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Cependant je ne désespère pas encore. Le désespoir n'entre pas dans les cœurs qu'anime l'amour de la patrie. Il existe dans Paris une foule de bons citoyens qui n'attendent qu'un appel du gouvernement pour voler à la défense de la patrie, une foule de citoyens dont on a peut-être enchaîné le courage. Il en est temps encore. L'ennemi n'est pas victorieux. Nous pouvons le repousser, ou du moins périr avec honneur.

» Je demande que la Chambre adhère à l'adresse de la Chambre des Représentans dans une forme qui la rende commune aux deux Chambres; qu'il soit nommé des commissaires qui aillent, conjointement avec ceux de la Chambre des Représentans, la présenter aux armées. »

Un grand nombre de membres demandent l'adoption.

Le président met la proposition aux voix. Elle est adoptée unanimement. Le président. « La Chambre adhère à l'adresse de la Chambre des Représentans. Elle décide qu'elle sera présentée aux armées, tant en son nom qu'au nom de la Chambre des Représentans, et que des commissaires choisis dans son sein seront chargés de cette mission, conjointement avec les commissaires de cette Chambre. »

La Chambre décide qu'il sera nommé deux commissaires.

M. le maréchal duc de Dantzick et le général Gazan sont nommés. Le comte Thibaudeau lit un second message de la Chambre des Représentans qui contient la résolution qui met Paris en état de siége. — Elle est adoptée sans discussion à une majorité de 52 voix contre 4. — Le président déclare qu'il a reçu de la commission de gouvernement un message qui ne peut être communiqué qu'en comité secret. - La réunion est votée par un nombre de pairs suffisant.

- Le président désigne, aux termes du règlement, le compte Chaptal pour le présider. - Les tribunes sont évacuées; il est neuf heures trois quarts.

PARIS.-28 juin 1815.

I. Loi déclarant l'état de siège.

« Au nom du peuple français, la commission du gouvernement a proposé, et les Chambres ont adopté ce qui suit :

» ART. 1er. La ville de Paris est en état de siége.

» 2. Les autorités civiles conserveront l'exercice de leurs fonctions.

» 3. Pendant la durée de l'état de siége, la commission du gouvernement prendra toutes les mesures pour garantir la sûreté des personnes et des propriétés, et la tranquillité de la capitale.

» La présente loi, discutée, délibérée et adoptée par la Chambre des Pairs et par celle des Représentans, sera exécutée comme loi de l'état.

» La commission du gouvernement mande et ordonne que la présente loi, insérée au Bulletin des Lois, soit adressée aux cours, aux tribunaux et aux autorités administratives, pour qu'ils l'inscrivent dans leurs registres, l'observent et la fussent observer.

» Et le ministre de la justice est chargé d'en surveiller la publication.

» Donné à Paris, le 28 juin 1815. »

>> La commission du gouvernement, vu la délibération des Chambres portant que la ville de Paris est en état de siége; arrête ce qui suit :

Il.

ART. 1r Les approches de la capitale seront seules défendues; elles le seront par les troupes de ligne, lesquelles resteront campées hors des murs.

» 2. La tranquillité sera maintenue dans l'intérieur par la garde nationale ordinaire, laquelle ne sera employée extérieurement que sur les demandes qu'en pourraient faire les légions ou bataillons de cette garde.

» 3. Les tirailleurs de la garde nationale serviront, conformément à l'offre qu'ils en ont faite, comme auxiliaires avec les troupes de ligne, à la défense des postes les plus rapprochés de la place.

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> 4. Les habitans de la campagne se hâteront de faire entrer dans la place la plus grande quantité possible de subsistances, et travailleront aux retranchemens qui doivent couvrir les troupes.

» 5. L'armée du Nord se rendra sans délai sous les murs de Paris.

» 6. Les anciens militaires en état de porter les armes et tous ceux qui sont absens de leurs drapeaux se rallieront à cette armée, et seront incorporés dans les cadres.

7. Les troupes qui sont sur le Rhin et sur les frontières de la Suisse maintiendront leurs positions et défendront les places fortes.

»> 8. Les troupes qui sont sur la rive gauche de la Loire formeront à Orléans une armée de réserve.

» 9. Les hostilités n'empêcheront pas de continuer les négociations qu'il sera possible d'entretenir pour obtenir la paix à des conditions honorables.

10. Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent arrêté.

III.

>>La commission du gouvernement vient de donner des ordres pour faire payer aux militaires composant l'armée de Paris, et présens à leurs drapeaux, une partie de leur solde arriérée. »

Ordre du jour du 28 juin.

« L'armée est prévenue qu'il va être payé un mois d'appointemens à MM. les officiers, et quinze jours de solde aux sous-officiers et soldats. Le maréchal ministre de la guerre : Signé prince D'ECKMUHL. »

>> Tous les militaires qui se trouvent actuellement à Paris, armés ou non armés, se rendront sur-le-champ, savoir :

» Ceux des fer, 2o et 6o corps, en avant de la hauteur des Cinq-Moulins (près la butte Montmartre et le village de la Chapelle);

» Ceux de la cavalerie, montés ou non montés, sur la route de Saint-Denis, à la croisière de Clicby;

» Ceux des troisième et quatrième corps, au télégraphe, sur la hauteur de Belleville;

» Ceux de l'infanterie de la garde, commandée par le général Deriot, sur la route de Vincennes, près du Petit-Charonne.

» Il sera établi dans chaque endroit ci-dessus désigné un dépôt de quatre mille armes.

» Le général Desfourneaux pour les premiers, deuxième et sixième corps; » Le général Pully pour tous les hommes de la cavalerie montés ou non montés; » Le général Beaumont pour ceux des troisième et quatrième corps; >>Et le général Dériot pour ceux de la garde sont chargés de passer la revue de ces hommes armés ou non armés ; de reconnaître la quantité d'armes manquant, et d'expédier un bon que l'officier d'artillerie, désigné par le général Evain, dans chacun de ces emplacemens, fera acquitter.

>> MM. les officiers-généraux et d'état-major appartenant à ces divers corps se rendront aux emplacemens qui leur seront respectivement assignés.

» MM. les officiers-généraux et d'état-major qui n'ont point de destination se rendront à la tête du village de la Villette, près du canal de l'Ourcq, où est établi le grand quartier-général.

» Il est expressément défendu, et sous les peines les plus sévères, de donner asile à des militaires non blessés qui ne se rendraient pas au poste où l'honneur et la patrie les appellent.

» Le maréchal, ministre de la guerre. Signé prince D'ECKMUHL. >>

La dernière pièce officielle que l'on vient de lire prouve combien était grand le nombre des soldats qui étaient revenus isolément à Paris et avaient abandonné leurs corps pour faire leur ́retraite séparément. Ils avaient, en cela, imité l'exemple que Napoléon lui-même leur avait donné plusieurs fois, celui que venaient de leur donner quelques-uns de leurs généraux les plus braves et les plus renommés. On ne peut se figurer quelle démoralisation jette dans une armée la nouvelle de l'abandon des généraux dans lesquels elle a confiance. Ce n'était point d'ailleurs la crainte des dangers militaires qui avait entraîné ceux-ci à Paris à la suite de leur chef, et les avait éloignés du terrain où leur devoir devait les retenir. C'était la crainte des dangers civils, en voyant la bataille perdue, ils avaient vu que l'empereur n'avait plus d'espoir, ainsi que ses partisans et ses amis; ils avaient aperçu que l'avenir était aux Bourbons, et ils avaient été complétement démoralisés. Quant aux troupes, les grandes guerres de l'Empire, les retraites des dernières années leur avaient appris à ne garder la discipline que dans la victoire; l'exemple de leur chef était devenu contagieux ; en conséquence, un grand nombre de soldats avaient jeté leurs armes, ne s'en fiant qu'à eux pour se retirer, et se rendant dans la capitale, bien résolus d'y reprendre les armes et d'y recevoir une nouvelle impulsion offensive. Il est assez facile de connaître approximativement le nombre des soldats qui raisonnèrent et se conduisirent ainsi. A la veille de la bataille de Fleurus, l'appel fut fait et constata qu'il y avait cent vingt-deux mille quatre cents hommes présens dans l'armée française. Les comptes les plus exagérés évaluent nos pertes, tant à Fleurus qu'à Waterloo, à trente-cinq mille hommes tués, blessés ou prisonniers. Grouchy ne ramenait en bon ordre que soixante mille hommes; ainsi dix-sept mille au moins avaient fait leur retraite isolément. En effet, le 28, un grand nombre de soldats isolés, même de la garde impériale, les uns ayant encore leurs fusils, les autres n'ayant que leur sabre, se présentèrent aux barrières de Paris; mais on refusa de les laisser entrer; ils allaient alors chercher leurs corps.

Le même jour, on vit passer sur le soir dans Paris, sur les boulevards du nord, une vingtaine de mille hommes du corps de Grouchy, qui allaient prendre position derrière les lignes fortifiées qui couvraient le nord de Paris. Ces troupes étaient couvertes de poussière; elles avaient, disait-on, fait vingt lieues. Elles marchaient en chantant la Marseillaise et d'autres refrains patriotiques. Le passage de ces troupes apprit aux Parisiens que la guerre était sous leurs murs; et le bruit se répandit de divers engagemens de cavalerie à quelques lieues de la ville du côté du nord.

Les Parisiens cependant étaient dans la plus complète sécurité. La ligne fortifiée qui, partant de Saint-Denis, suivait le canal de la Villette, passait sur les hauteurs de Belleville et aboutissait à Vincennes, était parfaitement achevée et garnie de plus de quatre cents bouches à feu, servies par des bataillons de marins qu'on avait fait venir de nos ports. L'armée, ramenée de Belgique par Grouchy, était présente; on en était certain puisqu'on venait d'en voir passer une partie; elle était de soixante mille hommes; elle devait être renforcée de la garnison soldée de Paris, de dix à douze mille fédérés, de la garde nationale, dont une partie demandait à marcher. Enfin, on comptait sur le reste de la France; il ne fallait que gagner du temps. Il semblait qu'on le pouvait. Il est vrai que le sud de Paris n'était pas fortifié; on avait à peine dans cette partie commencé à remuer la terre sur quelques points. Plus tard, on attribua à la trahison de Fouché le désarmement de ce côté de Paris, et l'on remarqua que la commission du gouvernement ayant eu tout le temps de le mettre en état de défense, n'y avait employé que trois cents ouvriers, au lieu de quelques milliers qui étaient nécessaires. Mais, au moment dont nous parlons, on ne pensait pas que l'ennemi pût passer la Seine : les ponts étaient gardés et minés.

La trahison livra, le lendemain, l'un de ces ponts. Un nommé Martainville, connu comme vaudevilliste et auteur de quelques mélodrames, quoique royaliste avéré, se trouvait, comme officier de la garde nationale, chargé de garder le pont du Pecq près Saint-Germain. Ce pont était miné: on devait le faire sauter si l'ennemi se présentait. Il s'y présenta un peu après le moment où Napoléon quittait la Malmaison pour prendre la route de Rochefort. Martainville s'arrangea de manière à empêcher qu'on ne mit le feu à la mine et livra ainsi le passage à l'ennemi. Quelque temps après il se vanta de cet acte dans le Journal de Paris et

s'en fit un mérite. Ce même homme fut plus tard rédacteur en chef du Drapeau blanc.

Chambre des Représentans. — Séance du 29 juin.

La séance est ouverte à deux heures moins un quart.

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Le président. « Messieurs, votre commission de Constitution s'est rassemblée ce matin, et a arrêté qu'il vous serait incessamment présenté un projet de Constitution, dont elle a adopté presque tous les articles: ceux qu'elle a encore à discuter pourront être adoptés dans la journée. L'assemblée est-elle d'avis que le projet soit imprimé ?

La Chambre exprime son vœu affirmativement.

M. Merlin paraît à la tribune. « Messieurs, dit-il, j'ai à vous communiquer un fait que vous jugerez sans doute important, et pour n'en point altérer les détails, j'ai cru devoir le fixer dans l'écrit dont je vais vous donner lecture.

» Cette nuit, à une heure, deux hommes, se disant envoyés par le président de la commission de gouvernement, se sont présentés à ma porte avec une voiture pour me conduire au palais des Tuileries. Mon portier avait l'ordre formel de n'ouvrir la nuit à qui que ce fût, et de se borner à prendre par la fenêtre de sa loge les lettres de convocation qui pourraient m'arriver de la part du gouvernement, et il s'y est conformé strictement cette nuit. En conséquence, j'ai été éveillé sur-le-champ, et averti que le gouvernement me demandait.

» Pendant que je faisais mes dispositions pour m'habiller, ma femme, informée que l'on m'avait amené une voiture, soupçonna qu'un mode de convocation aussi insolite cachait quelque piége; et elle se confirma dans ses soupçons en se rappelant qu'elle avait appris le soir, vers onze heures, que la commission de gouvernement s'était séparée à neuf heures et ne s'assemblerait qu'aujourd'hui à neuf heures du matin. Frappée de ces idées, elle descendit, et fut fort étonnée, en ouvrant la fenêtre du portier, de voir deux hommes dans la voiture, tandis que les lettres de convocation pour le conseil d'état et le conseil des ministres sont constamment apportées par un simple facteur de la poste du gouvernement. Elle demanda à ces deux hommes s'ils avaient pour moi une lettre de convoca tion. Ils répondirent qu'ils étaient porteurs d'une lettre du duc d'Otrante, et l'un d'eux montra un papier plié en forme de lettre, mais sans vouloir s'en dessaisir, ni même en laisser prendre lecture. Ma femme, voyant alors à quels gens elle avait affaire, leur dit que je n'étais pas rentré hier soir à l'issue de la séance de la Chambre des Représentans, et qu'elle ignorait où j'étais allé passer la nuit. Ils insistèrent quelques momens, et partirent enfin en annonçant qu'ils reviendraient ce qu'ils n'ont pas fait.

:

» Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que tout cela porte évidemment le caractère d'une tentative d'enlèvement de ma personne, et probablement d'un attentat encore plus grave..

» Je ne vous en aurais pas entretenus, messieurs, si je n'y avais été fortement invité par un grand nombre de nos collègues, qui ont vu dans un fait, qui en soi m'est personnel, le commencement de l'exécution d'un complot beaucoup plus vaste. >>

On demande le renvoi de l'exposé de M. Merlin à la commission de gouvernement.

Un membre. « Ne faudrait-il pas s'assurer si la commission de gouvernement avait donné des ordres? >>

M. Boulay de la Meurthe engage l'assemblée à ne pas prendre de décision pré

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