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voir que des soldats révoltés dans ceux qui se sont montrés les organes généreux de la patrie. Quand ils jugent ainsi, c'est qu'ils comparent nos armées à celles qu'ils font marcher contre nous. Mais les nôtres ne sont point des automates qui n'écoutent ni leurs sentimens ni leur raison. C'est en vain que l'on essaie de séparer les soldats de la nation. L'armée française est vraiment nationale; ce sont nos enfans qui la composent. Loin d'être, comme on a voulu le faire croire, des êtres passifs, des instrumens de tyrannie, ne les a-t-on pas vus stipuler pour la liberté? obéir comme militaires et voter comme citoyens?

>> Il faut proclamer ces vérités, les faire retentir dans toute la France, dans toute l'Europe. Mais, après cette profession de foi, qui est aussi la vôtre; après avoir exprimé les sentimens dont nous sommes tous animés pour les braves qui se dévouent à la défense de la patrie, je dois dire que la déclaration demandée par M. le général Carnot ne peut émaner d'une seule branche de la puissance législative. Nous ne sommes pas encore définitivement constitués; ainsi nous n'avons pas même le caractère légal, nécessaire pour en faire l'objet d'une simple résolution.

» Mais, si nous ne pouvons seuls donner ce témoignage honorable à vos fils, au mien qui fait aussi partie de cette barrière formidable opposée à l'invasion étrangère, à ces braves gardes nationales levées de toutes parts, et dans un nombre qu'il n'est pas temps encore de révéler à nos ennemis, c'est à la nation entière à payer cette dette sacrée. Je demande qu'en reconnaissant toute la justice de la proposition de notre collègue, la décision soit ajournée jusqu'après la réunion effectuée des trois pouvoirs. »

L'ajournement, motivé sur les observations de l'orateur, est prononcé par la Chambre.

Un secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

Un membre fait observer qu'il n'y est pas fait mention de la déclaration faite par le président d'âge, relativement au compte-rendu de sa mission auprès de l'empereur.

M. Boulay, de la Meurthe, monte à la tribune et confirme ce qui a été dit dans la séance d'hier par MM. Regnault de Saint-Jean-d'Angély et Dumolard. « M. le président d'âge, ajoute l'orateur, se trouvait depuis quelques instans dans un salon voisin du cabinet de l'empereur: S. M. n'en avait point été avertie; en recevant M. le président, S. M. lui a témoigné son regret que le chambellan de service ne l'eût point prévenue plus tôt.

» Je pense qu'il convient que le procès-verbal contienne seulement que M. le président a rendu compte de sa mission à la Chambre. >>

Cette proposition est adoptée.

La rédaction du procès-verbal est approuvée.

Il est donné communication à l'assemblée de la lettre suivante :

<< Monsieur le président, j'ai l'honneur de vous prévenir que S. M. l'empereur partira, avec son cortége, du palais des Tuileries, demain mercredi 7 juin, à quatre heures après midi, pour se rendre au palais des représentans, et faire l'ouverture de la session des Chambres.

» Je joins ici le programme arrêté pour cette cérémonie, suivant l'usage.

» Je vous prie d'agréer l'expression de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc. -SÉgur. »

Le scrutin de ballottage entre M. le général Grenier et M. Bedoch pour le choix d'un quatrième vice-président donne, sur 495 votaus, 365 suffrages à M. le général Grenier.

Dans un autre scrutin, pour la nomination de quatre secrétaires définitifs, M. Bedoch obtient la majorité absolue, et M. le président le proclame l'un des secrétaires de la Chambre. La séance est levée.

Séance impériale pour l'ouverture de la session.- Réunion des deux Chambres. 7 juin 1815.

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Les cris de vive l'empereur! vive la nation! vive la libertė! annonçaient au loin le cortége. Ils retentissent au sein de la représentation nationale. Napoléon a paru, accompagné de ses frères Joseph et Lucien, de son oncle le cardinal Fesch, et suivi des grands dignitaires, des grands officiers de la couronne de ses grands aigles, etc. Madame mère et la reine Hortense occupent une tribune particulière..

Après avoir reçu, dans les formes ordinaires, le serment des pairs et des députés, l'empereur a dit ;

« Messieurs de la Chambre des Pairs et messieurs de la Chambre des Représentans, depuis trois mois les circonstances et la confiance du peuple m'ont revêtu d'un pouvoir illimité. Aujourd'hui s'accomplit le désir le plus pressant de mon cœur : je viens commencer la monarchie constitutionnelle.

>>> Les hommes sont impuissans pour assurer l'avenir; les institutions seules fixent les destinées des nations. La monarchie est nécessaire en France pour garantir la liberté, l'indépendance et les droits du peuple.

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>> Nos Constitutions sont éparses : une de nos plus importantes occupations sera de les réunir dans un seul cadre, et de les coordonner dans une seule pensée. Ce travail recommandera l'époque actuelle aux générations futures.

» J'ambitionne de voir la France jouir de toute la liberté possible; je dis possible, parce que l'anarchie ramène toujours au gouvernement absolu.

» Une coalition formidable de rois en veut à notre indépendance; ses armées arrivent sur nos frontières.

La frégate la Melpomène a été attaquée et prise dans la Méditerranée, après un combat sanglant contre un vaisseau anglais de soixante-quatorze. Le sang a coulé pendant la paix!

» Nos ennemis comptent sur nos divisions intestines. Ils excitent et fomentent la guerre civile. Des rassemblemens ont lieu; on communique avec Gand, comme, en 1792, avec Coblentz. Des mesures législatives sont indispensables : c'est à votre patriotisme, à vos lumières et à votre attachement à ma personne que je me confie sans réserve.

» La liberté de la presse est inhérente à la Constitution actuelle; on n'y peut rien changer sans altérer tout notre système politique; mais il faut des lois répressives, surtout dans l'état actuel de la nation. Je recommande à vos méditations cet objet important.

» Mes ministres vous feront connaître la situation de nos affaires.

» Les finances seraient dans un état satisfaisant sans le surcroît de dépenses que les circonstances actuelles ont exigé.

» Cependant on pourrait faire face à tout, si les recettes comprises dans le budget étaient toutes réalisables dans l'année; et c'est sur les moyens d'arriver à ce résultat que mon ministre des finances fixera votre attention.

» Il est possible que le premier devoir du prince m'appelle bientôt à la tête des enfans de la nation pour combattre pour la patrie. L'armée et moi nous ferons notre devoir.

» Vous, Pairs et Représentans, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme; et, comme le sénat du grand peuple de 11

T. XL.

l'antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera !

Napoléon à son départ, comme à son arrivée, fut salué des cris long-temps prolongés de vive l'empereur! vive la nation!

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Garnier de Saintes venait de demander qu'une mention formelle consacrât, dans le procès-verbal de la séance du 6, l'unanimité que la Chambre avait manifestée pour le maintien du serment prescrit par les Constitutions de l'empire. - Il importe, avait-il dit, que la France entière qui nous regarde, que l'étranger qui nous observe, sachent qu'il n'y a aucun dissentiment parníi nous; que, dans le but glorieux de sauver la patrie, nous ne faisons qu'un avec l'empereur comme l'empereur ne fait qu'un avec nous; que lui même, devenu l'homme de la liberté, l'homme de la nation, ne peut plus être séparé d'elle ! On avait objecté que les vues de Garnier se trouvaient remplies par la prestation individuelle de ce serment, faite la veille par tous les membres entre les mains de l'empereur; que d'ailleurs une démarche nécessaire, et qui cette fois ne serait pas de pure forme, donnait à l'assemblée une occasion plus solennelle en ore de proclamer ses principes et ses vœux : c'était l'adresse en réponse au discours du trône. On avait ainsi abandonné la proposition de Garnier pour nommer la commission chargée de rédiger l'adresse à l'empereur.

Félix Lepelletier. « J'appuie la proposition de l'adresse à S. M., proposition dictée par la justice et la reconnaissance nationale. Quel est le Français, ami de son pays, qui ne proclame le 1er mars comme le jour du salut de la France? En vain la coalition des rois prétend nous faire changer de sentiment, et prescrire à la France quel chef doit la gouverner! Nous défendrons notre choix, mèssieurs; et, puisque la sagesse est bannie du congrès de Vienne, nous en appellerons à la valeur de nos armées. Dans notre adresse, nous devons promettre à l'empereur, au nom du peuple français, les sacrifices nécessaires à la cause commune. Il faut que l'empereur, en partant pour diriger la défense de no're tèrritoire, emporte la certitude que tous les efforts de la nation se joindront à l'àction de sa pensée. Si la flatterie et l'adulation ont décerné le surnom dé Désirė à un prince que la France n'avait ni appelé ni attendu, l'équité ne nous prescrira-t-elle pas de décerner à Napoléon, qui, presque seul, sans autre moyen que la confiance, est venu nous sauver de l'esclavage apporté par les Bourbons; de lui décerner, dis-je, dans l'adresse, le titre de Sauveur de la patriè?..... (Murmures.) C'est la meilleure réponse... (Murmures, bruits. L'ordre du jour!) Je le répète, c'est la meilleure réponse à faire aux calomnies émanées des cabinets des rois... (De toutes parts: L'ordre du jour !) Je demanderai en même temps qu'il soit rédigé une adresse au peuple français ; cet hommage rendu à sa souveraineté me paraît surtout nécessaire dans les circonstances actuelles, où ses intérêts lui commandent tant de sacrifices. " (L'ordre du jour!)

Dupin de la Nièvre. « J'espère que la Chambre saura se garantir des inconvéniens de cette adulation, qui n'a que trop égaré les précédentes assemblées législatives. Le peuple ne nous a pas envoyés pour flatter l'empereur, mais pour · l'aider de nos conseils et d'une coopération légitime. Si nous prévenons les évé nemens, quels moyens réserverons-nous à notre reconnaissance pour le moment où la patrie sera sauvée? »

Felix Lepelletier cherche en vain à se justifier, à expliquer toute sa pensée; il ne peut parvenir à reprendre la parole. Entraînée par des cris, l'assemblée passe à l'ordre du jour...

Quoique rejetée sans examen par l'assemblée, la proposition de Lepelletier devint le sujet de discussions particulières soutenues avec chaleur. Plusieurs persistaient à y voir de la flatterie. D'autres repoussaient un hommage propre à affermir le trône impérial; ils espéraient que la Chambre des Représentans deviendrait une assemblée constituante. Les artisans du pouvoir impérial proclamaient sans hésiter, Bonaparte, le Sauveur de la patrie.

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Le président expose à l'assemblée qu'il est une mesure d'urgence dont elle doit s'occuper sans délai ; c'est le réglement concernant la tenue de ses séances, Leyraud de la Creuze. « Représentans, avant de passer à l'examen d'un réglement, ce n'est pas sans étonnement que nous n'entendons plus reproduire une motion qui n'avait été ajournée que parce qu'elle était intempestive, et faite avant que nous fussions constitués.

» Cette motion avait pour objet d'inviter nos collègues décorés des titres de chevalier, baron, comte, duc, de s'en dépouiller un moment dans le temple de la représentation du peuple. (Murmures.) Écoutez! Vous répondrez après.

» Sans doute, dans une monarchie constitutionnelle, il faut des récompenses pour la bravoure, le talent, les services; il faut des distinctions honorifiques : elles sont le véhicule des grandes ames, l'aiguillon des passions nobles; et j'aime à me courber par un sentiment de respect devant le mérite.

. Mais, dans une assemblée du peuple, évitons un grand danger : il ne faut pas que l'on puisse penser, lorsque nous aurons à combattre l'opinion de ces hommes titrés, que leurs titres respectables peuvent enchaîner l'essor de notre pensée, étouffer le feu sacré de la patrie. (Murmures. Bruit.)

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» Mandataires du peuple, voulez-vous être dignes de votre mission? Soyez peuple un moment; devenez un instant nos égaux; que le lien de la fraternité nous unisse, et ne soyez plus que nos collègues ! Ce ne peut être un sacrifice pour vos grands cœurs. Songez qu'en entrant dans l'assemblée des Amphictyons, les rois de Sparte et d'Athènes se dépouillaient de la pompe de leurs noms, du faste de la pourpre royale ; ils n'étaient plus que les représentans de leur patrie.

Je demande donc que M. le président mette aux voix cette proposition sur une mesure de police intérieure:

» Dans l'assemblée nationale portera-t-on d'autres qualifications que celles de représentans ou de collègues? » ( Quelques voix : Appuyé ! La majorité : L'ordre du jour!)

Le président fait observer que cette question, quoique fort importante, doit être traitée dans la discussion du réglement. On revient à l'ordre du jour.

Lecture est faite du réglement de la dernière chambre. L'assemblée en adopte provisoirement les chapitres 3 et 4, et nomme une commission de neuf membres pour rédiger le réglement définitif.

Manuel des Hautes-Alpes. « Messieurs, il n'est personne de nous qui ne connaisse la puissance de l'ordre : sa présence peut tout sauver, comme son absence peut tout perdre. C'est sans doute ce qui vous a déterminés à adopter provisoirement les chapitres 3 et 4 du réglement dont nous venons d'entendre la lecture. Mais, si j'y trouve des moyens de réprimer les mouvemens tumultueux qui peuvent troubler les délibérations, interrompre les orateurs, agiter l'assemblée par des murmures contraires à la liberté des opinions, j'y remarque aussi des dispositions qui doivent prévenir ou réprimer les propositions intempestives, plus nuisibles peut-être aux intérêts de la nation.

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Si, dès hier, il eût fallu s'astreindre à la condition de se faire inscrire au bureau et d'y déposer les propositions à soumettre le lendemain à la chambre nous n'aurions pas éprouvé le désagrément d'écarter une demande que la sagesse n'avait pas dictée. Parmi ceux de nos collègues qui auraient eu connaissance de la motion projetée, quelques-uns auraient pu engager son auteur à n'y pas donner suite; ils auraient pu lui dire que, quand le peuple français se rallie avec enthousiasme à son souverain, ses représentans doivent surtout éviter de rompre par des propositions indiscrètes l'heureux ensemble du sentiment national. Ce langage aurait été entendu, et dès lors il n'eût été donné aucune prise aux réflexions des journaux et à la malignité des commentaires. »

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La proposition tendante à la suppression des titres, déjà faite par Sibuet le 4, et le 9 par Leyraud, est reproduite par Sibuet. Après les murmures qu'elle excite pour une troisième fois, le renvoi à la commission du réglement en est ordonné.

La chambre se forme en comité secret pour entendre et discuter le projet d'adresse en réponse au discours du trône. Ce projet, qui a déjà été l'objet de longs débats dans la commission chargée de le rédiger, subit encore quelques changemens. Il est enfin adopté, et présenté le lendemain.

L'adresse ci-après est de Durand de la Marne; elle avait été débattue avec un projet présenté par le comte Garat.

Adresse de la Chambre des Représentans à l'empereur. — Présentée le

11 juin 1815.

-

« Sire, la Chambre des Représentans a recueilli avec une profonde émotion les paroles émanées du trône dans la séance solennelle où Votre Majesté, déposant le pouvoir extraordinaire qu'elle exerçait, a proclamé le commencement de la monarchie constitutionnelle.

» Les principales bases de cette monarchie, protectrice de la liberté, de l'égalité, du bonheur du peuple, ont été reconnues par Votre Majesté, qui, se portant d'elle-même au-devant de tous les scrupules comme de tous les vœux, a déclaré que le soin de réunir nos Constitutions éparses et de les coordonner était une des plus importantes occupations réservées à la législature. Fidèle à sa mission, la Chambre des Représentans remplira la tâche qui lui est dévolue dans ce noble travail. Elle demande que, pour satisfaire à la volonté publique, ainsi qu'au vœu de Votre Majesté, la délibération nationale rectifie le plus tôt possible ce que l'urgence de notre situation a pu produire de défectueux ou laisser d'imparfait dans l'ensemble de nos Constitutions. Mais en même temps, Sire, la Chambre des Représentans ne se montrera pas moins empressée de proclamer ses sentimens et ses principes sur la lutte terrible qui menace d'ensanglanter l'Europe. A la suite d'événemens désastreux, la France envahie ne parut un moment écoutée sur l'établissement de la Constitution que pour se voir presque aussitôt soumise à une Charte royale émanée du pouvoir absolu, à une ordonnance de réformation toujours révocable de sa nature, et qui, n'ayant pas l'assentiment exprimé du peuple, n'a jamais pu être considérée comme obligatoire pour la nation.

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Reprenant aujourd'hui l'exercice de tous ses droits, se ralliant autour du héros que sa confiance investit de nouveau du gouvernement de l'état, la France s'étonne et s'afflige de voir des souverains en armes lui demander raison

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