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dans l'unique but de savoir pourquoi le capitaine du Pierre-Amélie ne l'a pas salué? Même dans cette hypothèse, l'envoi du biscaien, précurseur de la visite, en témoignage de second avis adressé à un bâtiment d'une nation étrangère qui avait négligé de saluer le navire de guerre espagnol, était une manière fort insolite de procéder.

La lettre du capitaine du Pierre-Amélie ne dit pas si la visite a eu lieu à cause de cette omission, mais elle laisse croire qu'elle avait cette omission pour origine. Si tel a été le motif réel de la visite, la lettre du capitaine d'Aigremont va au devant du reproche qui pourrait lui être adressé en disant que si, en passant à ses côtés, le commandant espagnol avait hissé ses couleurs, il se serait empressé de le saluer et de montrer qu'il sait respecter les navires de guerre, protecteurs de la marine marchande.

«A M. le rédacteur du Semaphore de Marseille.

<< Permettez-moi, Monsieur le rédacteur, de vous signaler un fait sans précédent dans la navigation.

« A dix lieues dans l'est-sud-est du Cap St.-Martin, à deux pas du port de Marseille, un bateau à vapeur, ne portant aucun signe apparent d'un navire de guerre, passa le 26 du mois dernier, vers quatre heures du soir, à babord de mon navire, à environ un mille. Je courais alors à l'est-nord-est avec des vents ouest-sud-ouest bonne prise, ayant les bonnettes, tribord et babord et le grand catacois dessus, filant sept à huit nœuds.

<«< Voyant ce navire sans pavillon, déjà sur mon arrière, courant le Cap ouest à l'ouest-sud-ouest, je ne fis plus attention à lui; la bordée de son tribord étant descendue en bas, je cédai le quart à mon second et j'allai dans ma chambre écrire mon quart et pointer ma carte. Au moment où je remontais sur le pont et dans le capot de la chambre qui fait face à l'arrière, j'aperçus le même bateau à vapeur qui faisait vent arrière et qui larguait toutes ses voiles. Étonné de cette manœuvre, je descendis prendre ma longue-vue, et dans une embardée qu'il fit, j'aperçus qu'il avait un pavillon espagnol. Je fis aussitôt hisser notre pavillon, et je crus entendre en ce moment la détonation d'une espingole.

<< Surpris d'un pareil procédé, j'appelai tout l'équipage sur le pont et fis serrer mon grand catacois et mon grand perroquet, car je ne pouvais me mettre en travers avec la brise qu'il faisait sans m'exposer à faire des avaries. J'ordonnai ensuite de faire rentrer les bonnettes que nous avions tribord à babord. Cette manœuvre, à bord d'un navire de commerce, ne se fait pas dans une seconde; cependant le commandant du bateau à vapeur qui devait très-bien comprendre que je manœuvrais pour l'attendre, n'avait pas cessé de tirer sur nous, et pendant que l'on était à rentrer les bonnettes, un biscaïen, que le timonier vit en même temps que moi, vint ricocher auprès de nous, et au même instant nous

entendîmes la détonation d'une pièce de 24, qui était, je suppose, sur son gaillard à babord devant.

« Le bateau à vapeur était alors à trois encâblures derrière nous. Je restai en panne, et ce navire vint se placer sous le vent à nous, et quelques instants après une embarcation accosta mon navire.

« Je n'ai pas à me louer, certes, de la politesse de l'officier qui vint à bord, et avec lequel je ne pus m'entendre, ne connaissant pas la langue espagnole; je compris cependant qu'il voulait connaître le nom du capitaine, et le port de destination, que je m'empressai de lui donner. Il ne demanda point à visiter les papiers du navire.

« A cinq heures et demie, j'éventai mon grand hunier, et je dus attendre que le bateau à vapeur eût hissé sa chaloupe pour pouvoir laisser arriver et continuer ma route. J'ignore jusqu'à quel point un navire étranger a le droit d'entraver un navire français dans sa marche, lorsque le capitaine ne manque à aucune loi de la navigation.

« Si en passant à mes côtés, il m'avait hissé ses couleurs, je me serais empressé de le saluer et de lui montrer combien je sais respecter les navires de guerre qui protégent la marine marchande.

« Je vous laisse, Monsieur, le soin de qualifier la conduite d'un commandant d'une Puissance amie. Je crois avoir reconnu sur un des chapeaux des marins venus à mon bord dans l'embarcation que le bateau à vapeur s'appelait Piles.

« Agréez, etc.

« Marseille, le 2 juin 1852. »

§ 6.

"

H. D'AIGREMONT, capitaine du Pierre-Amélie.

Escadre française d'évolutions à Naples en 1852.

Lorsqu'en 1848 l'escadre française d'évolutions commandée par M. le vice-amiral Baudin se présenta dans les eaux de Naples, au sein de la paix existant entre la France, devenue républicaine, et le royaume des Deux-Siciles où les menées démagogiques des hommes de désordre, ambitieux de bas étage, s'efforçaient de faire éclater une révolution et de renverser un trône, que le roi Ferdinand II a su défendre et conserver, le chargé d'affaires des onze sages du gouvernement provisoire, Archontes de la république française, envoyé à Naples par MM. de Lamartine et Bastide, engagea l'amiral français à tourner les canons de l'escadre contre la ville; l'amiral n'en voulut rien faire, et ses canons restèrent muets. (Voir chap. XXXVII. )

Une seconde fois l'escadre française s'est présentée sur la rade de Naples, en 1852, et si ses canons se sont fait entendre, ce n'a point été pour vomir la mort, mais pour donner au roi des

Deux-Siciles les démonstrations de respect et d'honneur qui lui étaient dûs.

L'escadre d'évolutions commandée par M. le vice-amiral baron de la Susse revenait de Tripoli où elle s'était rendue pour soutenir les réclamations du consul général de France. (Voir chap. XXX, § 15.)

Après avoir touché à Cagliari, le 8 août 1852, elle arriva le 12 du même mois devant Naples et prit mouillage plus près de terre que ne l'avait fait jusqu'alors aucune escadre.

Elle surprenait Naples dans les préparatifs d'une fête maritime dont sa présence a relevé l'éclat. Le 15 août, la marine napolitaine devait inaugurer un bassin de radoub récemment construit dans l'arsenal. Cette cérémonie coïncidait avec la fête nationale française de la Saint-Napoléon.

Dès le matin, tous les bâtiments français furent pavoisés et firent une salve générale de vingt et un coups de canon.

Après avoir assisté au Te Deum célébré à terre par les soins de l'envoyé de France, l'amiral de la Susse, accompagné de tous les états-majors, se rendit à l'arsenal où le roi Ferdinand II l'invita à prendre place dans sa tribune.

A midi, les salves des vaisseaux français se mêlèrent à celles des bâtiments napolitains qui portaient le pavillon français au grand-mất.

Après le diner, pendant lequel M. le vice-amiral de la Susse eut l'honneur d'être placé entre LL. MM. le roi et la reine des Deux-Siciles, le roi Ferdinand II s'embarqua pour se rendre à l'ile d'Ischia. Les honneurs royaux ont été rendus à Sa Majesté par l'escadre française.

Le soir, trois bâtiments de guerre que le roi des Deux-Siciles avait fait sortir dans ce but, ont pris part à la dernière salve générale tirée par les vaisseaux de l'escadre.

Le 18, le prince grand-amiral, comte d'Aquilla, frère du roi, a visité le vaisseau la Ville de Paris; il a été reçu avec tous les honneurs dûs à son rang, comme prince de l'illustre sang de Bourbon, et comme commandant en chef de la marine du royaume des Deux-Siciles.

Ces détails du cérémonial maritime qui a été pratiqué, à Naples, en cette circonstance, tant du côté de l'escadre française, que de la part du roi des Deux-Siciles, nous ont paru de nature à être recueillis de semblables occasions de l'observer sont rares; il est bon et utile d'en conserver le souvenir.

§ 7.

Faits divers du cérémonial maritime.

C'est au Livre premier, titre II, § 62 que nous avons indiqué les usages concernant le salut de mer, celui qui est dû aux forteresses, aux princes de sang royal, aux ambassadeurs, aux consuls généraux et consuls.

Dans le titre III, § 46, il a été parlé du coup de semonce ou d'assurance.

Le salut que les bâtiments de la marine commerciale doivent faire devant la forteresse de Cronenbourg en franchissant le Sund, a été indiqué au § 55 du titre II.

Nous rappelerons encore au lecteur que diverses circonstances de réparations faites au pavillon ont été présentées dans les chapitres VIII, § 3, et XXX, § 14, du Livre II. 1)

CHAPITRE XXX.

DES CONSULS. 2)

Atteintes portées au caractère consulaire; affaires de juridiction, d'exéquatur refusé, etc. Attentats contre leur personne, réparations obtenues, protection, etc. etc.

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Les consuls envoyés et entretenus par les souverains qui les ont institués, sont ministres publics; nous l'avons démontré dans d'autres écrits 3); leur refuser aujourd'hui ce caractère, et la jouissance des immunités et prérogatives dérivant de cette qualité, est un acte contraire à la logique, à la raison, au service, à l'intérêt des nations. Un consul envoyé doit jouir de l'inviolabilité et de l'indépendance, car tout agent politique est la parole de son gouvernement, et son gouvernement ne doit agir ni parler par le ministère d'un homme qui aurait à craindre.

1) Voir note VI du second volume, ce qui s'est passé à Messine en 1855.

2) Voir Livre I, titre II, § 23.

*) Voir tome IX du Recueil des traités de commerce et de navigation, 1844; le Recueil manuel, 1849; le Dictionnaire du diplomate et du consul, 1846; les Réglements consulaires, 1851. (Voir au premier volume, pages 36 et 325.)

CUSSY. II.

20

A une époque où la qualité de ministre public était contestée aux consuls, par le plus grand nombre des publicistes, ainsi que par tous les États, les atteintes dont ils ont été l'objet de la part des autorités du pays où ils exerçaient leurs fonctions, sont cependant restées rarement impunies. Wicquefort qui de tous les publicistes s'est montré le moins disposé à reconnaître aux consuls le caractère de ministre public, en disant, dans son ouvrage « L'ambassadeur et ses fonctions », publié à la fin du 17e siècle : « Les consuls ne sont que des marchands, ce qui est incompa<«<tible avec la qualité de ministre public »; Wicquefort fournit deux exemples remarquables d'atteintes portées au caractère consulaire, qui ont été suivies de réparations de la part des autorités qui se les étaient permises, ou qui les avaient tolérées. D'autres atteintes, disons mieux, des attentats réels, sont devenus funestes aux gouvernements qui s'en sont rendus coupables; l'État d'Alger notamment a dû payer bien cher la conduite atroce, et la conduite insolente de son souverain envers deux consuls français : en 1683, un bombardement a vengé la mort du Père Levacher; en 1830, le Dey a perdu ses États pour avoir insulté le consul général du roi de France.

§ 1.

Consul vénitien arrêté sur le territoire ottoman.

En l'an 1538, Sélim II, empereur des Turcs, résolut de s'emparer de l'île de Chypre; il négocia, à cet effet, avec Venise; en apprenant que le sénat avait fait connaître sa détermination de s'opposer vigoureusement à toute tentative de violence de la part de Sélim, ce prince fit arrêter le Bayle Marc-Antoine Barbaro 1), à Constantinople, ainsi que les consuls vénitiens à Alexandrie et à Alep.

Le premier vizir Méhémet, qui n'approuvait pas la guerre, fit bientôt remettre en liberté les consuls résidant à Alep et à Alexandrie; le Bayle resta captif. Sélim craignant une coalition des princes chrétiens, qui l'empêchât d'achever la conquête du royaume de Chypre, voulut reprendre les négociations; il ordonna, à cet effet,

1) Le chef, protecteur et juge suprême des marchands vénitlens à Constantinople reçut, depuis la fin du 13e siècle, la dénomination de Bayle, qui remplaça, pour ce magistrat, celle de Podestat; il remplit dès lors les fonctions de consul général; c'est de lui que relevaient tous les consuls vénitiens institués dans les diverses échelles du Levant avec le temps, le titre de Bayle (Bailo ou Balio) passa aux ambassadeurs de Venise près la Porte-Ottomane; il a été conservé jusqu'à l'extinction de la république.

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