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à ma pensée, lorsque, dans le calme de la nuit, je m'élance dans les espaces, pour y trouver l'Ordonnateur de tant de mondes ? Pourquoi le boeuf ne fait-il pas comme moi? Ses yeux lui suffisent; et quand il auroit mes pieds ou mes bras, ils lui seroient pour cela fort inutiles. Il peut se coucher sur la verdure, lever la tête vers les cieux, et appeler par ses mugissements l'Ètre inconnu qui remplit cette immensité. Mais non préférant le gazon qu'il foule, il n'interroge point, au haut du firmament, ces soleils qui sont la grande évidence de l'existence de Dieu. Il est insensible au spectacle de la nature, sans se douter qu'il est jeté lui-même sous l'arbre où il repose comme une petite preuve de l'intelligence divine.

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Donc la seule créature qui cherche au dehors, et qui n'est pas à soi-même son tout, c'est l'homme. On dit que le peuple n'a point cette inquiétude : il est sans doute moins malheureux que nous; car il est distrait de ses désirs par ses travaux, il éteint dans ses sueurs sa soif de félicité. Mais quand vous le voyez se consumer six jours de la semaine, pour jouir de quelques plaisirs le septième; quand toujours espérant le repos et ne le trouvant jamais, il arrive à la mort sans cesser de désirer, direz-vous qu'il ne partage pas la secrète aspiration de tous les

que

hommes à un bien-être inconnu ? Que si l'on prétend que ce souhait est du moins borné pour lui aux choses de la terre, cela n'est rien moins certain donnez à l'homme le plus pauvre les trésors du monde, suspendez ses travaux, satisfaites ses besoins; avant que quelques mois se soient écoulés, il en sera encore aux ennuis et à l'espérance.

D'ailleurs est-il vrai que le peuple, même dans son état de misère, ne connoisse pas ce désir de bonheur qui s'étend au delà de la vie? D'où vient cet instinct mélancolique qu'on remarque dans l'homme champêtre ? Souvent le dimanche et les jours de fêtes, lorsque le village étoit allé prier ce Moissonneur qui sépare le bon grain de l'ivraie, nous avons vu quelque paysan resté seul à la porte de sa chaumière : il prêtoit l'oreille au son de la cloche; son attitude étoit pensive; il n'étoit distrait ni par les passereaux de l'aire voisine, ni par les insectes qui bourdonnoient autour de lui. Cette noble figure de l'homme, plantée comme la statue d'un dieu sur le seuil d'une chaumière ; ce front sublime, bien que chargé de soucis; ces épaules ombragées d'une noire chevelure, et qui sembloient encore s'élever comme pour soutenir le ciel, quoique courbées sous le fardeau de la vie, tout cet être si majestueux, bien que mi

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pas

sérable ne pensoit-il à rien, ou songeoit-il seulement aux choses d'ici-bas ? Ce n'étoit l'expression de ces lèvres entr'ouvertes, de ce corps immobile, de ce regard attaché à la terre : le souvenir de Dieu étoit là avec le son de la cloche religieuse.

S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau; s'il est certain que les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'âme et en augmenter le vide, il faut en conclure qu'il y a quelque chose au delà du temps. Vincula hujus mundi, dit saint Augustin, asperitatem habent veram jucunditatem falsam; certum dolorem, incertam voluptatem; durum laborem, timidam quietem; rem plenam miseriæ, spem beatitudinis inanem. « Le monde a des liens pleins d'une véritable apreté et d'une fausse douceur; des douleurs certaines, des plaisirs incertains; un travail dur, un repos inquiet; des choses pleines de misère, et une espérance vide de bonheur 1. » Loin de nous plaindre que le désir de félicité ait été placé dans ce monde, et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au delà du terme un charme

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qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfant, elle lui tend de l'autre côté un objet agréable, pour l'engager à passer.

CHAPITRE II.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

A conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre àme. Chaque

homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre ? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'ef

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