Page images
PDF
EPUB

Conseils résolurent de demander immédiatement à leurs anciens et fidèles alliés de Zurich et de Berne le « secours >> promis par les traités.

Ce secours ne leur fit point défaut. Depuis longtemps les Suisses tournaient du côté de la vallée du Léman des regards inquiets. Ils comprirent que l'heure de prendre les armes était venue. Toutefois, afin d'éviter jusqu'à la plus légère apparence de provocation envers la France, il fut convenu que les contingents fédéraux n'entreraient dans Genève qu'au moment où le péril serait devenu évident et extrême.

La Savoie offrit aux Français une proie facile; l'envahissement de ce duché ne leur coûta pas un seul homme, c'est Montesquiou lui-même qui l'affirme. Le 30 septembre, dans la soirée, leur armée arrivait en vue des murs de Genève, pensant trouver cette ville livrée à ses seules forces. Mais déjà les Suisses s'y étaient jetés. Dans la matinée de ce jour, c'était un dimanche, et les cloches sonnaient pour le service divin, une flotille de 10 barques venant de Nyon était apparue à l'entrée du port. Elle portait 1600 fantassins bernois. Un d'Erlach, un de Watteville commandaient ces troupes dont la belle tenue, au dire des récits contemporains, contrastait avec l'indiscipline des bataillons de Montesquiou. Le débarquement eut lieu à la place du Molard, au milieu des cris de joie. Ce premier détachement fut suivi, à quelques jours de distance, d'un corps de Zuricois qui vint porter à 2260 hommes la garnison helvétique dans Genève 1.

Ces milices marchaient en chantant un Kriegslied com

1 Un témoin oculaire, G.-A. De Luc, raconte que « le dernier convoi de Zuricois ayant été contraint, par le vent, de longer la rive française du lac, de Versoix on leur chanta à gorge déployée l'air de Ça ira! Ils y répondirent en entonnant en chœur un de leurs psaumes qui annonce la confusion aux méchants et le succès aux gens de bien. >>

posé expressément pour la circonstance sur l'air : Prinz Eugen der edle Ritter, et dont les paroles, à défaut d'éloquence lyrique, avaient du moins le mérite de refléter assez fidèlement les sentiments complexes qui, à ce moment, animaient les cantons à l'égard de la France.

D'une part, un désir sincère et très général de continuer à vivre sur le pied de paix, aussi longtemps que possible, avec une nation au sein de laquelle, pendant des siècles, les Suisses avaient trouvé l'avantage d'une carrière lucrative dans le service capitulé, sans parler des intérêts économiques communs aux deux pays par le fait du voisinage; partant, une ferme résolution d'observer la neutralité au milieu de la lutte prête à s'engager entre la France et l'Autriche.

D'autre part, une méfiance et même une irritation profonde, engendrées par tout ce qui se passait en France, depuis une année surtout 1.

Rien, sous ce rapport, ne dépeint mieux la situation respective des deux peuples que la correspondance de Barthélemy, ambassadeur de France auprès des cantons,

1 Voici deux strophes de ce Lied der schweizerischen Truppen zu Genf und an der französichen Grenze:

Nun denn, Söhne wack'rer Väter,
Stürzet, Brüder, wie das Wetter,
Auf die stolzen Franken zu!
Wenn sie, alter Freundschaft müde,
Gegen Bund, und Treu', und Friede,
Stören unser Glück und Ruh.

Franken! Eure eig❜nen Sachen
Habt ihr erst zurecht zu machen;
Bringt sie wohl und gut zu End;
Gebt euch Ruh und Ordnung wieder,
Dann sind Freunde wir und Brüder,
Und die Fehde hat ein End.

[ocr errors]

de 1792 à 1797 1. Ce diplomate, dont l'équité et la modération surprennent agréablement quand on songe combien peu ces qualités étaient en faveur dans le gouvernement qu'il était chargé de représenter, ne cesse, dans ses dépêches, de rendre le ministre des affaires étrangères, que ce ministre s'appelle de Lessart, Dumouriez, Chambonnas ou Lebrun-Tondu, — attentif à l'effet déplorable que produisait en deçà du Jura chacun des actes, pour ainsi dire, du gouvernement ou du peuple français à cette époque injures et calomnies de la presse révolutionnaire à l'égard de Berne et des autres Etats aristocratiques; envoi en Suisse d'agents provocateurs ; tentatives faites pour troubler ou renverser les gouvernements cantonaux ainsi que pour débaucher leurs troupes; refus de laisser transiter par la France les grains étrangers destinés à l'alimentation des cantons; désarmement du régiment suisse d'Ernst par la populace d'Aix; ovation aux soldats révoltés du régiment de Châteauvieux; invasion du Porrentruy et tentative de mettre la main sur le défilé de Pierre-Pertuis qui faisait partie intégrante du sol helvétique; massacre de la garde suisse dans la journée du 10 août ; enfin, au lendemain de ce même 10 août, la prétention de LebrunTondu de faire reconnaître immédiatement et sans réserve aucune, par le Corps helvétique, le gouvernement issu de cette insurrection.

Cette dernière exigence avait arraché à Barthélemy luimême une protestation indignée :

Mon attachement pour mon pays et ma conviction, écrit-il au ministre, me défendent d'adresser au Corps helvétique les nou

↑ Papiers de Barthélemy, ambassadeur de France en Suisse, 1792-1797, publiés par J. Kaulek. Paris, 1886. Les tomes I, II et III, allant jusqu'au mois de mars 1794, ont seuls paru jusqu'ici.

velles lettres de créance que vous m'envoyez, parce que je sais par les principaux magistrats de la Suisse que jamais ils ne pourront les recevoir dans un moment où elles sont, pour ainsi dire, encore teintes du sang de leurs concitoyens; parce que je vois que la rage qui est prête à éclater de toutes parts ne nous permet point de penser à les présenter avant la réunion et le prononcé de la Convention nationale; et parce que l'acte que vous me chargez de remplir devant nécessairement aboutir à une guerre terrible entre la France et la Confédération helvétique, je trahirais mon devoir, ma patrie, ma conscience, si j'acceptais d'être l'agent entre les mains duquel doivent se briser des liens dont tant de siècles célèbrent la gloire.

Il est en votre pouvoir, monsieur, de faire l'essai de ce que j'avance envoyez un autre agent en Suisse.... D'abord je ne sais quelle ville le recevra en ce moment-ci. Il écrira au Corps helvétique. On ne lui répondra pas. Il multipliera en vain ses lettres, l'état de guerre résultera de ce silence. Les cantons n'admettront nos lettres de créance que quand nous les aurons soumis.

Lebrun renonça à son projet. Il consentit à ce que Barthélemy restât en Suisse en se bornant au rôle d'« agent indirect près le Corps helvétique.

Barthélemy n'avait pas épargné à son gouvernement les avertissements au sujet de Genève. Dès le 30 mars, il écrivait :

Berne et Genève sont extrêmement alarmés du bruit qui se répand qu'un corps de troupes doit s'avancer vers le pays de Gex, ainsi que des travaux de l'imprimerie de Versoix et de leur objet. Nous sommes évidemment, vis-à-vis des Suisses, dans la position la plus critique. Chaque jour détache et brise un chainon des liens qui nous unissaient à eux. Nous aurons infiniment de peine à regagner leur confiance.

9 mai. Les Suisses sont beaucoup plus inquiets de ce qui pourrait se passer du côté de la Savoie [que sur les bords du Rhin], à cause de Genève. Vous connaissez, monsieur, les liens

de tout genre qui unissent cette république aux cantons de Zurich et de Berne, et indirectement au Corps helvétique, et il n'est pas douteux que ce dernier concevrait des alarmes pour son propre repos si celui de Genève venait à être compromis.

15 mai. Neuchâtel et Genève désirent également être compris dans la neutralité helvétique. Par le passé, ces villes et pays ont toujours été considérés sous ce point de vue. Il est à espérer qu'ils le seront aussi dans le cas présent, surtout Genève et Neuchâtel, qui sont la sauvegarde des cantons et qui n'ont point donné d'occasion d'en agir envers eux comme envers le Porrentruy.

Le 14 juin, le Corps helvétique notifiait au roi de France la détermination prise par la Diète d'observer une neutralité stricte, de la défendre au besoin par la force, et il exprimait en même temps l'espoir que Neuchâtel, Genève et les Etats de l'évêque de Bâle seraient « d'après l'ancien usage, compris dans l'enceinte de la neutralité helvétique. >>

Barthélemy écrit de nouveau le 9 juillet :

Nous ne devons pas être étonnés que le Corps helvétique réclame la neutralité en faveur de Genève.... Cette république a une alliance défensive avec Zurich et Berne de l'année 1584, qui la met sous la protection immédiate de ces deux Etats, ce qui, en cas de guerre, pourrait compromettre indirectement tout le Corps. helvétique. Nous avons bien le droit, ainsi que Berne, d'après le traité de 1579, de faire passer nos troupes par Genève, mais le canton de Berne a de plus celui d'y mettre une garnison, que la France s'est même engagée à payer dans le cas où elle serait jugée nécessaire.

Les ministres qui se succédaient à courts intervalles aux affaires étrangères, protestaient, cela va sans dire, de la pureté de leurs intentions à l'égard de la Suisse, mais la

« PreviousContinue »