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conséquence naturelle des précautions à prendre pour mettre le poisson à l'abri des effets de la chaleur, et que ce poisson, recueilli par des mains laborieuses, ne pouvait être assimilé à la matière ordinaire des cargaisons provenant du commerce.

Le commissaire du gouvernement fit également ressortir le caractère de bonne foi et de simplicité de la déposition du patron de la Nostra Segnora de la Pietad y animas: « dans l'ignorance complète des principes qui le protégeaient, disait ce magistrat, le capitaine Los Santos n'a point cherché à éluder la peine qu'il croyait intimement attachée à sa qualité de sujet d'une Puissance ennemie. »>

Le conseil faisant droit aux conclusions du commissaire du gouvernement, et adoptant les principes d'humanité et les maximes du droit des gens, ordonna le 9 thermidor an IX (28 juillet 1801), que le bateau-pêcheur la Nostra Segnora de la Pietad y animas, capturé par le corsaire français la Carmagnole, ainsi que le poisson qu'il contenait, ou le produit de la vente qui devait en avoir été faite, fussent restitués au maître et patron du dit bateau-pêcheur (bien qu'appartenant à une nation momentanément ennemie de la France), ou à son fondé de pouvoirs.

CHAPITRE XXI.

GUERRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. (1793.)

(QUATRIÈME PHASE.)

De la neutralité: Abandon des principes consacrés en faveur du commerce des neutres par les traités conclus de 1778 à 1787; Fidélité du Danemarck

à ces principes. 1)

La voie sur laquelle, dès le début de ses troubles civils, s'était engagée la France, dont la révolution menaçait l'ordre social et semblait vouloir, sinon anéantir, du moins transformer complètement l'état politique du pays, était de nature à donner des inquiétudes sérieuses aux cabinets étrangers et aux hommes d'État conservateurs de tous les gouvernements. Dans la chambre des communes de la Grande-Bretagne, le célèbre Edmond Burke avait

1) Voir Livre I, titre III. §§ 8, 9 et 10; et Livre II, chap. VII, §§ 1 et 11.

exprimé sa désapprobation en lançant ce foudroyant anathême : « La France n'est plus qu'un vide sur la carte politique de l'Eu<< rope! >>

« Ce vide est un volcan!» avait répondu Mirabeau. 1)

Au moment où Burke s'exprimait comme nous venons de le rappeler, en termes énergiques bien faits pour frapper les esprits, la France certes était bien loin de n'être qu'un vide en Europe; la place qu'elle tenait était immense au contraire; et c'est précisement parceque cette place était immense, et parceque la France ne pouvait se mouvoir d'une façon quelconque sans que toute l'Europe s'en ressentit immédiatement, qu'en devenant par le bouillonnement des passions politiques et par l'exaltation fiévreuse des esprits, un volcan révolutionnaire dont la lave brûlante se répandit au dehors au moyen de la presse, de la tribune des assemblées délibérantes, des clubs où s'agitaient tous les mauvais instincts des masses qu'aucun frein religieux ne retenait plus, c'est précisement, disons-nous, par tous ces motifs que la France fut l'effroi de l'Europe entière; la parole de Mirabeau, en réponse à la terrible apostrophe de Burke, devint de cette sorte fatalement vraie.

Une guerre continentale ne tarda pas à éclater contre la France; la Grande-Bretagne resta neutre; et par une lettre que Lord Gren ville écrivit à M. de Chauvelin, ministre de France à Londres, elle déclina même la proposition qui lui avait été faite de se rendre médiatrice entre les Puissances alliées et la France.

Après le 10 août 1792, l'ambassadeur anglais, Lord Gower, reçut de son gouvernement l'ordre de s'éloigner de Paris; lorsque le mort de Louis XVI fut connue à Londres, M. de Chauvelin quitta le royaume de la Grande-Bretagne.

1) Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Barrière, l'un des meilleurs écrivains du Journal des Débats, a publié dans le N° du 31 décembre 1850 de ce journal une note sur la politique européenne, rédigée, vers la fin de l'année 1790, par Mirabeau, pour l'empereur de l'Allemagne, Léopold II, qui venait de succéder à son frère, l'empereur Joseph II. Dans ce document, resté inédit jusqu'alors, et qui, ainsi que le fait observer M. Barrière, reçoit des circonstances actuelles, à 60 ans d'intervalle, tout l'intérêt et tout l'à-propos du moment, Mirabeau reproduit, comme il suit, la circonstance que nous avons rappelée :

« Burke a dit que la France n'offrait plus en politique qu'un grand vide. Burke « a dit une grande sottise. Ce vide est un volcan dont on ne saurait perdre de vue «< un moment, ni les éruptions ni la lave. »

Mirabeau est loin, en parlant de la Grande-Bretagne, de se montrer aussi dédaigneux que Burke en parlant de la France. « L'exemple de la révolution française ». dit-il dans le même écrit, «ne produira en Angleterre qu'un plus grand respect << pour les lois, une plus grande rigidité de discipline sociale. » La rigidité de discipline sociale en Augleterre a, sans aucun doute, été quelque peu altérée depuis 25 ou 30 ans; mais c'est là, du moins, que cette discipline si nécessaire existe encore au plus haut degré en Europe, et l'on peut en féliciter la nation britannique.

La cour d'Angleterre ayant refusé de reconnaître la république française, celle-ci déclara la guerre au roi Georges III; le gouvernement français délivra des lettres de marque, en faisant publier d'ailleurs que la course resterait restreinte et assujettie aux dispositions du réglement de 1778, et que les anciennes lois sur les prises maritimes continueraient à être exécutées jusqu'à ce qu'il en fut autrement ordonné. (Art. 5 du décret du 14 février 4793.) La guerre qui commençait était une guerre de principes: elle devait revêtir le caractère de l'opiniâtreté et de la passion.

L'Angleterre résolut de réduire la France par la famine, en quelque sorte, en concertant avec les Puissances alliées les moyens de fermer les ports européens au commerce maritime de la France, et de s'opposer à toute exportation, pour les ports français, de munitions navales et de provisions de bouche de toute nature.

Elle n'attendit pas, au reste, d'avoir obtenu le concours des Puissances alliées pour commencer à mettre son odieuse pensée en voie d'exécution. Dans le mois de mars 1793, elle s'empara de deux cargaisons de farine, arrivées à Falmouth sur des navires des États-Unis, Puissance neutre; ces chargements de farine, achetés avant la guerre, étaient destinés au service de la marine française. Le traité du 3 septembre 1783, le seul qui eut encore été conclu entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, n'autorisait point la conduite que tint cette dernière Puissance en cette cir

constance.

Le 17 du même mois, les croiseurs anglais arrêtèrent et conduisirent à Douvres un navire danois, le Mercure Christianland, expédié de Dunkerque avec un chargement de blé pour Bordeaux; or, le traité du 4 juillet 1780, conclu entre le Danemarck et la Grande-Bretagne, pour expliquer le traité du 29 novembre 1669, déclarait expressément que l'on ne considérait point comme contrebande de guerre, le froment, la farine, le blé ou autres grains.

A la même époque, une frégate anglaise se saisit également du navire américain, le John, capitaine Shkly, qui fut conduit à Guernesey, avec un chargement d'environ 6,000 quintaux de froment, destiné pour St.-Malo.

Le navire génois, la Providence, capitaine Ambrosio Briasco, fut attaqué et pillé, parcequ'il portait à Bayonne une centaine de passagers français de diverses professions, que le ministère espagnol avait fait embarquer à Cadix.

Enfin, du mois de février jusqu'au 15 août 1793, 189 bâtiments danois, charges de grains, de viandes et de poissons salés, etc.,

furent conduits, contrairement au texte formel du traité du 4 juillet 1780, en Angleterre par les croiseurs britanniques.

Une convention fut signée à Londres, le 25 mars 1793, entre la Grande-Bretagne et la Russie; les deux Puissances renouvelèrent provisoirement, pour six ans, le traité de commerce du 20 juin 1766, qui ne renferme aucune clause formelle concernant les neutres, si ce n'est la liberté de commercer avec les ports ennemis, moins les ports bloqués et moins les munitions de guerre, (art. X et XI); elles s'engagèrent d'ailleurs, par un second traité, signé le même jour, à prendre toutes les mesures qui seraient en leur pouvoir pour troubler le commerce de la France, et à unir tous leurs efforts pour empêcher d'autres Puissances non impliquées dans cette guerre, de donner une protection quelconque, soit directement, soit indirectement, en conséquence de leur neutralité, au commerce ou à la propriété des Français dans les ports.

L'Angleterre est un ennemi actif, opiniâtre, persévérant, qui sait prodiguer à propos les trésors pour assurer le succès; et l'esprit public qui anime les habitants de ce pays finit toujours par rendre l'opinion publique de la nation favorable à la politique de son gouvernement à l'égard des Puissances étrangères; il en existe une preuve récente. Le blâme dont la politique de Lord Palmerston envers la Grèce, en 1850, a été l'objet à la chambre haute, n'a point entraîné la chute du ministère. (Voir chap. XXXVII.)

Il fut aisé au cabinet britannique, en 1793, en faisant entrevoir la ruine de la France comme devant être le résultat de la guerre, d'entretenir et d'exciter les mauvaises dispositions et les sentiments de jalousie qui existaient au sein de la nation anglaise contre la France; il était assuré dès lors de voir sa conduite approuvée par le pays qui comprit la nécessité de payer des subsides aux États continentaux pour nourir la coalition formée en vue de combattre la France, et pour chercher de nouveaux ennemis à ce pays, rival dangereux en industrie, en commerce, en influence politique du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne.

Le cabinet britannique s'empressa donc de négocier et de conclure des traités d'alliance et de subsides, pour une guerre commune contre la France, avec la Hesse-Cassel, le 10 avril 1793; la Sardaigne, le 25 du même mois; l'Espagne, le 15 mai; les Deux-Siciles, le 12 juillet; la Prusse, le 14 juillet; l'Autriche, le 30 août; la Portugal, le 26 septembre; la Hesse-Darmstadt, le 5 octobre; les Pays-Bas, le 19 avril 1794, etc.; et, sachant ex

ploiter la haine qu'inspiraient à l'impératrice Catherine les principes démagogiques et sanguinaires de la convention, le dogme politique de cette assemblée qui gouvernait la France terrorisée, les excès de toute nature qui chaque jour se produisaient sur toute l'étendue de ce beau et malheureux pays. Le cabinet britannique obtint que la Russie mit à la mer une flotte de 25 vaisseaux de ligne, avec ordre aux commandants de faire arrêter tout bâtiment neutre frété et chargé pour un port de France.

La convention nationale publia, de son côté, le 9 mai 1793, un décret portant que puisque le pavillon neutre n'était pas respecté par les nations ennemies de la France, et que les cargaisons de grains destinées pour des ports français avaient été saisies par ordre du gouvernement anglais qui exerçait sur elles le droit de préemption (voir Livre I, titre III, § 18), les armateurs français étaient autorisés à arrêter et à conduire dans les ports de la république les vaisseaux neutres chargés soit de commestibles appartenant à des neutres et destinés à des ports ennemis, soit de marchandises appartenant aux ennemis; les premières, pour être prises par l'État, mais contre remboursement sur le pied de leur valeur constatée; les secondes, pour être jugées et confisquées comme bonne prise. Dans l'un et l'autre cas d'ailleurs les bâtiments neutres devaient être relâchés aussitôt après le débarquement complet des marchandises de l'espèce indiquée, composant leur cargaison.

Le 8 juin 1793, le gouvernement britannique prescrivit à ses armateurs, « d'arrêter et de détenir tous les vaisseaux chargés en tout ou en partie, de blés, froments ou farines, destinés pour quelque port de France ou pour quelque port occupé par les armées françaises, et de les envoyer à tels ports qu'il serait le plus convenable, pour que lesdits blés, froments ou farines puissent être achetés pour le compte du gouvernement de S. M. Britannique, et les vaisseaux relâchés après une telle vente, et après un paiement proportionné pour le fret, ou bien, que les capitaines de tels vaisseaux, après avoir donné suffisante caution, approuvée par la cour d'amirauté, pûssent procéder à la disposition de leur cargaison de blé, farine ou froment, dans les ports d'un pays ami de S. M. »

En donnant aux Puissances neutres, communication de cet ordre (qui renferme quelques dispositions concernant les ports bloqués, art. 2 et 3), le cabinet de Saint-James, pour justifier l'adoption de mesures aussi inusitées, déclara que l'on ne pouvait point regarder le gouvernement français comme légitime et établi, puisque les Puissances elles-mémes qui n'étaient point entrées

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