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le 2 juillet. Le jour auparavant la petite goëlette l'Artemise, commandant Richard Barry, étant à Syra, en était sur le champ partie pour se rendre ici, après avoir reçu la nouvelle de l'attentat.

<«< Samedi, 2 juillet, M. le commandant Schwarz communiqua au consul général autrichien la sommation que M. Ingraham lui avait faite, par écrit, de lui livrer Koszta avant les quatre heures de l'après-midi, sans quoi il s'emparerait de lui par force. M. Schwarz répondit, comme la première fois, que, pour ce qui concernait le prisonnier, il était aux ordres du consul général; que, du reste, il repousserait la force par la force par tous les moyens qui étaient en son pouvoir.

<< Le vaisseau américain se prépara au combat, le brick et la goëlette en firent autant de leur côté. Les officiers et les soldats autrichiens étaient décidés à se battre jusqu'à la dernière extrémité; il ne restait donc plus que la perspective d'un combat meurtrier au milieu des vaisseaux marchands de toutes les nations de l'Europe et à cent pas de la ville. Dans cette dernière même, la partie la plus vile des réfugiés s'agitait et menaçait de massacrer tous les Autrichiens et leurs adhérents. En présence de ces faits, la police turque ne prenait aucune mesure. »

«L'inaction du gouverneur Ali-Pacha, en présence d'un conflit imminent, dont les conséquences pouvaient devenir si funestes pour la ville de Smyrne, ne se démentit pas. Le consul prussien, M. Spiegelthal, qui déploya dans toute cette affaire un zèle infatigable, s'était rendu chez le gouverneur pour lui représenter l'état des choses, et protester, au nom de ses nationaux, contre les hostilités qui allaient avoir lieu dans un port neutre. Il l'invita instamment à faire placer un bâtiment de guerre turc qui se trouvait à Smyrne, entre les deux bâtiments étrangers et à ordonner aux batteries de la côte de faire feu sur le premier de ces deux bâtiments qui, en attaquant l'autre, oserait enfreindre le droit des gens; mais ses remontrances furent inutiles, et tout ce qu'il put obtenir d'Ali-Pacha fut la promesse d'une protestation qu'il adresserait à M. Offley, consul américain. >>

Le gouverneur turc croyait ainsi avoir assez fait en protestant, verbalement, par son drogman, auprès du consul américain. 1)

Certes, la conduite d'Ali-Pacha n'a pas été celle d'un homme

1) «Un gouvernement déterminé » (dit le Times, qui désapprouve la mesure prise par le consul général d'Autriche), «eut fait feu sur un brick étranger dont le capi«taine eut eu l'audace d'enlever un homme pour le porter à son bord. Il eut aussi << puni deux vaisseaux étrangers osant se menacer réciproquement d'hostilités dans « le port d'une troisième Puissance. »>

habile ni déterminé; il aurait dû, tout au moins, s'emparer sans retard du S' Koszta et le garder jusqu'au moment où il eut été prononcé sur son sort à Constantinople; mais certes s'il avait eu à diriger ses canons sur des bâtiments prèts à se livrer combat dans le port de Smyrne, sans égard pour le respect dû au souverain territorial, il nous semble que c'eût été, avant tout, sur le bâtiment provocateur qu'il eût eu à lancer ses boulets, après avertissement préalable, et non pas sur le bâtiment provoqué.

M. Offley revint encore vers le consul général autrichien et réclama pour la troisième fois le prisonnier, en annonçant que cette fois un refus serait inutile, attendu que le commandant de la corvette avait reçu du chargé d'affaires américain à Constantinople l'ordre de couler à fond de brick autrichien si le prisonnier n'était pas livré. Pour donner encore plus de poids à ces paroles, il remit au consul général une copie de la lettre que M. Ingraham avait adressée à M. Schwarz. C'est alors que le consul lui répondit, sans détour, que ceci était un tour de flibustier et qu'il fallait que le chargé d'affaires à Constantinople fût tombé en démence pour ordonner une chose si lâche, si vile, et foulant aux pieds le droit des gens; que l'Autriche vivait dans la paix la plus parfaite avec les États-Unis, par conséquent que les vaisseaux de guerre des deux nations ne pouvaient se bombarder, et qu'en tout cas le port neutre devait être respecté.

«M. Offley ne tint aucun compte de ces observations, mais lorsque le consul lui déclara que le prisonnier ne serait pas livré à la corvette et que les Autrichiens, quoique avec des forces beaucoup plus faibles, accepteraient le combat

alors des propositions d'accommodement eurent lieu; il demanda que le consul général livrât Koszta à l'autorité turque et que le prisonnier restât entre les mains de cette dernière jusqu'à ce que les deux gouvernements ou les légations eussent décidé des prétentions qu'on avait sur lui des deux côtés. Le consul général repoussa également cette proposition; mais il offrit de remettre le prisonnier entre les mains d'un tiers désintéressé jusqu'à ce que la querelle à son sujet fut vidée. On finit par s'entendre, et le prisonnier fût remis en dépôt entre les mains du consul général de France. >>

On signa en conséquence la convention suivante :

a Les soussignés, consul général d'Autriche et consul des États-Unis, prient M. le consul général de S. M. l'Empereur des Français de prendre en dépôt dans ses prisons le nommé Martin Koszta (M. Costa), détenu sur le brick autrichien Hussard, dont la nationalité, et, par conséquent,

les relations de protection sont en litige entre les ambassades respectives à Constantinople, ainsi qu'entre les consulats à Smyrne.

« Ils prient M. le consul de se charger de ce dépôt aux conditions suivantes :

« L'individu susmentionné sera consigné dans la journée d'aujourd'hui, le plus-tôt possible, par un détachement de soldats du brick autrichien, qui le conduira au débarcadère de l'hôpital français, où il sera remis entre les mains de M. le consul général de France ou de la personne ayant pouvoir de M. le consul.

« Le détenu ne pourra communiquer avec aucune personne du dehors, à l'exception des consuls soussignés, et, dans l'hôpital, il sera confié spécialement à une personne que M. le consul général de France désignera.

« Les frais de nourriture et d'entretien que les soussignés laissent entièrement à la discrétion de M. le consul général de France de fixer, en ce qui concerne le détenu, seront à la charge du soussigné, consul d'Autriche.

Il est expressément convenu que M. le consul général de France ne mettra en liberté le détenu Martin Koszta (M. Costa) que sur une demande collective des soussignés.

<< Smyrne, le 2 juillet 1853. Signé : E. S. OFFLEY,

consul des États-Unis.

Signé WECKBecker, consul général d'Autriche. »

Le gouvernement autrichien informé de ce qui s'était passé à Smyrne, communiqua aux cours étrangères un mémoire dont la teneur suit:

« MEMORANDUM.

« Les événements de Smyrne du 2 juillet présentent, sous un double point de vue, une déviation grave des règles du droit international.

« 1o Le commandant du bâtiment de guerre des États-Unis, le St.Lewis, a menacé d'une attaque hostile le brick de S. M. I. et R. Ap., le Hussard, en braquant ses canons contre ce dernier et annonçant par écrit que, si un individu retenu à bord et dont la nationalité était débattue entre les agents des deux gouvernements, ne lui était pas livré à une heure indiquée, il irait le prendre de vive force.

<< 2o Cet acte d'hostilité a été commis dans le port neutre d'une Puissance amie des deux nations.

<< Nul doute que la menace d'attaquer de vive force un bâtiment de la marine militaire d'un État souverain, et qui en porte le pavillon, n'est autre chose que la menace d'un acte de guerre.

« Or, le droit de faire la guerre est nécessairement, et par la nature même de ce droit, inhérent à la puissance souveraine. « Un droit d'une <«< si grande importance», dit Vattel (Droit des gens, tome II, livre III, chap. I, § IV), « le droit de juger si la nation a un véritable sujet de se plaindre, si elle est dans le cas d'user de force, de prendre les armes

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« avec justice, si la prudence le lui permet, si le bien de l'État l'y in« vite; ce droit, dis-je, ne peut appartenir qu'au corps de la nation, ou « au souverain qui la représente. Il est sans doute au nombre de ceux ⚫ sans lesquels on ne peut gouverner d'une manière salutaire, et que l'on appelle droit de majesté. »

Les fondateurs de la république des États-Unis d'Amérique ont pleinement reconnu, dès le principe de l'Union, les droits réservés au pouvoir souverain. Les articles de la Confédération et de l'union perpétuelle entre les États de New-Hampshire, Massachussets, etc., du 9 juillet 1778, contiennent déjà la stipulation suivante (IX, § I):

« Le congrès des États-Unis aura seul et exclusivement le droit de déclarer la guerre et de faire la paix. >>

« Cette base du droit public de l'Amérique septentrionale a été conservée et sanctionnée par la «< constitution des États-Unis du 17 septembre 1787 », qui réserve (section VIII) explicitement au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre.

«Sous ce rapport, la constitution des États-Unis se trouve donc en harmonie parfaite avec le droit public européen.

Mais ce droit, réservé à la puissance suprême de chaque État, deviendrait illusoire et nul, si les commandants des forces navales ou autres étaient autorisés explicitement ou tacitement à entreprendre soit de leur propre chef, soit sur l'injonction ou avec l'assentiment d'un agent diplomatique ou consulaire, des actes d'hostilité et de guerre contre les bâtiments ou troupes d'une autre nation, sans un ordre spécial de l'autorité suprême de leurs pays, notifié dans les formes prescrites par le droit des gens.

Il est impossible que les gouvernements réguliers du monde civilisé veuillent exposer leur autorité aussi bien que la paix générale aux hasards d'hostilités commencées à leur insu et sans autorisation spéciale du pouvoir souverain, par tel ou tel fonctionnaire à l'étranger.

« Nous arrivons à la seconde des deux questions de droit international mentionnées plus haut.

<< Certes, s'il y a un point du droit maritime et international précis, clair et adopté par toutes les Puissances du monde, c'est l'inviolabilité des ports neutres, la défense absolue d'y commettre des actes de guerre et de violence, même contre l'ennemi avec lequel on se trouve en guerre déclarée. L'histoire moderne n'offre que peu d'exemples de ce dernier cas. Un de ces rares exemples est l'attaque de la flotte hollandaise des Indes-Orientales, qui s'était retirée dans le port de Berghen en Norvège, par l'amiral ennemi, et quoique cette attaque ait été repoussée par le canon du fort de ce port neutre, Vattel, autorité universellement reconnue en matière de droit des gens, accuse néanmoins la Puissance neutre (le Danemarck) de s'être plainte «trop mollement « d'une entreprise si injurieuse à sa dignité et à ses droits. >>

« Pour mieux établir encore l'accord de toutes les nations et de tous les légistes sur cette question, on peut citer l'autorité d'un homme d'État américain. Voici le jugement de M. Henry Wheaton (Élément du droit international).

<< Les droit de la guerre ne peuvent être exercés que dans le territoire << des Puissances belligérantes, ou en pleine mer ou dans un territoire << n'appartenant à personne. Il suit de là que des hostilités ne peuvent <«< être loyalement exercées dans la juridiction territoriale de l'État neutre << qui est l'ami commun des deux parties.

<< Non-seulement toutes les captures faites par les croiseurs belli<< gérants dans les limites de cette juridiction, sont absolument illégales << et nulles, mais les captures faites par les vaisseaux de guerre qui se << placent dans les baies, les rivières, à l'embouchure des fleuves ou <<< dans les havres d'un État neutre, pour exercer de cette station les << droits de la guerre, sont aussi nulles. Ainsi, lorsqu'un corsaire anglais << s'établit dans la rivière du Mississipi, dans le territoire neutre des « États-Unis, pour exercer de ce point les droits de la guerre, en allant «< ou venant, obtenant des informations à la balize, et visitant les vais<<<seaux qui descendaient la rivière, lorsque ce corsaire, disons-nous, <«< fit une capture à environ trois milles anglais des îles de sable, formées « à l'embouchure du Mississipi, Sir W. Scott ordonna la restitution du << vaisseau capturé. De même aussi, quand un vaisseau belligérant, se « trouvant dans le territoire neutre, fait avec ses chaloupes une capture << en dehors de ce territoire, la capture est maintenue nulle. Car, bien <«< que la force ennemie fût employée contre le vaisseau capturé en de« hors du territoire, on ne peut cependant permettre, pour faire la <«< guerre, un pareil usage d'un territoire neutre. » (The Anna, november 1805. Robinson's Admiralty Reports. Vol. V, page 373.)

<< Si toute hostilité contre l'ennemi déclaré dans la juridiction territoriale d'un État neutre qui est en rapports d'amitié avec les deux parties, est déloyale, si des captures faites par des croiseurs belligérants dans les baies de l'État neutre, ou même par les chaloupes des vaisseaux qui s'y trouvent, en dehors de ce territoire, sont nulles et illégales, d'après le droit des États-Unis et selon les arrêts des tribunaux maritimes de la Grande-Bretagne, l'attaque d'un bâtiment d'une Puissance amie en port neutre, mériterait d'être qualifiée plus sévèrement

encore. »

A la suite des négociations qui furent suivies à Constantinople et à Vienne, Koszta fut mis en liberté ; l'Autriche n'attachait aucun prix à la possession de cet individu, qui fut embarqué pour l'Amérique. Peu importe de connaître les dépêches échangées à son sujet; mais ce qu'il importerait surtout, dans l'intérêt du droit des gens pour lequel les grands États devraient donner l'exemple du respect, ce serait que les États-Unis eussent donné à l'Autriche, et particulièrement à la Turquie, des explications satisfaisantes au sujet des menaces d'hostilités, adressées, dans le port ami de Smyrne, par un capitaine d'un bâtiment de guerre de l'Union au capitaine d'un bâtiment de la marine militaire de l'Autriche.

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