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« Les juges seront inamovibles, et le pouvoir judiciaire indépendant;

«La dette publique sera garantie; les pensions, grades, honneurs militaires, seront conservés, ainsi que l'ancienne et la nouvelle noblesse;

« La Légion d'Honneur, dont nous déterminerons la décoration, sera maintenue;

«Tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires;

« Enfin nul individu ne pourra être inquiété pour ses opinions

es votes.

« Fait à Saint-Ouen, le 2 mai 1814.

<< LOUIS. >>

Il est évident que de telles bases pouvaient porter une Constitution passable; mais du moment que le parti royaliste se réservait de les disposer lui-même, d'en établir l'agencement, de les réglementer, et que le roi prenait possession du trône de ses pères sur une simple promesse de garanties, tout était remis au bon plaisir et à l'intelligence des princes; et c'était peu rassurant. Ils avaient lentement amassé du fiel dans leurs vingt-trois années d'exil, et les réformes qu'ils comprenaient devaient sentir nécessairement leur Assemblée des notables. La Déclaration de Saint-Ouen produisit une impression peu favorable sur l'esprit public; elle nuisit à l'effet qu'on s'était promis de l'entrée du roi. Un incident vint ajouter à la froideur de la population. Louis XVIII eut la maladresse de faire figurer la vieille garde dans son cortége. Les Parisiens, en voyant ces braves suivre avec tristesse les voitures royales pleines d'émigrés et d'officiers de l'armée de Condé, ressentirent plus vivement l'abaissement de la patrie; et lorsque quelques cris de Vive le roi! se firent entendre, aussitôt des milliers de voix répondirent par celui de: Vive la Vieille Garde!

Les événements de 1815 apparaissent déjà menaçants dans ce dernier cri. Mais les Bourbons avaient perdu le secret du caractère national. Le sang des Capet, que leur avait transmis Henri IV, comme ils affectaient de le rappeler dans leurs proclamations, était passé par les veines de Louis XV avant de venir à eux ; ils ne comprenaient point notre haine pour toute immixtion, pour toute pression, pour toute influence étrangères, et notre vénération, notre culte pour tout ce qui nous rappelle une grandeur expirée.

La gloire disparaissait, et la liberté ne venait point. La France se prit tout aussitôt à regretter la gloire et Napoléon. Napoléon allait quitter la France. Parti de Fontainebleau le 20 avril, il était arrivé le 28 à Fréjus. Jusqu'à Avignon, il avait été accueilli sur toute la route par des témoignages de sympathie ou par des marques de respect. Mais quand il traversa ces provinces méridionales, où l'ardeur du soleil allume des passions extrêmes, il dut se dérober sous un uniforme étranger, à des outrages et à des périls imminents.

CHAPITRE XX.

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Napoléon à l'ile d'Elbe. Apparente résignation de l'empereur.- Soins qu'il donne à l'administration de ses petits États.- Situation de la France.Les Bourbons et la Charte octroyée. Les royalistes purs. Les constitutionnels. -Les républicains et les impérialistes. Situation de l'Europe. Congrès de Vienne. Napoléon se décide à quitter l'ile d'Elbe. Débarquement au golfe Proclamations à l'armée et au peuple. — Marche sur Grenoble.

Juan.

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Le 28 avril, dans la soirée, Napoléon s'était embarqué sur la frégate anglaise the Undaunted, capitaine Usher, à SaintRaphaël. Au moment où il mit le pied sur la frégate, vingt et un coups de canon le saluèrent. On le traitait encore en empereur. Des quatre commissaires qui l'avaient accompagné depuis Fontainebleau, deux seulement demeurèrent avec lui, le commissaire anglais et le commissaire autrichien. La traversée de l'Undaunted fut heureuse, et le 3 mai on mouillait dans les eaux de l'île d'Elbe, au milieu de la rade de Porto-Ferrajo. Le débarquement fut fixé au lendemain. Mais le grand-maréchal du palais, le général Drouot, et quelques officiers de l'armée alliée se rendirent immédiatement à terre afin de notifier au

commandant de l'île l'arrivée de l'exilé, et faire les préparatifs d'une réception imposante. Le soir même, une députation composée de généraux, d'officiers de terre et de mer de la garnison, de magistrats, de membres du clergé et de notables habitants, se rendit à bord de la frégate et harangua le nouveau souverain. Le 4, au matin, Napoléon envoya à Porto-Ferrajo le drapeau qu'il adoptait. Ce drapeau était blanc, barré de rouge, avec trois abeilles jaunes. Quand on le hissa sur le fort de l'Étoile, il fut salué par l'artillerie de la place, des forts, par les batteries de la frégate anglaise et de tous les bâtiments.

A une heure, l'empereur descendait à terre. La foule était grande, pour contempler cette majesté déchue qui, après avoir promené son activité dévorante des déserts de l'Égypte aux plaines glacées des bords de la Moscowa, venait s'enfermer dans une île de vingt-cinq lieues de circonférence; et vivre au milieu d'une population de simples pêcheurs, après s'être fait une cour d'empereurs, de princes et de rois des plus vieilles souches de l'Europe. Napoléon ayant reçu du maire de Porto-Ferrajo les clefs de la ville, se rendit à la cathédrale où l'on chanta un Te Deum, et de là à la Maison-Commune, provisoirement destinée à lui servir d'habitation. Complimenté par les autorités et les employés supérieurs, il s'entretint longtemps avec eux, leur adressant diverses questions sur les ressources de l'île, les mœurs des habitants, les moyens d'améliorations qui pourraient être le plus promptement et le plus utilement mis en pratique. Il y eut ensuite un grand dîner, dont il fit les honneurs avec une liberté d'esprit et des manières franches qui lui gagnèrent toutes les sympathies (*). Dès le matin, la proclamation suivante du gouverneur de l'ile, le général de brigade Dehesme, avait été publiée :

(*) Une année de la vie de Napoléon Bonaparte,, par A. D. B. M., lieutenant de grenadiers, ouvrage publié en 1815.

« Habitants de l'île d'Elbe,

« Les vicissitudes humaines ont conduit au milieu de nous l'empereur Napoléon, et son propre choix vous le donne pour souverain. Avant d'entrer dans vos murs, votre nouveau monarque m'a adressé les paroles suivantes, que je m'empresse de vous faire connaître, parce qu'elles sont le gage de votre bonheur futur:

« Général, j'ai sacrifié mes droits aux intérêts de la patrie, << et je me suis réservé la propriété et la souveraineté de l'île « d'Elbe. Toutes les puissances ont consenti à cet arrangement; « faites connaître aux habitants cet état de choses, et le choix << que j'ai fait de leur île pour mon séjour, en considération de << la douceur de leurs mœurs et de leur climat: dites << seront l'objet de mon intérêt le plus vif... »

qu'ils

L'Europe entière avait les yeux fixés sur l'île d'Elbe. Il est incontestable que dès les premiers jours de son exil, Napoléon rêva la possibilité d'une éclatante revanche, et pesa dans son esprit les chances d'un retour au pouvoir. Il savait sur quels éléments éphémères, sur quelles fictions le parti royaliste et les amis de Talleyrand avaient échafaudé la révolution blanche et la restauration. Tôt ou tard le voile des illusions monarchiques devait se déchirer; une seconde chute de la dynastie des Bourbons n'était qu'une affaire de temps. Il se préparait pour une éventualité dont son esprit embrassait déjà toutes les réalisations possibles. Mais dans sa condition précaire, à la merci de ses implacables ennemis, il ne pouvait réussir que par une dissimulation profonde de ses projets et de ses desseins. Comme il l'avait exécuté plus d'une fois sur le champ de bataille, il lui fallait masquer ses mouvements. Il le fit avec une grande habileté. Napoléon, calmant par un effort de génie les impatiences de son âme supérieure, devint un véritable diplo

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