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pas les conséquences, se met en marche avec sa troupe à onze heures du soir, et se rend à Cannes, où il reçoit du peuple un accueil qui le console d'Antibes.

Du 2 au 6 mars.- De Cannes, Napoléon se porte à Grasse, à Barême, à Digne ; le 5 il entre à Gap, et ne garde plus auprès de sa personne que dix hommes à cheval et quarante grenadiers. Parmi les autorités, quelques unes tentent de résister, d'autres restent incertaines, ou se retirent; mais partout le peuple se donne avec enthousiasme à l'empereur. A Saint-Bonnel les habitans, voyant le petit nombre de sa troupe, eurent des craintes, et lui proposèrent de faire sonner le tocsin pour réunir les villages, et l'accompagner en masse. Non, répondit-il, vos senti› mens me font connaître que je ne me suis point trompé; ils › sont pour moi un sûr garant des sentimens de mes soldats : › ceux que je rencontrerai se rangeront de mon côté ; plus ils › seront, plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquilles > chez vous. C'est à Gap que les proclamations dictées sur le brick furent imprimées pour la première fois, avec une autre adressée aux habitans des départemens des Hautes et BassesAlpes.

Proclamations.

«Au Golfe-Juan, du 4or mars 1815.

NAPOLÉON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'EMPIRE, EMPEREUR DES FRANÇAIS, etc., etc., etc.

A l'armée,

» Soldats! nous n'avons pas été vaincus. Deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur prince, leur bienfaiteur.

>> Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères en maudissant notre belle France, prétendraient-ils commander et enchaîner nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux? qu'ils s'emparent de nos honneurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces immortelles journées.

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» Avec quel acharnement ils les dénaturent! ils cherchent à empoisonner ce que le monde admire, et s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur le champ de bataille.

» Soldats! dans mon exil j'ai entendu votre voix, je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls.

» Votre général, appelé au tròne par le choix du peuple et élevé sur vos pavois, vous est rendu : venez le joindre.

» Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui, pendant vingt-cinq ans, servirent de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées !

» Nous devons oublier que nous avons été les maîtres des nations, mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle à nos affaires. Qui prétendrait être maître chez nous? Qui en aurait le pouvoir? Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Jena, à Eylau, à Friedland, à Tudella, à Eckmülh, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moscowa, à Lutzen, à Wurtchen, à Montmirail. Pensez-vous que cette poignée de Français, aujourd'hui si arrogans, puissent en soutenir la vue? Ils reiourneront d'où ils viennent, et là, s'ils le veulent, ils règneront comme ils prétendent avoir régné depuis dix-neuf ans.

» Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfans, n'ont pas de plus grands ennemis que ces princes que les étrangers nous ont imposés; ils sont les ennemis de notre gloire, puisque le récit de tant d'actions héroïques qui ont illustré le peuple français combattant contre eux pour se soustraire à leur joug, est leur condamnation.

» Les vétérans des armées de Sambre-et-Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Égypte, de l'Ouest, de la grande armée, sont humiliés leurs honorables cicatrices sont flétries, leurs succès seraient des crimes, ces braves seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, des souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, les affections sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et nous.

» Solda!s! venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre, ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres ; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre bonneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge, l'aigle avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame: alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait; vous serez les libérateurs de la patrie.

» Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits, vous pourrez dire avec orgueil : Et moi aussi je faisais partie de cette grande armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y ont empreinte. Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie, et honte éternelle aux Français criminels, dans quelque rang que la fortune les ait fait naître, qui combattirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour déchirer le sein de la patrie! - Signė NAPOLEON. Par l'empereur : le grand-maréchal faisant fonctions de major général de la grande armée.- Signė BERTRAND.

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« Au Golfe-Juan, le fer mars 1815.

» NAPOLÉON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'ÉTAT, EMPEREUR DES FRANÇAIS, etc., etc., etc.

Au peuple français.

» Français, la défection du duc de Castiglionne livra Lyon sans défense à nos ennemis; l'armée dont je lui avais confié le commandement était, par le

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nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes, qui la composaient, à même de battre le corps d'armée autrichien qui lui était opposé, et d'arriver sur les derrières du flanc gauche de l'armée ennemie qui menaçait Paris.

» Les victoires de Champ-Aubert, de Montmirail, de Château-Thierry, de Vanchamp, de Mormans, de Montereau, de Craonne, de Reims, d'Arcy-surAube et de Saint-Dizier, l'insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la Franche-Comté et de la Bourgogue, et la position que j'avais prise sur les derrières de l'armée ennemie en la séparent de ses magasins, de ses pares de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l'avaient placée dans une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d'être plus puissans, et l'élite de l'armée ennemie était perdue sans ressource ; elle eut trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu'elle avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale et désorganisa l'armée. La conduite inattendue de ces deux généraux qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l'ennemi était telle, qu'à la fin de l'affaire qui eut lieu devant Paris, il était sans munitions, par la séparation de ses parcs de réserve.

»Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon tœur fut déchiré : mais mon ame resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie : je m'exilai sur un rocher au milieu des mers: ma vie vous était et devait encore vous être utile, je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m'accompagner partageassent mon sort; je crus leur présence utile à la France, et je n'emmenai avec moi qu'une poignée de braves, nécessaires à ma garde.

» Elevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégftime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui règnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s'étayer des principes du droit féodal, il ne pourrait assurer l'honneur et les droits que d'un petit nombre d'individus ennemis du peuple qui depuis vingt-cinq ans les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité iutérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

» Français ! dans mon exil, j'ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous réclamiez ce gouvernement de votre choix qui seul est lég time. Vous accusiez mon sommeil, vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie

» J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce ; j'arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que des individus out fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l'ignorerai toujours; cela n'iuffuera en rien sur le souvenir que je conserve des services importans qu'ils ont rendus, car il est des événemens d'une telle nature qu'ils sout au dessus de l'organisution humaine.

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Français! il n'est aucune nation, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait eu le droit et ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII centra à Paris et rea versa le trône éphémère de Henți VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves et non d'un prince régent d'Angleterre.

» C'est aussi à vous seuls, et aux braves de l'armée, que je fais et ferai tou

jours gloire de tout devoir. - Signė NAPOLÉON.

Par l'empereur, le grandmaréchal faisant fonctions de major-général de la grande armée, signé comte BERTRAND. »

Au Golfe-Juan, le 1er mars 1815.

Les généraux, officiers et soldats de la garde impériale aux généraux, officiers et soldats de l'armée.

« Soldats et camarades, nous vous avons conservé votre empereur malgré les nombreuses embûches qu'on lui a tendues; nous vous le ramenons au travers des mers, au milieu de mille dangers. Nous avons abordé sur la terre sacrée de la patrie avec la cocarde nationale et l'aigle impérial. Foulez aux pieds la cocarde blanche, elle est le signe de la honte et du joug imposé par l'étranger et la trahison. Nous aurions inutilement versé notre sang si nous souffrions que les vaincus nous donnassent la loi ! ! !

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Depuis le peu de mois que les Bourbons règnent, ils vous ont convaincus qu'ils n'ont rien oublié ni rien appris. Ils sont toujours gouvernés par les préjugés ennemis de nos droits et de ceux du peuple. Ceux qui ont porté les armes contre leur pays, contre nous, sont des héros! vous êtes des rebelles à qui l'on veut bien pardonner jusqu'à ce que l'on soit assez consolidé par la formation d'un corps d'armée d'émigrés, par l'introduction à Paris d'une garde suisse et par le remplacement successif de nouveaux officiers dans vos rangs. Alors il faudra avoir porté les armes contre la patrie pour pouvoir prétendre aux honneurs et aux récompenses; il faudra avoir une naissance conforme à leurs préjugés pour être officier; le soldat devra toujours être soldat; le peuple aura les charges et eux les bonneurs.

‣ Un Viomesnil insulte au vainqueur de Zurich en le naturalisant Français, lui qui avait besoin de trouver dans la clémence de la loi pardon et amnistie. Un Brûlart, chouan sicaire de Georges, commande nos légions.

> En attendant le moment où ils oseraient détruire la Légion-d'Honneur, ils l'ont donnée à tous les traîtres et l'ont prodiguée pour l'avilir. Ils lui ont ôté toutes les prérogatives politiques que nous avions gagnées au prix de notre sang.

» Les quatre cents millions du domaine extraordinaire sur lesquels étaient assignées nos dotations, qui étaient le patrimoine de l'armée et le prix de nos succès, ils les ont fait porter en Angleterre.

» Soldats de la grande nation, soldats du grand Napoléon, continuerez-vous à l'être d'un prince qui, vingt ans, fut l'ennemi de la France, et qui se vante de devoir son trône à un prince régent d'Angleterre. Tout ce qui a été fait sans le consentement du peuple et le nôtre, et sans nous avoir consulté est illégitime.

» Soldats, la générale bat et nous marchons; courez aux armes, venez nous joindre, joindre votre empereur et nos aigles tricolores, et si ces hommes, aujourd'hui si arrogans et qui ont toujours fui à l'aspect de nos armes, osent nous attendre, quelle plus belle occasion de verser notre sang et chanter l'hymne de la victoire !

» Soldats des 7, 8 et 19° divisions militaires, garnisons d'Antibes, de Toulon, de Marseille, officiers en retraite, vétérans de nos armées, vous êtes appelés à l'honneur de donner le premier exemple. Venez avec nous conquérir ce trône, palladium de nos droits, et que la postérité dise un jour : les étrangers, secondés par des traîtres, avaient imposé un joug honteux à la France; les bra

ves se sont levés, et les ennemis du peuple, de l'armée, ont disparu et sont rentrés dans le néant.

Signé à l'original : le général de brigade baron de CAMBRONNE, major du 1er rẻ giment des chasseurs de la garde; le lieutenant-colonel chevalier MOLAT ; artillerie de la garde, CORNUET, RAOUL, capitaines; LENOU, DEemont, lieutenans; infanterie de la garde, LOUBERT, LAMOUROT, MOUPES, COMBE, capitaines; DEQUENEUX, TIBOT, CHAUNOT, MOLET, lieutenans; chevau-légers de la garde, le baron FERMANOSKI, major; BALLINSELLI, SEALE, capitaines. Suivent les autres signatures des officiers, sous-officiers et soldats de la garde; signé enfin le général de division aide-de-camp de l'empereur, aide-major-général de la garde, comte DROUOT.

Gap, le 6 mars 1815.

» NAPOLEON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'EMPIRE, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ETC., ETC.

Aux habitans des départemens des Hautes et Basses-Alpes.

» Citoyens, j'ai été vivement touché de tous les sentimens que vous m'avez montrés; vos vœux seront exaucés. La cause de la nation triomphera encore ! ! ! Vous avez raison de m'appeler votre père; je ne vis que pour l'honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes; il garantit la conservation de toutes les propriétes. L'égalité entre toutes les classes, et les. droits dont vous jouissez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tous soupiré, forment aujourd'hui une partie de votre existence.

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>> Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai toujours, avec un vif intérêt, tout ce que j'ai vu en traversant votre pays. Signė NAPOLÉON. - Par l'empereur: Le grand-maréchal faisant les fonctions de major-général de la grande armée. Signé BERTRAND.

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Paris, le 6 mars.—Comme nous l'avons vu, ce fut le 5 que la cour fut instruite du débarquement. Dans la nuit du 5 au 6, le comte d'Artois partit pour Lyon avec le duc d'Orléans. Il allait y prendre le commandement des troupes; on espérait qu'il parviendrait à réunir quinze mille gardes nationaux aux dix mille hommes de troupes de ligne qu'il trouverait à Lyon, et qu'avec cette force il serait en état d'arrêter la marche de Napoléon. On décida en même temps que le duc d'Angoulême se rendrait dans le midi, et dirigerait sur ses flancs la garde nationale de Marseille et les troupes de Masséna, Marchand, Mouton-Duverney, etc. Enfin, on résolut d'opposer la popularité du pouvoir législatif à celle de l'empereur: le roi signa une ordonnance de convocation; il en rendit une autre qui déclarait Napoléon traître et rebelle. Voici ces deux pièces :

Proclamation du roi.

Convocation des Chambres.

« Nous avions, le 31 décembre dernier, ajourné les chambres pour reprendre leurs séances au 1er mai. Pendant ce temps nous nous attachions à préparer les

T. LX.

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