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Paris. 11 mars.-Le bruit se répandit qu'une grande victoire avait été remportée en avant de Lyon par les gardes nationales réunies aux troupes de ligne. Le ministère fait publier que ‹ Bo› naparte est sans moyens, que la désertion est dans sa bande, et › que l'immense majorité des sujets dévoués au trône laisse sans › inquiétude sur les tentatives désespérées des partisans de l'em› pereur. › Mais la nouvelle du retour du comte d'Artois ne tarda pas à dissiper ces bruits favorables. D'ailleurs l'excès des précautions auxquelles on avait recours, la multiplicité des appels faits à l'opinion, démentaient la fausse sécurité qu'affichait le gouvernement; ils suffisaient pour montrer que le danger allait croissant. Le 11, le roi adressa au peuple français la proclamation qui suit:

« Après vingt-cinq ans de révolution, nous avions, par un bienfait signalé de la Providence, ramené la France à un état de bonheur et de tranquillité. Pour rendre cet état durable et solide, nous avions donné à nos peuples une Charte qui, par une constitution sage, assurait la liberté de chacun de nos sujets. Cette Charte était, depuis le mois de juin dernier, la règle journalière de notre conduite, et nous trouvions dans la Chambre des Pairs et dans celle des Députés tous les secours nécessaires pour concourir avec nous au maintien de la gloire et de la prospérité nationales. L'amour de nos peuples était la récompense la plus douce de nos travaux, et le meilleur garant de leurs heureux succès. C'est cet amour que nous appelons avec confiance contre l'ennemi qui vient souiller le territoire français, qui veut y renouveler la guerre civile ! C'est contre lui que toutes les opinions doivent se réunir ! Tout ce qui aime sincèrement la patrie, tout ce qui sent le prix d'un gouvernement paternel et d'une liberté garantie par les lois, ne doit plus avoir qu'une pensée, de détruire l'oppresseur qui ne veut ni patrie, ni gouvernement, ni liberté. Tous les Français, égaux par la Constitution, doivent l'être aussi pour la défendre. C'est à eux tous que nous adressons l'appel qui doit les sauver tous ! Le moment est venu de donner un grand exemple; nous l'attendons de l'énergie d'une nation libre et valeureuse : elle nous trouvera toujours prêt à la diriger dans cette entreprise, à laquelle est attaché le salut de la France. Des mesures sont prises pour arrêter l'ennemi entre Lyon et Paris. Nos moyens suffiront si la nation lui oppose l'invincible obstacle de son dévouement et de son courage. La France ne sera point vaincue dans cette lutte de la liberté contre la tyrannie, de la fidélité contre la trahison, de Louis XVIII contre Bonaparte! - Signé Louis. Par le roi, le ministre de l'intérieur, signé l'abbé de MONTESQUIOU. »

En outre, Louis XVIII rendit plusieurs ordonnances : l'une déclare que les conseils généraux de département sont convoqués, et doivent rester en permanence pour l'exécution des mesures prescrites de salut public, l'organisation des gardes natio

T. LX.

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nales, l'enrôlement des volontaires, etc. Une autre ordonnance, rendue conformément à une loi de nivôse an iv, frappe de la peine de mort les embaucheurs pour l'ennemi, les déserteurs, les provocateurs à la rébellion, soit par écrit ou autrement. Enfin, le miristre de la guerre, Soult, duc de Dalmatie, est remplacé par Clarck, duc de Feltre.

Ce fut le même jour, 11 mars, que les députés, se trouvant en nombre suffisant pour délibérer, entrèrent en session sous la présidence de Lainé. Celui-ci ouvrit la séance par un discours dans lequel il énumérait plusieurs projets, dont, disaitil, on s'occupait au ministère, l'un pour étendre le droit d'élection aux représentans des sciences et de l'industrie; l'autre pour améliorer le régime de la presse ; un autre sur la responsabilité des ministres; un autre sur les finances, etc.

Paris. 12 mars. -Proclamation du roi aux armées.

Louis, etc., à nos braves armées, salut.

» Braves soldats, la gloire et la force de notre royaume, c'est au nom de l'honneur que votre roi vous ordonne d'être fidèles à vos drapeaux ! Vous luj avez juré fidelité; vous ne trabirez pas vos sermens. Un général que vous auriez défendu jusqu'au dernier soupir, s'il ne vous avait pas déliés par une abdication formelle, vous a rendus à votre roi légitime. Confondus dans la grande famille dont il est le père, et dont vous ne vous distinguerez que par de plus éclatans services, vous êtes devenus mes enfans; je vous porte tous dans mon cœur. Je m'associais à la gloire de vos triomphes alors même qu'ils n'étaient pas pour ma cause: rappelé au trône de mes pères, je me suis félicité de le voir soutenu par cette brave armée, si digne de le défendre. Soldats, c'est votre amour que j'invoque, c'est votre fidélité que je réclame : vos aïeux se rallièrent jadis au panache du grand Henri; c'est son petit-fils que j'ai placé à votre tête. Suivez-le fidèlement dans les sentiers de l'honneur et du devoir; défendez avec lui la liberté publique, qu'on attaque; la Charte constitutionnelle, qu'on veut détruire ! Défendez vos femmes, vos pères, vos enfans, vos propriétés contre la tyrannie, qui les menace ! L'ennemi de la patrie n'est-il pas aussi le vôtre? N'at-il pas spéculé sur votre sang, trafiqué de vos fatigues et de vos blessures? N'est-ce pas pour satisfaire son insatiable ambition qu'il vous conduisait à travers mille dangers, à d'inutiles et meurtrières victoires?

» Notre belle France ne lui suffisant plus, il épuiserait de nouveau la population entière pour aller aux extrémités du monde payer de votre sang de nouvelles conquêtes. Défiez-vous de ses perfides promesses! Votre roi vous appelle; la patrie vous réclame; que l'honneur vous fixe invariablement sous vos drapeaux ! C'est moi qui me charge de vos récompenses; c'est dans vos rangs, c'est parmi l'élite des soldats fidèles que je vous choisirai des officiers : la reconnaissance publique paiera tous vos services. Encore un effort, et vous jouirez bientôt de la gloire et du repos glorieux que vous avez mérités.

» Marchez donc sans balancer, braves soldats, à la voix de l'honneur! Arrêtez

vous-mêmes le premier traître qui voudra vous séduire. Si quelques-uns d'entre Vous avaient déjà prêté l'oreille aux perfides suggestions des rebelles, il est encore temps qu'ils rentrent dans les sentiers du devoir; la porte est encore ouverte au repentir: c'est ainsi que plusieurs escadrons, qu'un chef coupable voulait égarer près de La Fère, l'ont d'eux-mêmes forcé à s'éloigner. Que cet exeniple profite à toute l'armée; que ce grand nombre de corps restés purs, qui ont refusé de se réunir aux rebelles, serrent leurs bataillons pour attaquer et repousser les traîtres, et persévèrent dans leurs bonnes dispositions! Soldats, vous êtes Français; je suis votre roi : ce n'est pas en vain que je confie à votre courage et à votre fidélité le salut de notre chère patrie !

» Donné au château des Tuileries, le 12 mars 1815, et de notre règne le vingtième. Signé Louis. »

Par une autre proclamation du même jour, le roi, voulant utiliser tant de braves Français qui se présentent de toutes parts, règle le mode de formation des bataillons de volontaires royaux. Ordre du jour du duc de Berry, à qui le roi a confié le commandement de tous les corps qui se trouvent à Paris et aux environs; le prince a pour second le maréchal Macdonald : « S. A. R. se félicite d'avoir, pour premier acte de son commandement, à témoigner aux troupes sa satisfaction sur la conduite qu'elles tiennent, et elle en appelle avec confiance à l'honneur français, sûr garant de celle qu'elles tiendront à l'avenir. »

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Paris, 13 mars. Le ministre de l'intérieur vient présenter à la Chambre des Députés un projet de loi sur les recompenses nationales. Il se composait de trois articles. M. Faget de Baure en proposa par amendement un quatrième qui fut accepté par le ministère. Cette loi fut votée le lendemain 14, en ces termes : Louis, etc. A tous ceux qui ces présentes verront, salut.

Voulant éviter à nos peuples le fléau d'une guerre étrangère, qui peut éclater à la nouvelle, au congrès, de l'apparition de Napoléon Bonaparte sur le territoire français;

Voulant donner à l'armée française une marque de notre satisfaction et de notre confiance, et à nos fidèles sujets une nouvelle garantie de tous leurs droits politiques et civils', fondés sur la Charte constitutionnelle,

Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont la teneur suit sera porté à la Chambre des Députés des départemens par notre ministre de lintérieur.

ART. 1er. Les garnisons de La Fère, de Lille et de Cambrai ont bien mérité du roi et de la patrie: il leur sera décerné une récompense nationale.

2. La garnison d'Antibes a également mérité de la patrie, et il lui sera décerné une récompense nationale.

Les maréchaux Mortier, duc de Trévise, et Macdonald, duc de Tarente, ont bien mérité de la patrie : il sera voté en leur faveur une récompensê nationale.

3. Il sera donné une pension aux militaires qui seront blessés, et aux familles de ceux qui serout tués en combattant Napoléon Bonaparte. ( Article du projet primitif.)

4. Le dépôt de la Charte constitutionnelle et de la liberté publique est confié à la fidélité et au courage de l'armée, des gardes nationales et de tous les citoyens. (Amendement de M. Faget de Baure..)

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L'article premier était relatif à un événement qui venait d'avoir lieu. Le mouvement militaire depuis long-temps préparé par les conspirateurs bonapartistes avait éclaté. La nouvelle du débarquement de Napoléon en avait précipité l'explosion. On avait voulu faire une diversion utile aux projets de l'empereur, et en même temps tenter de fermer toute voie de retraite aux Bourbons. Le général Lefèvre Desnouettes, commandant les chasseurs à cheval de l'ex-garde impériale, devait commencer, enlever l'artillerie de La Fère et se porter à Compiègne accompagné des deux généraux Lallement, dont l'aîné commandait le département de l'Aisne. Le général Drouet d'Erlon devait suivre avec les troupes sous ses ordres; Davoust devait enfin prendre le commandement supérieur. Ces dispositions étant convenues, Lallement l'aîné partit de Paris; Lallement jeune se rendit auprès de Davoust, qui, au moment d'agir, hésita et finit par refuser. Le jeune Lallement alla rejoindre son frère, qui s'était rendu à La Fère et échouait contre la résistance du général qui y commandait. Les deux frères n'eurent plus d'autre parti à prendre que celui de la fuite, d'autant plus que Drouet d'Erlon, intimidé par l'arrivée de Mortier à Lille, se sauvait de son côté. Quant à Lefèvre Desnouettes, il amena ses chasseurs à Compiègne, où, se trouvant isolé et sans appui, il ne pensa non plus qu'à se dérober à l'arrestation qui le menaçait. Le mauvais succès de cette conspiration assura aux Bourbons leur retraite en Belgique.

Ce n'était pas sans motifs que, dans les considérans de la loi qui récompensait la fidélité des garnisons de La Fère, Lille et Cambrai, le roi parlait des résolutions du congrès de Vienne. On y était instruit de la tentative de Napoléon; le 13 mars, on y prit la résolution suivante.

DÉCLARATION DE VIENNE.

« Les puissances qui ont signé le traité de Paris, réunies en congrès à Vienne,

informées de l'évasion de Napoléon Bonaparte et de son entrée à main armée en France, doivent à leur propre dignité et à l'intérêt de l'ordre social une déclaration solennelle des sentimens que cet événement leur a fait éprouver.

› En rompant ainsi la convention qui l'avait établi à l'île d'Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. En reparaissant en France avec des projets de trouble et de bouleversement, il s'est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté à la face de l'univers qu'il ne saurait y avoir ni paix ni trève avec lui.

>> Les puissances déclarent en conséquence que Napoléon Bonaparte s'est placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique.

» Elles déclarent en même temps que, fermement résolues de maintenir intact le traité de Paris du 30 mai 1814, et les dispositions sanctionnées par ce traité, et celles qu'elles ont arrêtées ou qu'elles arrêteront encore pour le compléter et le consolider, elles emploieront tous leurs moyens et réuniront tous leurs efforts pour que la paix générale, objet des vœux de l'Europe et but constant de leurs travaux, ne soit pas troublée de nouveau, et pour la garantir de tout attentat qui menacerait de replonger les pleuples dans les désordres et les malheurs des révolutions.

» Et, quoique intimement persuadés que la France entière, se ralliant autour de son souverain légitime, fera incessamment rentrer dans le néant cette dernière tentative d'un délire criminel et impuissant, tous les souverains de l'Europe, animés des mêmes sentimens, et guidés par les mêmes principes, déclarent que si, contre tout calcul, il pouvait résulter de cet événement un danger réel quelconque, ils seraient prêts à donner au roi de France et à la nation française, ou à tout autre gouvernement attaqué, dès que la demande en serait formée, les secours nécessaires pour rétablir la tranquilité publique, et à faire cause commune contre tous ceux qui entreprendraient de la compromettre.

» La présente déclaration, insérée au protocole du congrès réuni à Vienne, dans sa séance du 15 mars 1815, sera rendue publique.

>> Fait et certifié véritable par les plénipotentiaires des huit puissances signataires du traité de Paris.

» A Vienne, le 13 mars 1815.

(Suivent les signatures dans l'ordre alphabétique des cours :)

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