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déjà cherché à outrepasser les limites du blocus réel, en prétendant qu'avec quelques voiles, insuffisantes en nombre pour fermer les abords d'une place maritime, elle avait le droit de déclarer le blocus. Mais enfin elle avait admis la nécessité de la présence d'une force quelconque, devant le port bloqué. Maintenant elle ne s'arrêtait plus à cette limite déjà si vague, et à l'époque de sa rupture momentanée avec la Prusse, occasionnée par la prise de possession du Hanovre, elle avait osé défendre tout commerce aux neutres, sur les côtes de France et d'Allemagne, depuis Brest jusqu'aux bouches de l'Elbe. C'était l'abus de la force poussé au dernier excès, et dès lors il suffisait d'un simple décret britannique pour frapper d'interdit toutes les parties du globe qu'il plairait à l'Angleterre de priver de commerce.

« Cette incroyable violation du droit commun fournissait à Napoléon un juste prétexte pour se permettre à l'égard du commerce anglais les mesures les plus rigoureuses. Il imagina un décret formidable qui, tout excessif qu'il puisse paraître, n'était qu'une juste représaille des violences de l'Angleterre, et qui avait de plus l'avantage de répondre parfaitement aux vues qu'il venait de concevoir. Ce décret, daté de Berlin, et du 21 novembre, applicable non-seulement à la France, mais aux pays occupés par ses armées, ou alliés avec elle, c'est-à-dire à la France, à la Hollande, à l'Espagne, à l'Italie, et à l'Allemagne entière, déclarait les les britanniques en état de blocus. »

Ce décret est ainsi conçu:

« Au Camp impérial de Berlin, le 24 novembre 1806. NAPOLÉON, Empereur, etc.

• Considérant,

1° Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens, suivi universellement par tous les peuples policés ;

<2° Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à l'État ennemi, et fait, en conséquence, prisonniers de guerre, non-seulement les équipages des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et des navires marchands, et même les facteurs de commerce et les négociants qui voyagent pour les affaires de leur négoce ;

3o Qu'elle étend aux bâtiments et marchandises du commerce et aux propriétés des particuliers, le droit de conquête, qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'État ennemi;

« 4° Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux havres et aux embouchures des rivières, le droit de blocus, qui, d'après la raison et l'usage de tous les peuples policés, n'est applicable qu'aux places fortes;

« Qu'elle déclare bloquées des places devant lesquelles elle n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne soit bloquée que quand elle est tellement investie qu'on ne puisse tenter de s'en approcher sans un danger imminent;

« Qu'elle déclare même en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer; des côtes entières et tout un Empire;

« 5o Que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communications entre les peuples, et d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur la ruine de l'industrie et du commerce du continent;

« 6o Que tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque fait sur le continent le commerce des marchandises anglaises, favorise par-là ses desseins et s'en rend le complice;

« 7° Que cette conduite de l'Angleterre, digne en tout des premiers âges de la barbarie, a profité à cette Puissance au détriment de toutes les autres ;

«< 8° Qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il se sert, et de le combattre de la même manière qu'il combat, lorsqu'il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentiments libéraux, résultat de la civilisation parmi les hommes.

« Nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime.

« Les dispositions du présent décret seront constamment considérées comme principe fondamental de l'Empire, jusqu'à ce que l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un, et le même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux propriétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers à la profession des armes, et que le droit de blocus doit être restreint aux places fortes réellement investies par des forces suffisantes ;

« Nous avons, en conséquence, décrété et décrétons ce qui suit :

« Art. 1er. Les Iles britanniques sont déclarées en état de blocus.

« 2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles britanniques sont interdits.

« En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes et seront saisis.

«< 3. Tout individu sujet de l'Angleterre, de quelque état ou condition qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par nos troupes ou par celles de nos alliés, sera fait prisonnier de guerre.

<«< 4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de quelque nature qu'elle puisse être, sera déclarée de bonne prise.

5. Le commerce de marchandises anglaises est défendu; et toute marchandise appartenant à l'Angleterre ou provenant de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise.

«< 6. La moitié du produit de la confiscation des marchandises et propriétés déclarées de bonne prise par les articles précédents, sera employée à indemniser les négociants des pertes qu'ils ont éprouvées

par la prise des bâtiments de commerce qui ont été enlevés par les croisières anglaises.

« 7. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre ou des colonies anglaises, ou y ayant été depuis la publication du présent décret, ne sera reçu dans aucun port.

« 8. Tout bâtiment qui, au moyen d'une fausse déclaration, contreviendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison confisqués comme s'ils étaient propriétés anglaises.

« 9. Notre tribunal des prises, de Paris, est chargé du jugement définitif de toutes les contestations qui pourront survenir dans notre Empire et dans les pays occupés par l'armée française, relativement à l'exécution du présent décret. Notre tribunal des prises, à Milan, sera chargé du jugement définitif desdites contestations qui pourront survenir dans l'étendue de notre Royaume d'Italie.

« 10. Communication du présent décret sera donnée par notre ministre des relations extérieures, aux Rois d'Espagne, de Naples, de Hollande et d'Étrurie, et à nos autres alliés dont les sujets sont victimes, comme les nôtres, de l'injustice et de la barbarie de la législation maritime anglaise.

« 11. Nos ministres, etc.

Signé NAPOLÉON.

Par l'Empereur

Le secrétaire d'État : Signé MARET. »

Le lecteur aura remarqué que ce document, devenu célèbre, présente un exposé sincère et précis de la politique de la GrandeBretagne en temps de guerre; et tout à la fois l'expression de la pensée des hommes d'État de la France. Le droit de la guerre est un et le même sur terre et sur mer; il ne peut s'étendre ni aux propriétés privées quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers à la profession des armes. (Voir Livre I, titre III, § 20.)

Feignant d'oublier que le décret de Berlin, du 21 novembre 1806, n'était que la conséquence de l'ordre du conseil britannique du 6 mai précédent, le ministère anglais, qui était en négociation avec les commissaires des États-Unis au sujet des réclamations de l'Union sur la position commerciale que lui avaient faite les procédés de la Grande-Bretagne, écrivit, le 31 décembre 1806, la lettre suivante aux commissaires américains :

Note des Lords Vanall-Holland et Auckland, aux commissaires des États-Unis, James Monroe et W. Pinkney.

«Londres, le 31 décembre 1806.

Les soussignés, Lord Holland et Lord Auckland, plénipotentiaires de Sa Majesté Britannique, ont l'honneur de prévenir James Monroe et

W. Pinkney, commissaires etc. etc., qu'ils sont prêts à signer le traité d'amitié, de commerce et de navigation dont ils sont mutuellement

convenus.

<< Mais en même temps ils ont ordre de Sa Majesté d'appeler l'attention des commissaires des États-Unis sur quelques événements extraordinaires qui ont eu lieu récemment en Europe, et de leur communiquer officiellement les sentiments de Sa Majesté à ce sujet.

«Il s'agit de certaines déclarations et ordres du Gouvernement français, donnés à Berlin le 24 novembre dernier.

« Le Gouvernement français, dans ces ordres, cherche à justifier ou pallier ses injustes prétentions, en imputant à la Grande-Bretagne des principes qu'elle n'a jamais avancés et des actions qui n'ont jamais existé. Sa Majesté est accusée d'un mépris général et systématique pour les lois des nations reconnues par les États civilisés, et particulièrement d'une exception illicite du droit de blocus, tandis que Sa Majesté peut avec confiance en appeler au monde entier sur son respect uniforme pour les droits des neutres, et son adhérence constante et scrupuleuse aux lois des nations. Sans condescendre à mettre sa conduite à cet égard en opposition avec celle de l'ennemi, et quant à la seule accusation expresse, il est de notoriété qu'elle n'a jamais déclaré aucun port en état de blocus, sans y envoyer une force suffisante pour en rendre l'entrée évidemment dangereuse.

« C'est par ces allégations sans fondement, que l'ennemi cherche à justifier ses prétentions de confisquer comme bonne prise tout le produit de l'industrie et des manufactures anglaises, quoique appartenant à des neutres; d'éloigner de ses ports tout vaisseau neutre qui a touché en Angleterre, quoique employé dans un commerce innocent, et de déclarer la Grande-Bretagne en état de blocus, quoique tous ses propres ports et arsenaux soient en effet bloqués, et qu'il soit incapable d'entretenir une flotte quelconque devant aucun port des Royaumes-Unis.

« De tels principes sont extravagants et contraires aux lois des nations; et les prétentions dont ils sont le fondement, quoique en apparence dirigées contre la Grande-Bretagne seule, tendent à changer les lois de la guerre parmi les nations civilisées, et à détruire entièrement les droits et l'indépendance des neutres.

« Les soussignés ne peuvent pas croire que l'ennemi cherche sérieusement à suivre un pareil système; et s'il le fait, ils sont convaincus que le bon sens du Gouvernement américain verra combien de telles prétentions sont fatales au commerce des neutres, et que son énergie et son respect pour les lois des nations l'empêcheront d'admettre une violation aussi palpable de ses droits, et un attentat aussi injurieux à son intérêt.

<< Si cependant l'ennemi mettait ses menaces à exécution, et si les neutres, contre toute attente, se soumettaient à de telles usurpations, Sa Majesté serait, selon toute apparence, forcée, quoique à regret, de rétablir pour sa propre défense, et d'adopter à l'égard du commerce des neutres avec ses ennemis, les mêmes mesures qu'ils auraient souffertes contre leur commerce avec ses sujets. Les commissaires des États-Unis

sentiront, par conséquent, qu'au moment où Sa Majesté et toutes les nations neutres sont menacées d'une telle extension des prétentions hostiles de ses ennemis, elle ne peut pas admettre les stipulations du présent traité sans une explication des intentions des États-Unis ou une restriction du côté de Sa Majesté, si le cas ci-dessus mentionné se présentait.

« Les soussignés, considérant que l'éloignement du Gouvernement américain rend impossible une explication immédiate sur ce sujet, et animés du désir de terminer l'opération utile dans laquelle ils sont engagés, sont autorisés par Sa Majesté à conclure le traité sans délai. Ils sont prêts à le signer, avec la ferme persuasion qu'avant que le traité revienne d'Amérique avec la ratification des États-Unis, l'ennemi aura formellement ou tacitement abandonné ses injustes prétentions, ou que le Gouvernement des États-Unis aura prouvé à Sa Majesté, par sa conduite ou ses promesses, qu'il ne se soumettra pas à de telles innovations dans le système établi des lois maritimes; et les soussignés ont présenté cette note afin qu'il fût entendu des deux côtés que, sans un tel abandonnement de la part de l'ennemi, ou une telle conduite ou assurance de la part des États-Unis, Sa Majesté ne se croira pas tenue à ratifier le traité, ou privée du droit d'adopter telles mesures qui lui paraîtront convenables pour réagir sur les ennemis.

« Les soussignés ne peuvent finir sans exprimer la satisfaction que leur fait éprouver l'espoir de terminer un objet aussi important pour les intérêts et les relations amicales des deux nations, et leur conviction des dispositions conciliatrices des commissaires des États-Unis pendant tout le cours de la négociation. >>

Peu de jours après, le 7 janvier 1807, prétendant agir uniquement par représailles, le cabinet britannique fit paraître l'ordre du conseil qui mit tous les ports de la France et de ses colonies en état de blocus. L'Angleterre espérait par cette mesure contraindre Napoléon à retirer le décret de Berlin; il n'en fut rien.

L'empereur des Français devait penser que les neutres remonteraient à la source réelle des mesures désastreuses qui frappaient leur commerce, et qu'il reconnaîtraient que leur facilité envers l'Angleterre, acceptant comme ils le faisaient sans résistance toutes les exigences du cabinet de St.-James, était la seule cause de tous leurs maux ; ils le reconnurent peut-être, mais ils continuèrent à se soumettre aux ordres du conseil.

En vertu du décret de Berlin, le gouvernement français fit arrêter et mettre sous le séquestre les vaisseaux américains; la cour des prises ne les condamna d'ailleurs que lorsqu'il fut évident que le gouvernement des États-Unis avait renoncé à poursuivre le redressement de ses griefs contre la Grande-Bretagne.

Le cabinet britannique n'ayant pas obtenu le résultat sur le

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