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1813, Napoléon se préparait-il à mettre la main sur ces biens, quand l'heure de la délivrance sonna.

Une clause du traité de réunion, tel qu'il fut signé le 26 avril 1798, clause imposée par le gouvernement français, mérite d'être relevée : c'est celle qui exclut nominativement Jacques Mallet-Du-Pan, l'aîné, François d'Ivernois et Jacques-Antoine Du Roveray de « l'honneur de devenir en aucun temps citoyens français, » pour le fait d'avoir écrit et manœuvré ouvertement contre la République française. » En croyant flétrir par là ces trois Genevois courageux, le Directoire leur décernait sans s'en douter la plus belle récompense que leurs cœurs de patriotes pussent ambitionner.

Le 19 mai, la Commission extraordinaire, ayant terminé ses travaux, se déclara dissoute. Le 12 juin, toutes les autorités constitutionnelles genevoises cessèrent de fonctionner, et le lendemain, Félix des Portes installa dans Saint-Pierre les nouvelles autorités françaises. Dès le 10 juin, il avait fait enlever de l'intérieur de ce temple les drapeaux aux couleurs genevoises qui y étaient suspendus, détruire sur la façade de l'hôtel de ville les armoiries nationales, et briser les coins pour battre monnaie qui portaient l'écusson de l'ancienne république.

Ce même jour, 10 juin, on put voir s'élever tout à coup de l'enceinte de la ville plusieurs oiseaux de grande taille qui prirent majestueusement leur vol dans la direction de Cologny. C'étaient les armoiries vivantes de Genève, ses aigles, qui fuyaient la cité asservie. Le commissaire du Directoire avait oublié ce dernier emblème d'une nationalité vaincue, mais des Genevois y avaient songé à sa place, et, de leur propre mouvement, ils s'étaient rendus à la place de Longemalle et avaient ouvert les cages.

CHAPITRE II

LA BIBLIOTHÈQUE BRITANNIQUE. L'AGRICULTURE A LANCY

(1796-1813)

Dans un écrit sur la restauration de Genève, produit d'une plume étrangère 1, Pictet de Rochemont est dépeint comme incessamment occupé, à partir de 1792 et jusqu'à la chute de l'empire, à entretenir des correspondances secrètes avec les ministres de diverses puissances dans l'espoir, toujours déçu, de les déterminer à concourir, soit au rétablissement, dans sa patrie, du gouvernement aristocratique, soit à l'annulation du traité de réunion. Il y a là une erreur basée sur une confusion de noms. L'auteur, peu au courant des personnes dont il parle, met au compte de Charles Pictet un fait concernant l'ancien syndic Isaac Pictet et qui n'a d'ailleurs aucunement la portée qu'il lui attribue. La vérité, c'est que, tout en ressentant plus profondément que personne la perte de l'indépendance nationale, Pictet de Rochemont se consacra exclusivement à ses devoirs de famille et à des entreprises littéraires ou

1 Genève et les traités de 1814 et 1815, par Louis Ricard, juge au tribunal de Gex. 1 vol., Paris, 1883. Cet ouvrage abonde en affirmations risquées mêlées à des méprises qui font sourire.

agricoles durant toute la période de 1792 à 1813. A défaut d'autres considérations, le simple bon sens eût suffi pour le détourner de tentatives qui, à l'époque dont il s'agit, ne pouvaient avoir aucune chance de succès.

Il faut reconnaître, cependant, qu'un de ses buts en fondant, en 1796, la Bibliothèque britannique, fut de protester dans la mesure de ses forces contre ce qu'il y avait d'insensé et de funeste dans une partie des théories issues de la révolution, comme aussi de réagir contre l'avilissement de mœurs et de caractères que devaient forcément produire des régimes tels que le Directoire, et après lui l'Empire. C'est ce qui ressort nettement du prospectus de cette Revue, et il est de fait que le but proposé fut en partie atteint. La Bibliothèque britannique contribua pour sa bonne part, au milieu du chaos des luttes politiques et des stériles triomphes de la guerre, à propager les inventions, les découvertes et les méthodes utiles à l'humanité 1; elle sauvegarda le renom moral et intellectuel de Genève ; elle gagna à cette ville, même tombée au rang de préfecture française, des amis influents dont l'appui lui fut précieux plus tard.

Charles Pictet, avant de se faire journaliste, avait essayé sa plume dans des traductions ou des compilations. La première en date fut le Tableau de la situation actuelle des Etats-Unis, d'après Morse et les meilleurs auteurs contemporains, qui parut à la fin de 1795 2. (Paris, 2 vol. in-8°.)

1 A commencer par la vaccine. C'est à la Bibliothèque britannique que revient l'honneur d'avoir, la première sur le continent, et cela dès 1798, attiré l'attention sur les résultats obtenus en Angleterre par la méthode de Jenner.

2 Disons ici, pour n'avoir pas à y revenir, que, en dehors de la Bibliothèque britannique (plus tard universelle), les ouvrages que Pictet fit paraître sont les suivants :

Recherches sur la nature et les effets du crédit du papier dans la Grande-Bretagne, traduit de l'anglais de Thornton (1803).

Aperçu des avantages de la culture des moutons pour notre pays (s. d.).

Dans une lettre datée de Cartigny, 15 avril 1796, et adressée à M. Louis de Végobre, il raconte comment il fut amené à cette publication.

Je ne pensais guère à faire ce livre.... Je cherchais des renseigne ments pour des projets que je formais vaguement sur l'avenir 1. Je voulais me distraire des objets passés et présents en rassemblant quelques idées sur une masse de faits qui me paraissaient frappants. Mais, peu à peu, mon travail m'a attaché. Je me suis imaginé que le tableau des effets de la véritable liberté, mis en opposition avec ceux du fanatisme qu'on a honoré de ce nom, pourrait produire quelque bien. J'ai espéré que les faits feraient passer les réflexions, et que l'ensemble, publié dans un moment où l'on paraissait revenir aux idées modérées, pourrait contribuer à reporter l'attention vers l'architype de perfection des constitutions politiques, duquel les Américains ont pris tout ce qu'ils ont de bon. Enfin, j'ai eu pour but de démontrer que c'était bien en vain que nos voisins espéraient voir affermir parmi eux un gouvernement républicain, puisque les Anglais d'au delà de l'Océan, ces têtes froides, ces gens qui aimaient l'ordre et les lois par instinct, qui croyaient en Dieu et qui avaient depuis longtemps les habitudes républicaines, n'ont établi leur république qu'à l'aide de circonstances inouïes.

Je n'ai pas été faché, non plus, je l'avoue, de donner l'essor à

Théologie naturelle, traduit librement de l'anglais de Paley (1804).

Vues relatives à l'agriculture en Suisse, traduit de l'allemand, de Fellenberg, (1808).

Poésies de Byron, Thomas Moore et Walter Scott, traduites en français (s. d.) Ses articles périodiques sur l'agronomie furent réimprimés en 10 volumes in-8° (1808-1810) sous le titre de : Cours d'agriculture anglaise. Quant à ses écrits politico-stratégiques, il en sera parlé plus loin.

1 Ces projets consistaient à émigrer en Amérique avec son frère et leurs deux familles. Chose curieuse, Mme de Staël eut un instant l'idée de les y accompagner. Bien d'autres Genevois, au reste, y avaient pensé. Il ressort d'une lettre écrite de Londres, le 29 août 1794, par Etienne Du Mont à Albert Gallatin, qu'à cette époque d'Ivernois s'occupait d'un projet qu'il avait conçu de transplanter toute l'Académie de Genève aux Etats-Unis ! « Il me semble, écrit Du Mont, que ce projet réunit tout ce qu'on peut souhaiter,... c'est la liberté heureuse qui accueille la liberté persécutée. Il est essentiel de garder le secret pour ne pas éveiller la tyrannie révolutionnaire contre les membres de notre Académie. »>

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