Page images
PDF
EPUB

quelle était placé l'acte additionnel aux constitutions de l'empire, S. A. S. le prince archichancelier a remis la plume à S. A. I. le prince Joseph, qui l'a présentée à l'empereur, et S. M. a revêtu de sa signature l'acte de promulgation de la Constitution.

La table ayant été retirée, l'empereur, assis et couvert, a parlé en ces termes : « Messieurs les électeurs des colléges de département et d'arrondissement; Messieurs les députés de l'armée de terre et de mer au Champ-de-Mai;

» Empereur, consul, soldat, je tiens tout du peuple. Dans la prospérité, dans l'adversité, sur le champ de bataille, au conseil, sur le trône, dans l'exil, la France a été l'objet unique et constant de mes pensées et de mes actions.

» Comme ce roi d'Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple, dans l'espoir de voir se réaliser la promesse donnée de conserver à la France son intégrité naturelle, son honneur et ses droits.

[ocr errors]

L'indignation de voir ses droits sacrés, acquis par vingt-cinq années de victoires, méconnus et perdus à jamais; le cri de l'honneur français flétri; les vœux de la nation m'ont ramené sur ce trône qui m'est cher, parce qu'il est le palladium de l'indépendance, de l'honneur et des droits du peuple.

Français, en traversant au milieu de l'allégresse publique les diverses pravinces de l'empire pour arriver dans ma capitale, j'ai dù compter sur une longue paix ; les nations sont liées par les traités conclus par leurs gouvernemens, quels qu'ils soient.

» Ma pensée se portait alors tout entière sur les moyens de fonder notre liberté par une Constitution conforme à la volonté et à l'intérêt du peuple. J'ai convoqué le Champ-de-Mai.

1

>> Je ne tardai pas à apprendre que les princes qui ont méconnu tous les principes, froissé l'opinion et les plus chers intérêts de tant de peuples, veulent nous faire la guerre. Ils méditent d'accroître le royaume des Pays-Bas, de lui donner pour barrières toutes nos places frontières du nord, et de concilier les différends qui les divisent encore, en se partageant la Lorraine et l'Alsace. » Il a fallu se préparer à la guerre.

[ocr errors]

Cependant, devant courir personnellement les hasards des combats, ma première sollicitude a dû être de constituer sans retard la nation. Le peuple a accepté l'acte que je lui ai présenté.

» Français, lorsque nous aurons repoussé ces injustes agressions, et que l'Europe sera convaincue de ce qu'on doit aux droits et à l'indépendance de vingthuit millions de Français, une loi solennelle, faite dans les formes voulues par l'acte constitutionnel, réunira les diftérentes dispositions de nos constitutions aujourd'hui éparses.

>> Français, vous allez retourner dans vos départemens. Dites aux citoyens que les circonstances sont grandes!!! Qu'avec de l'union, de l'énergie et de la persévérance, nous sortirons victorieux de cette lutte d'un grand peuple contre ses oppresseurs; que les générations à venir scruteront sévèrement notre conduite; qu'une nation a tout perdu quand elle a perdu l'indépendance. Dites-leur que les rois étrangers que j'ai élevés sur le trône, ou qui me doivent la conservation de leur couronne; qui tous, au temps de ma prospérité, ont brigué mon alliance et la protection du peuple français, dirigent aujourd'hui tous leurs coups contre ma personne. Si je ne voyais que c'est à la patrie qu'ils en veulent, je mettrais à leur merci cette existence contre laquelle ils se montrent si acharués. Mais dites aussi aux citoyens que tant que les Français me conserveront les sentimens d'amour dont ils me donnent tant de preuves, cette rage de nos ennemis sera impuissante.

T. LX.

10

D

Français, ma volonté est celle du peuple; mes droits sont les siens; mon honneur, ma gloire, mon bonheur, ne peuvent être autres que l'honneur, la gloire et le bonheur de la France. >>

Il serait difficile de décrire l'émotion qui s'est manifestée sur tous les visages aux accens de S. M. et les cris prolongés qui ont suivi son discours.

Alors monseigneur l'archevêque de Bourges, premier aumônier, faisant les fonctions de grand aumônier, s'est approché du trône, a présenté à genoux les Saints-Évangiles à l'empereur, qui a prêté serment en ces termes :

Je jure d'observer et de faire observer les Constitutions de l'empire.

Le prince archichancelier, s'avançant au pied du trône, a prononcé le premier le serment d'obéissance aux Constitutions et de fidélité à l'empereur. L'assemblée a répété d'une voix unanime: Nous le jurons!

Pendant le discours et le serment, les membres de la députation centrale des colléges, au lieu de retourner à leurs places dans l'enceinte circulaire en face du trône, se sont assis sur les marches mêmes du trône, auprès de l'empereur, qui s'est vu environné d'eux comme un père de sa famille. Ils ne se sont retirés que pendant le Te Deum qui a été chanté après le serment, et au moment où les présidens des colléges électoraux se sont avancés pour recevoir les aigles destinées aux gardes nationales de leurs départemens respectifs. L'aigle de la gard nationale du département de la Seine, celle du premier régiment de l'armée et celle du premier corps de la marine ont été tenues, ainsi que l'annonçait le programme de la cérémonie, par les ministres de l'intérieur, de la guerre et de la marine. L'empereur ayant quitté le manteau impérial, s'est levé de son trône, s'est avancé sur les premières marches ; les tambours ont battu un ban, et S. M. a parlé en ces termes :

«Soldats de la garde nationale de l'empire, soldats des troupes de terre et de mer, je vous confie l'aigle impériale aux couleurs nationales; vous jurez de la défendre au prix de votre sang contre les ennemis de la patrie et de ce trône! Vous jurez qu'elle sera toujours votre signe de ralliement; vous le jurez. »

Les cris universellement prolongés nous le jurons! ont retenti dans l'enceinte, et c'est au milieu de ces acclamations et environné des aigles de tous les corps armés de France, que l'empereur est allé se placer avec tout son cortége sur le trône élevé au milieu du Champ-de-Mars, où, en qualité de colonel de la garde nationale de Paris et de la garde impériale, il a donné les aigles aux présidens du département et des six arrondissemens, et aux chefs de sa garde. Le comte Chaptal, président des colléges électoraux de Paris, et le lieutenant-général comte Durosnel, tenaient l'aigle de la garde nationale, et le lieutenant-général comte Friant, celle de la garde impériale. Toutes les troupes ont marché par bataillon et par escadron, et ont environné le trône : les officiers placés en première ligne, l'Empereur a dit :

a Soldats de la garde nationale de Paris, soldats de la garde impériale,

>> Je vous confie l'aigle impériale aux couleurs nationales. Vous jurez de périr, s'il le faut, pour la défendre contre les ennemis de la patrie et du tròne. (Toute cette armée qui, groupée autour du trône, était à la portée de sa voix, a interrompu l'empereur par ces cris mille fois répétés : Nous le jurons!) Vous jurez de ne jamais reconnaître d'autre signe de ralliement. (De nouveaux cris unanimes ont fait entendre: Nous le jurons! Les tambours ont battu un ban et le silence s'est rétabli.) Vous, soldats de la garde nationale de Paris, vous jurez de ne jamais souffrir que l'étranger souille de nouveau la capitale de la grande nation. C'est à voire bravoure que je la confierai. (Les cris nous le jurons! ont été répétés mille et mille fois.) Et vous, soldats de la garde impériale, vous

jurez de vous surpasser vous-mêmes dans la campagne qui va s'ouvrir, et de mourir tous plutôt que de souffrir que les étrangers viennent dicter la loi à la patrie.» (Les acclamations, les cris nous le jurons! ont retenti de nouveau et se sont prolongés dans toute l'étendue du Champ-de-Mars.)

Alors les troupes, qui formaient à peu près cinquante mille hommes, dont vingt-sept mille de gardes nationales, ont défilé devant Ș. M. aux cris de vive l'empereur! et aux acclamations d'un peuple immense qui couvrait les tertres du Champ-de-Mars jusqu'à la Seine.

A la suite de cette narration, on lisait les décrets suivants :

NAPOLÉON, etc.

La Chambre des Pairs et la Chambre des Représentans

sont convoquées pour le 3 du présent mois de juin 1815.

Donné en notre palais des Tuileries, le 1er juin 1815. - Signė, NAPOLÉON. Un décret rendu par S. M. le 26 mai, sur le rapport du ministre de l'intérieur, le conseil-d'état entendu, contient les dispositions suivantes :

ART. 1er. La Chambre des Pairs se formera au palais du Luxembourg, sous la présidence du prince archichancelier de l'empire ou du vice-président.

Elle procédera à la nomination de deux secrétaires définitifs. Les deux plus jeunes d'âge en exerceront provisoirement les fonctions.

2. La Chambre des Représentans se formera dans le palais du corps législatif, sous la présidence du doyen d'âge; les deux plus jeunes feront les fonctions de secrétaires.

3. Lorsque la chambre aura procédé à la nomination de son président, le procès-verbal de cette nomination sera porté à l'empereur par le président provisoire... etc.

Cette cérémonie déplut à la plus grande partie de la population. Elle fut mécontente de n'avoir pas assez vu, d'avoir été trop écartée. On remarqua en général le luxe du cortége; quelques per- ̈ sonnes dirent que cet étalage était déplacé et peu populaire. Le gouvernement instruit fit donner le dimanche suivant, 4 juin, une de ces fêtes que le peuple aime parce qu'il y est, en même temps, acteur et spectateur. Elle fut donnée aux Champs Elysées et avec tous les divertissements d'usage, mâts de cocagne, orchestres, spectacles, illuminations, foire, feu d'artifice. On se plaignit cependant des distributions de vin et d'alimens; on dit que c'était avilir le peuple que de lui jeter ainsi de la nourriture. Enfin, le même jour, l'empereur, qui savait que les invités au Champ-deMai n'étaient guère plus satisfaits que les spectateurs, et qui les avait trouvés trop froids, les réunit dans son palais pour agir directement et personnellement en quelque sorte sur chacun d'eux. Le prétexte de la réunion fut la distribution des aigles que l'on n'avait pu faire au Champ-de-Mai. Voici encore la narration du Moniteur.

Paris,le 4 juin. Aujourd'hui dimanche, 4 juin 1815, au palais des Tuileries, l'empereur étant sur son trône, entouré des princes, grands dignitaires, ministres, grands-officiers, grands-aigles de la Légion-d'Honneur et officiers de sa maison, les membres des colléges électoraux de la France et les députations

des armées de terre et de mer ont défilé successivement devant S. M. Ils ont été conduits dans la salle du trône par les maîtres et aides des cérémonies, introduits par S. Exc. le grand-maître et présentés par S. A. S. le prince archichancelier. L'empereur a reçu ensuite dans la salle du trône les députations des colléges électoraux des départemens dont les noms suivent, qui ont présenté des adresses à S. M. Ces députations ont été introduites et présentées de la même manière. Après la messe, Sa Majesté a passé avec son cortége dans la galerie du Muséum, où elle a trouvé rangés à droite, dans l'ordre alphabétique des départemens, les membres des colléges électoraux, et à gauche les députations miliaires. Elle a été accueillie par de vives et unanimes acclamations. L'aigle de chaque département et de chaque corps était placée à côté du président du collége électoral du département, ou du chef de la députation militaire, et rien n'offrait un spectacle plus magnifique que cette immense réunion de Français dans une galerie si riche des monumens des arts, se pressant tous autour du signe qui doit les rallier pour la défense de leurs foyers. L'empereur, qui, dans l'assemblée du Champ-de-Mai, n'avait pas pu donner de sa main toutes les aigles destinées aux gardes nationales des départemens, a voulu, dans une enceinte plus étroite, accomplir cette promesse, et par là lier plus intimement encore, s'il était possible, les gardes nationales à la conservation d'un gage si précieux; chaque aigle a été présentée par S. Ex. le ministre de l'intérieur à S. M., qui l'a remise elle-mème au président du collége du département auquel elle était destinée. S. M. a reçu avec bonté toutes les pétitions qui lui ont été présentées par les électeurs, et a passé plusieurs heures à s'entretenir avec eux. A l'extrémité de la galerie du Muséum, tous les colléges électoraux ayant eu leur audience de S. M. l'empereur est entré dans le salon qui suit la galerie, y a vu les députations de sa garde, des invalides et des vétérans ; et, après avoir fait le tour de ce salon, est rentré dans la galerie où les députations des armées de terre et de mer étaient rangées à gauche jusqu'à l'autre extrémité.

Cette nombreuse réunion, qu'on peut estimer à dix mille personnes, avait peine à contenir ses sentimens pendant que S. M. parlait à presque tous les membres des colléges : elle s'est dédommagée de cette contrainte par les acclamations du plus vif enthousiasme au moment où S. M. a terminé l'audience et est rentrée dans ses appartemens. Il était sept heures du soir.

A huit heures, une magnifique illumination a dessiné les lignes du palais des Tuileries, une foule immense revenue des Champs-Élysées, où les jeux publics, qui avaient occupé la journée, étaient terminés, s'est portée autour du pavillon du milieu pour y entendre le concert. A neuf heures l'empereur, accompagné de sa famille, a paru au balcon. Il a été salué par des acclamations réitérées. Lorsqu'elles ont permis à l'orchestre de se faire entendre, le concert a commencé.

Après l'ouverture, un chœur nombreux a exécuté la Lyonnaise, dont chaque couplet a été suivi de viss applaudissemens et des cris réitérés de vive l'empereur! On a ensuite entendu les Pas des Scythes, de Semiramis, un chœur guerrier de Tarare, et l'air fameux des Sauvages, de Rameau. Le concert a été terminé par le Vivat in æternum, qui a de nouveau excité des acclamations réitérées (1).

Immédiatement après le concert, le signal a été donné pour le feu d'artifice

(4) On remarqua que la Marseillaise, qu'on chantait cependant partout et particulièrement au café Montansier, devenu un espèce de club militaire, avait été bannie de (Note des auteurs,)

ce concert.

qui était disposé sur la place de la Concorde. L'empereur, en se retirant, a reçu de nouveau les plus éclatans témoignages des sentimens publics. Pendant que la foule s'écoulait par les diverses issues du jardin, et se répandait sur les quais, les ponts et les places adjacentes, le cri de vive l'empereur! se faisait entendre de toutes parts, et répondait au premier cri qu'accompagnaient des chants guerriers de nombreuses réunions de militaires et d'habitans, dont les banquets joyeux se sont prolongés fort avant dans la nuit. ( Moniteur.)

-La première séance de la Chambre des Députés et de la Chambre des Pairs avait eu lieu la veille de cette fête, qui fut la dernière de l'empire. La liste des pairs n'avait été formée que le 2 au soir, dans un conseil privé; ils furent convoqués de suite, c'est-à-dire dans la nuit ou le matin du 5, pour se réunir le même jour, de telle sorte que les noms des membres de la pairie étaient, au moment de l'ouverture de la session, complétement inconnus aux députés et au public. Chacun d'eux même sut quels étaient ses collègues au moment seulement où il les vit prendre séance dans le palais du Luxembourg. Cette manière de 'procéder, ce retard inusité dans la publication d'une liste importante étaient motivés. Napoléon, dit-on, désirait que son frère Lucien, élu député de l'Isère, fût nommé président de la Chambre des Représentans; et, dans ce but, il voulait que les députés ignorassent qu'il devait faire partie de la Chambre des Pairs. Mais les souvenirs du 18 brumaire étaient trop présens encore aux esprits pour que Lucien obtînt une pareille marque de confiance de la part des représentans. Les électeurs de l'Isère semblaient eux-mêmes avoir prévu que sa place n'était pas dans la chambre élective. Ils lui avaient donné un suppléant : c'était Duchesne. Si Lucien échouait dans sa candidature à la présidence dans le corps législatif, Napoléon eût souhaité au moins que celle-ci fût décernée à l'un de ses ministres d'état, Regnault, Merlin, Boulay ou Defermont. Mais tous ses désirs furent contrariés. Les représentans, comme nous allons le voir, se montrè rent moins complaisans qu'on ne s'y attendait peut-être.

Chambre des Représentans. — 5 juin 1815.

La Chambre se constitue provisoirement sous la présidence de son doyen d'âge. Elle prend un arrêté immédiat pour la vérification des pouvoirs, et se sépare en conséquence en commissions. La séance est suspendue pendant quelques heures, durant lesquelles les commissions opèrent les vérifications dont elles sont chargées. Ce travail terminé, la séance est reprise; chaque commission présente successivement son rapport, et l'on vote.

« PreviousContinue »