Page images
PDF
EPUB

MM. Canning et Castlereagh. L'indignation fut générale tant chez les amis de la France, peu nombreux alors, car elle avait obtenu trop de succès pour avoir beaucoup d'amis, que chez ses ennemis les plus décidés. Il n'existait pas une nation plus estimée que la nation danoise. Sage, modeste, laborieuse, appliquée à son commerce sans chercher à nuire à celui d'autrui, s'attachant à maintenir scrupuleusement sa neutralité au milieu d'une guerre acharnée, et quoique inoffensive sachant, comme en 1801, se dévouer héroïquement au principe de cette neutralité qui formait toute sa politique, elle était, comme les Suisses, comme les Hollandais, l'une de ces nations qui rachètent la faiblessǝ numérique par la force morale, et savent conquérir le respect universel. La surprise dont elle venait d'être la victime faisait encore plus éclater sa bonne foi, car elle périssait pour n'avoir pris aucune précaution contre l'Angleterre, et pour en avoir trop pris contre la France

[ocr errors]

<< ...... Chez les hommes impartiaux on reconnaissait que la France avait bien raison de vouloir réunir toutes les nations contre un despotisme maritime intolérable, despotisme qui une fois établi serait invincible, n'admettrait de pavillon que le pavillon anglais, ne souffrirait de trafic que celui des produits anglais, et finirait par fixer à sa volonté le prix des marchandises ou exotiques ou manufacturières. Il fallait donc s'entendre pour tenir tête à l'Angleterre, pour lui arracher le sceptre des mers, et l'obliger à rendre au monde le repos dont il était, à cause d'elle, privé depuis quinze années. »

La suite des événements politiques et les mesures qui furent prises par le gouvernement anglais, notamment l'ordre du conseil du 26 avril 1809, dont nous aurons à parler, prouvèrent que les craintes qu'on exprimait au sujet du despotisme maritime de l'Angleterre, n'étaient que trop fondées.

A voir les efforts incessants du cabinet britannique, en tout temps, pour arrêter autant que possible les développements qu'auraient pu prendre les marines étrangères, autant de rivales selon lui, qu'il fallait anéantir quelque faibles qu'elles fussent encore; à voir avec quel soin, avec quelle persévérance les hommes d'État de l'Angleterre ont, en tout temps, cherché à établir et à faire adopter comme un principe en quelque sorte, comme une vérité absolue tout au moins, la suprématie de la marine de la Grande-Bretagne, on pourrait croire que le gouvernement anglais, poursuivi par une idée fixe, a pris pour devise intime, pour

doctrine et pour dogme de sa politique, ce vers d'un poëte français : « Le Trident de Neptune est le sceptre du monde. »

Aussi l'Angleterre a-t-elle pris soin d'oublier, aussitôt que l'occasion de le faire s'est présentée, les principes qu'elle a plusieurs fois consacrés par des traités publics, « la loi la plus sacrée qui • existe parmi les hommes »; principes que respectent les autres nations civilisées (l'immunité du pavillon, la protection du convoi, le blocus réel, les limites de la mer territoriale, etc.), et a-t-elle cherché à ramener les autres nations à l'adoption de ses propres doctrines, ainsi que nous l'avons démontré plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, et notamment dans les chap. III, VI, XXI, XXII, XXIV, XXV et XXXI.

Le bombardement de Copenhague qui indigna l'Europe fut, pour l'empereur de Russie, l'occasion de proclamer de nouveau les principes de la neutralité armée (voir chap. VII, § 2 et 23), et d'adopter les vues politiques de l'empereur Napoléon en mettant le séquestre sur toutes les propriétés anglaises.

Dans la juste indignation que l'empereur Alexandre éprouva de la conduite du cabinet britannique à l'égard du Danemarck, et des marins anglais à Copenhague, ce souverain aurait dû déclarer comme non avenues toutes conventions diplomatiques antérieures, et déchirer de sa main le traité du 17 juin 1801.

Il est encore un fait politique important qui appartient à l'année 4807, et que nous devons rappeler; c'est le départ pour le Brésil de la famille royale de Portugal.

Le 14 octobre 1807, l'empereur Napoléon avait enjoint au gouvernement portugais de fermer les ports du royaume à la navigation anglaise, d'arrêter tous les sujets britanniques et de confisquer leurs propriétés; le régent du royaume (qui régna depuis sous le nom de Jean VI), avait cédé sur la première demande ; mais il réclama du temps pour adopter les mesures indiquées à l'égard des sujets britanniques et de leurs propriétés. Cette réponse ne satisfit pas Napoléon.

Pressé entre une armée espagnole qui envahissait le Portugal, l'armée française qui marchait sur Lisbonne, et la flotte anglaise qui tenait bloqué le port de cette capitale, le régent se retira, le 27 novembre, à bord d'un bâtiment portugais et fit voile pour le Brésil.

Contrariée par le vent, l'escadrille portugaise ne put prendre le large immédiatement; elle avait à peine franchi la barre de la rade, le 29, quand l'avant-garde du général Junot, commandant

l'armée française, arriva au bourg de Sacavem, à deux lieues de Lisbonne.

La famille royale de Portugal arriva le 24 janvier 1808 à Bahia, et, le 28 du même mois, une ordonnance royale ouvrit tous les ports du Brésil à la navigation et au commerce de toutes les nations amies.

L'un des ordres du conseil britannique, du mois de novembre 1807, avait institué les licences dont les neutres devaient se munir pour se mettre à couvert de toutes vexations de la part de la marine anglaise. Le droit de conquête n'aurait pu introduire une obligation plus étrange et plus arbitraire; un vaisseau naviguant avec une licence du roi de la Grande-Bretagne prenait le pavillon anglais et était appelé à jouir des privilèges appartenant aux sujets anglais.

En France, afin d'apporter quelques adoucissements au système de blocus, on accorda également, sous le nom de licences, à divers armateurs, la faculté d'introduire des marchandises coloniales dont le pays avait besoin.

Sous le même nom, c'étaient deux choses bien différentes. De graves événements étaient à la veille de se développer. Les ordres du conseil du 14 novembre 1807 avaient eu pour résultat d'éloigner les bâtiments neutres des ports d'Angleterre, en soulevant d'ailleurs un grand scandale, en ce qui concernait les licences; le cabinet de St.-James, par un ordre du 26 avril 1809, y substitua donc le blocus général de toutes les côtes de Hollande, de France, d'une partie de l'Italie et de toutes les colonies hollandaises et françaises.

En voici le contenu :

« 26 avril 1809.

<< Par l'ordre de son conseil, du 11 novembre 1807, et sur les motifs y contenus, Sa Majesté ayant trouvé à propos d'ordonner que tous les ports et places de la France et de ses alliés, ou de tout autre pays en guerre avec Sa Majesté, et tous les autres ports et places en Europe, d'où, quoique non en guerre avec Sa Majesté le pavillon britannique est exclu, et tous les ports et places dans les colonies appartenant aux ennemis de Sa Majesté, seraient, à compter dudit jour, et autant qu'il concerne le commerce et la navigation, soumis aux mêmes restrictions qui auraient lieu dans le cas ou les mêmes ports et places se trouveraient dans l'état du plus rigoureux blocus, avec défense en même temps de faire le commerce avec des marchandises provenant du cru et des manufactures desdits pays et des susdites colonies.

« Et Sa Majesté ayant néanmoins desiré de ne pas soumettre les pays en alliance ou en amitié avec elle, à des inconvénients plus graves que ceux qui sont absolument indispensables pour donner effet à la

première détermination de Sa Majesté, de contrecarrer les desseins de ses ennemis, et ayant, par conséquent, fait quelques exceptions et modifications expressément détaillées dans le susdit ordre du 11 novembre, et dans certains ordres postérieurs du 25 novembre et du 18 décembre 1807, ainsi que du 30 mars 1808, tous servant à expliquer l'ordre susdit du 11 novembre.

« Et comme, en conséquence de différents événements qui ont eu lieu depuis la date du premier des ordres susdits, concernant les rapports entre la Grande-Bretagne et les territoires d'autres Puissances, il est devenu utile que différentes parties ou dispositions des susdits ordres fussent changées ou rapportées;

«Sa Majesté, ayant entendu l'avis de son conseil privé, a trouvé bon de rapporter et d'annuller les différents ordres susdits, en exceptant ce qui sera dit ci-après; et les susdits ordres, avec l'exception susdite, sont ainsi rapportés et annullés par ces présentes.

« Et Sa Majesté, ayant entendu l'avis de son conseil privé, a trouvé bon d'ordonner et il est ordonné par ces présentes, que tous les ports et places vers le nord jusqu'à la rivière d'Ems inclusivement, soumis au gouvernement qui s'appelle royaume de Hollande, et tous les ports et places de la France, ensemble avec les colonies, plantations et établissements possédés par ces deux gouvernements et par chacun d'eux, ainsi que les ports et places de la partie septentrionale de l'Italie, à partir des ports d'Orbitello et Pesaro inclusivement, seront et continueront d'être soumis, pour ce qui concerne le commerce et la navigation, aux mêmes restrictions, sans aucune exception, qui ont lieu dans le cas du blocus le plus rigoureux par les forces maritimes de Sa Majesté, et que tout bâtiment faisant commerce avec les susdits pays, colonies, plantations ou établissements, soit y allant, soit en revenant, sera condamné comme bonne prise en faveur des capteurs, ensemble avec tous les biens et toutes les marchandises à son bord.

« Et Sa Majesté a trouve bon d'ordonner encore, et il est ordonné par ces présentes, que le présent ordre sera en vigueur à compter du jour de sa date, autant qu'il concerne un bâtiment quelconque, avec son chargement, qui pourrait être capturé postérieurement au susdit jour, pendant le cours d'un voyage qui est et sera rendu légitime en vertu de cet ordre, quoiqu'à l'époque du commencement de ce voyage, il ait été illégitime et défendu en vertu des susdits ordres antérieurs, et qu'un tel bâtiment ayant été capturé, sera par conséquent restitué; et pour autant qu'il concerne tous les bâtiments avec leurs chargements qui seraient capturés pendant le cours d'un voyage permis par les exceptions contenues dans les ordres ci-dessus nommés, mais qui ne sera plus permis en vertu des dispositions du présent ordre, Sa Majesté a trouvé bon d'ordonner et il est ordonné par ces présentes que de tels bâtiments, avec leurs chargements, ne seront point sujets à la condamnation, à moins qu'en effet ils n'aient eu connaissance de l'ordre présent avant la capture, ou, à défaut de cette connaissance, jusqu'à l'expiration des mêmes délais, à compter du jour de la date du susdit ordre, qui ont été accordés pour la connaissance supposée, par les ordres du

25 novembre 1807 et du 18 mai 1808, aux différentes places et latitudes y spécifiées.

« Et les très-honorables lords commissaires du trésor de Sa Majesté, les principaux secrétaires d'État de Sa Majesté, les lords commissaires de l'amirauté, les juges de la haute-cour de l'amirauté, et les juges des cours de vice-amirauté, seront tenus, chacun en ce qui le concerne, de donner à cet égard les instructions nécessaires. >>

Un arrangement provisoire était, à cette époque, sur le point d'être conclu entre les États-Unis et la Grande-Bretagne ; c'était l'engagement pris d'accorder une réparation pour l'affaire du Chesapeake (voir chap. XXVII), ainsi que le rétablissement des relations commerciales entre les deux pays; le roi de la GrandeBretagne signa, en conséquence, le 29 mai 1809, un ordre qui apportait, en ce qui concernait le commerce maritime de l'Union américaine, quelques modifications à l'ordre du 26 avril précédent :

<< Palais de la reine, le 29 mai 1809.

« Sa Majesté présente au conseil ;

« Considérant que par son ordre en conseil, du 26 avril dernier, Sa Majesté a trouvé bon de déclarer certains ports et certaines places dans les pays qui ont été dernièrement appelés royaume de Hollande, soumis aux restrictions attachées à un blocus rigoureux, et cela en continuation de l'ordre précédent de Sa Majesté du 11 novembre 1807; et considérant qu'on a reçu la nouvelle d'un certain arrangement provisoire fait par l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté en Amérique avec le Gouvernement des États-Unis, par lequel il est entendu que les ordres en conseil de Sa Majesté, du 7 janvier et du 11 novembre 1807, seront, pour ce qui concerne les ÉtatsUnis, révoqués le 10 juin prochain;

« Et considérant qu'il peut être arrivé ou qu'il peut arriver, quoique le susdit arrangement provisoire ne soit pas tel qu'il avait été autorisé par les instructions de Sa Majesté, ou tel que Sa Majesté puisse l'approuver, que des personnes étant citoyens des susdits États-Unis, se confiant au susdit arrangement provisoire, puissent être induites à commercer avec les susdits ports et places de Hollande, en contravention et en violation des restrictions apportées aux susdits ordres du 7 janvier et du 11 novembre 1807, par l'ordre du 26 avril dernier; or, pour prévenir tout inconvénient qui pourrait résulter des circonstances cidessus mentionnées, Sa Majesté ayant entendu l'avis de son conseil intime, a trouvé bon d'ordonner, et il est ordonné par ces présentes, que les susdits différents ordres seront suspendus, autant qu'il est nécessaire pour la protection des bâtiments des susdits États-Unis qui navigueraient en se confiant au susdit arrangement provisoire; qu'à partir du 9 juin prochain, aucun bâtiment des États-Unis qui aurait reçu ses expéditions, entre le 19 avril dernier et le 20 juillet suivant, avec destination de quelqu'un des ports des États-Unis pour quelqu'un des ports

« PreviousContinue »