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un fait de recousse fort curieux et qui était de nature à présenter des difficultés réelles (dans l'appréciation et le jugement à intervenir), au tribunal des prises. Merlin mentionne également ce fait dans son Répertoire de jurisprudence.

Le navire anglais le Mogué-Landardez fut pris, en 1694, par le corsaire français la Reine.

Trois jours après, pendant lesquels le Landardez était resté en la possession du corsaire la Reine, ces deux navires furent pris par un bâtiment anglais; mais, seize heures plus tard, survint le corsaire français le Prince de Conti qui s'empara des deux bâtiments anglais et des corsaires français capturés.

Aux termes du réglement en vigueur, le navire français la Reine, pris et recous, fut rendu à son armateur, moyennant le tiers de sa valeur abandonné au corsaire le Prince de Conti pour son droit de recousse.

Evidemment, le Landardez étant resté plus de 24 heures en la possession du corsaire la Reine, était, selon la jurisprudence maritime, devenu sa propriété.

Le Landardez, devenu propriété française, avait-il perdu ce caractère pour être resté seize heures en la possession du corsaire anglais qui l'avait recous?

Capturé par le corsaire le Prince de Conti, après avoir reçu le caractère de propriété française pour être resté plus de 24 heures en la possession du corsaire la Reine, pouvait-il être considéré comme un bâtiment français recous, et comme tel devait-il être remis aux armateurs du corsaire la Reine, à charge par ceux-ci de payer au corsaire le Prince de Conti le tiers de la valeur du Landardez pour droit de recousse, ainsi qu'il ont dû le faire pour le corsaire la Reine lui-même ?

Ou bien, par la reprise du Landardez effectuée par le corsaire anglais, capteur du corsaire la Reine, ce dernier bâtiment avait-il perdu son droit de propriété ?

Et, repris par le corsaire le Prince de Conti qui s'empara, en même temps, du corsaire anglais recapteur, le Landardez devait-il passer en entier, de même que le corsaire anglais recapteur, en la possession du corsaire le Prince de Conti?

Cette affaire de droit maritime en matière de prises a suivi tous les degrés de juridiction: divers arrêtés rendus les 2 janvier 1695, 17 octobre 1705, 5 juin 1706 et 14 juin 1710, prononcèrent en faveur du Prince de Conti; elle fut reprise en 1747, et l'arrêt qui intervint, le 7 février 1748, fut en faveur du corsaire la Reine.

Enfin, intervint, le 5 novembre 1748, un arrêt du conseil, en forme de réglement royal, qui réforma la décision du 7 février.

Sur le rapport du comte de Maurepas, secrétaire d'État de la marine, le roi étant en son conseil, faisant droit à la requête des armateurs du Prince de Conti, ordonna que le montant total de la valeur du Landardez et de son chargement, fut remis au Prince de Conti, dernier capteur, à la réserve du dixième appartenant à l'amiral: << Veut et entend Sa Majesté que les prises des navires ennemis, faites par ses vaisseaux et par ceux de ses sujets, armés en course, recousses par les ennemis, et ensuite reprises sur eux, appartiennent en entier du dernier prenant. »

§ 2.

Navire repris à l'ennemi par son propre équipage.

Un navire pris à l'ennemi peut revenir à ses propriétaires par reprise ou par cas fortuit.

Le navire recous est tenu de payer à l'équipage recapteur une gratification plus ou moins élevée suivant que la reprise a été effectuée par un bâtiment de l'État ou par un corsaire, avant ou après vingt-quatre heures écoulées depuis le moment de la capture par l'ennemi. Cette indemnité ou gratification, dont le chiffre varie selon les pays, résulte tant des réglements particuliers de chaque État, que des traités, ainsi que nous l'avons démontré au Livre I, titre III, § 28, en signalant un certain nombre de traités publics dans lesquels les négociateurs ont inséré cette clause.

Les réglements disent également que si un navire pris par l'ennemi est, sans être recous, abandonné par lui, ou si, par tempête ou autre cas fortuit, il tombe en la possession de corsaires de sa nation avant qu'il ait été conduit dans un port ennemi, il sera rendu à ses propriétaires, sur la réclamation qu'ils en feront, dans l'an et un jour, quoiqu'il ait été plus de 24 heures entre les mains de l'ennemi.

Mais les réglements maritimes ne se sont pas expliqués d'une manière nette et absolue sur le cas particulier d'un bâtiment pris par l'ennemi et que son propre équipage parvient à soustraire au capteur.

Ce cas peut-il être rangé dans la classe des reprises de bâtiments nationaux effectuées par les corsaires du même pays, auxquels lesdits bâtiments nationaux, recous sur l'ennemi par les corsaires de leur nation, doivent une gratification plus ou moins

considérable, s'ils ne sont pas restés 24 heures entre ses mains;

et (selon l'usage de divers pays) appartiennent même en totalité au recapteur, s'ils sont restés, au-delà de 24 heures, en la possession du capteur étranger?

Les tribunaux des prises appelés à se prononcer sur les deux faits qui feront l'objet de ce paragraphe et du suivant, ont apprécié, en principe et en droit, la situation exceptionnelle faite aux équipages recapteurs dans un sens qui leur fut tout à fait favorable, sans cependant les assimiler complètement aux équipages qui reprennent à l'ennemi un bâtiment resté au-delà de 24 heures en sa possession; le juge ayant le droit, quand il s'agit d'un cas fortuit, de proportionner la récompense aux dangers courus et à l'importance du service rendu, les tribunaux ont trouvé fondé en équité que la récompense à remettre aux équipages recapteurs de leur propre bâtiment fut équivalente environ au montant du droit de recousse admis et reconnu par les réglements en faveur d'un corsaire français qui aurait recous un bâtiment de sa nation, dans les 24 heures de sa capture.

La tartane l'Assomption, des îles d'Hyères, capitaine Laurent Caratini, fut rencontrée, le 28 prairial an XI (17 juin 1803), en quittant le port français, par le sloop anglais the Morgiana, qui s'en empara.

Caratini passa sur le Morgiana; le second capitaine, Pierre Marcantelli, deux matelots et un mousse restèrent à bord de l'Assomption, sur laquelle s'étaient installés quatre matelots anglais et un jeune officier de marine, du nom de Dawson, qui avait reçu l'ordre de conduire la prise à Malte.

Le 3 messidor, c'est-à-dire plus de quatre jours après la capture de l'Assomption par la Morgiana, le bâtiment se trouvant à la hauteur de Malfaco, à un demi myriamètre de l'ile de Corse, Pierre Marcantelli obtint de l'officier Dawson le débarquement de l'équipage français, lequel fut conduit à terre par deux matelots anglais.

A peine Marcantelli eut-il touché le sol français, qu'il conçut le projet de s'emparer de la tartane. A cet effet, il s'associe, sans retard et moyennant la promesse d'une récompense de vingt piastres par tête, trois laboureurs corses de ses amis, Rocca Maria Marcantelli, Joseph Montaggione et Jean-Sylvestre Damiani.

Munis de fusils, ces trois hommes entreprenants, les deux matelots débarqués et le mousse, s'embarquent sur un bateau appartenant à Rocca Maria Marcantelli, et vont s'emparer de la

tartane qu'ils conduisent, ainsi que les cinq prisonniers anglais, à Saint-Florent.

Pierre Marcantelli prétendit avoir droit à la prise recousse par lui, les deux matelots, le mousse et les trois laboureurs corses; il réclama qu'il lui fut fait application du réglement, lequel disposait qu'un bâtiment français repris sur l'ennemi, après plus de 24 heures de possession par ce dernier, appartenait au recapteur.

Le tribunal ne pouvait déserter la doctrine, fondée sur l'équité autant que sur le droit lui-même, que les hommes dont un armateur a formé l'équipage de son navire, sont ses propres représentants, et que dès-lors ils ne sauraient devenir pour lui, par cas fortuit, ce que serait un corsaire étranger qui se serait emparé de son navire, ou même ce que serait un corsaire français qui reprendrait un vaisseau français après plus de 24 heures écoulées depuis sa capture par l'ennemi.

Dans la pensée du tribunal, deux écueils apparaissaient qu'il fallait tourner sans s'y heurter; il y avait à éviter, d'une part, le danger d'intéresser les équipages à ne pas faire tous leurs efforts pour empêcher leur navire de tomber au pouvoir de l'ennemi, dans l'espoir coupable d'en faire la reprise et de se l'approprier; d'autre part, le danger tout aussi sérieux de porter les équipages à abandonner facilement leur navire au corsaire étranger, sans faire aucun effort soit pour le défendre, soit pour le reprendre, si leurs efforts, en pareil cas, devaient rester sans récompense.

C'est en présence de ces considérations que le conseil des prises décida :

4° Que la reprise à force ouverte de l'Assomption, par son propre équipage, était bonne et valable recousse;

2o Que pleine et entière main-levée de ce navire était toutefois donnée au profit de son armateur;

3o Mais que le dit armateur aurait à payer, outre le montant des salaires, le tiers de la valeur de la totalité du navire recous, au profit de l'équipage recapteur, lequel tiers serait partagé comme il suit : Cinq dixièmes à Pierre Marcantelli, second de l'équipage, deux dixièmes à chacun des matelots, et un dixième au mousse, en prélevant toutefois sur le montant de la récompense à eux accordée, et proportionnellement, la somme qui avait été promise à chacun des trois laboureurs corses.

CUSSY. II.

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§ 3.

Autre cas analogue: la goëlette la Française prise par l'ennemi est reprise par son équipage.

Le fait suivant présente un cas analogue de recousse, à celui qui a été exposé dans le paragraphe précédent.

Au mois de germinal an XI (mars 1803), la goëlette la Française, du port de Saint-Servan, partit pour la pêche de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve; son équipage se composait du capitaine Cauchard, d'un second capitaine, nommé Pierre Garnier, âgé de 27 ans, de quatre matelots, du novice Auguste Lefèvre, âgé de 20 ans, et d'un mousse.

Nous faisons connaître le nom et l'âge du second et du novice, parceque ce sont ces deux hommes courageux qui doivent figurer en première ligne dans l'exécution du plan qui enleva la Française à ses capteurs.

Ce navire revenait en France avec le produit de sa pêche, lorsque, le 6 thermidor an XI (25 juillet 1803), ignorant d'ailleurs la rupture de la paix entre la France et l'Angleterre, il fut poursuivi, en pleine mer, par le 48e degré de latitude nord et 21° degré de longitude occidentale du méridien de Paris, par le sloopcorsaire anglais la Surprise, capitaine Thomas Wood, lequel fit passer sur son bâtiment le capitaine Cauchard, les quatre matelots et le mousse de la Française; Pierre Garnier et le novice Lefèvre restèrent à bord de la Française sur laquelle le capitaine Thomas Wood installa un capitaine de prise, nommé John Morris, âgé de 22 ans, et trois matelots anglais.

La prise devait être conduite à Guernsey.

Pierre Garnier qui conçut, dès le principe, le projet de recouvrer sa liberté, s'efforça de gagner la confiance de John Morris. Celui-ci, peu expérimenté encore dans sa profession et connaissant fort mal d'ailleurs la route qu'il avait à tenir, s'abandonna peu à peu aux conseils et à la direction de Garnier et lui laissa, en quelque sorte, la conduite du navire.

Au lieu d'attérir sur Guernsey, Garnier mit le cap sur la Hogue, et, le 15 thermidor, neuf jours après être tombé entre les mains des Anglais, il découvrit l'île d'Aurigny 1), qu'il fit accepter au capitaine de prise pour être l'ile de Guernsey.

1) Petite ile française à 12 kilomètres ouest du Cap de la Hogue et 21 de Fille anglaise de Jersey.

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