Vienne, au mois

1 Les instructions écrites remises à Pictet et à d'Ivernois par le Conseil d'Etat commençaient ainsi :

« Le choix que nous avons fait de vous pour vous confier la plus importante mission que Genève ait jamais donnée à ses magistrats les plus consommés, doit vous démontrer combien nous comptons sur vos lumières,... » etc.

2 Quelques pages de la correspondance de Pictet ont cependant été publiées en 1860, à l'occasion du débat soulevé par l'annexion de la Savoie. C'est à l'obligeance de feu M. Auguste d'Ivernois que nous devons la communication des notes laissées par son père. Feu Mme Eynard-Eynard a eu également la bonté de nous permettre de prendre connaissance du journal si intéressant tenu par son père à Vienne.

d'avril 1815, il définissait en ces termes le caractère qu'avait revêtu la mission des députés genevois :

« Le 17 septembre 1814, M. le conseiller d'Ivernois et moi, nous reçûmes du comité diplomatique les instructions approuvées par le Magnifique Conseil, à l'effet de tâcher d'obtenir, au Congrès de Vienne, la réalisation des espérances qu'avaient fait naître la dépêche officielle des ministres plénipotentiaires près la Diète Helvétique, en date du 1er mai 1814, et celle du ministre anglais, en date du 4 août suivant. »

« Arrivé à Vienne le 5 octobre, en dix jours de route, avec M. Eynard qui était qualifié de secrétaire de légation dans les lettres de créance, je me présentai d'abord chez les ministres pour solliciter des audiences et remettre les lettres dont j'étais porteur.

» M. d'Ivernois arriva le 12. Nous combinâmes nos opérations et nous nous divisâmes le travail. Il se chargea plus particulièrement des Anglais, et moi des Russes. Nous nous partageâmes les cabinets d'Autriche, de Prusse et de France.

» Pendant près de six mois qu'a duré notre séjour à Vienne, nous avons vécu dans une grande activité, nous avons communiqué ensemble et sans réserve sur tous les détails, discuté sur tous les points délicats, pris nos résolutions d'accord, travaillé dans le même esprit, et nous avons eu le bonheur de n'être en dissension sur aucun point essentiel.

» Je dois observer en général que nous avons trouvé une prévention favorable et une singulière bienveillance qui nous ont tout facilité. Nous avons dû principalement cet avantage à l'intérêt qu'inspire Genève comme ville littéraire et savante, et à la bonne conduite des Genevois

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