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Le gouvernement de S. M. britannique ayant interposé ses bons offices, le comte de la Margueritte communiqua cette réponse à M. Forster, ministre d'Angleterre à Turin.

Lord Palmerston, ministre secrétaire d'État des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, écrivit, le 19 juin 1837, aux diverses légations de son souverain, pour les mettre à même de faire connaître, au corps diplomatique de leur résidence, l'état de la question. Or, dans cette lettre, Lord Palmerston se range tout-à-fait du côté de l'Espagne, et présente la mesure adoptée par le cabinet de l'Escurial, de retirer l'exéquatur à tous les consuls et vice-consuls sardes dans les ports espagnols, comme un simple acte de représailles que légitimait le refus fait par le gouvernement sarde de délivrer l'exéquatur au consul espagnol récemment nommé à Gènes.

« La note verbale », dit Lord Palmerston, dit Lord Palmerston, « remise le 18 jan<vier 1837, au ministre britannique à Turin, proposait de laisser les consuls espagnols exercer leurs fonctions, mais uniquement <d'une manière privée et sans exéquatur. Or, quelle certitude « pourrait-on avoir que ces consuls ne se trouveraient pas entravés « dans l'exercice de leurs fonctions par les autorités locales, sous « prétexte qu'il ne leur avait point été délivré d'exéquatur. Le gou« vernement sarde n'a jamais pu penser qu'une semblable propo<sition serait appuyée par le gouvernement anglais, ni que celui-ci < solliciterait du gouvernement espagnol la révocation de ses ordres avant que le cabinet de Turin n'eût délivré l'exéquatur au consul espagnol à Gènes; il a dû, bien moins encore, s'arrêter à l'idée que l'Espagne accédât jamais à une telle proposition; il est incontestable que le gouvernement espagnol a le droit de « réclamer l'exéquatur pour ses consuls en Sardaigne. »>

Le gouvernement sarde ne voulut point céder; il ferma tous les ports de la Sardaigne aux bâtiments espagnols, à partir du 1er juillet 1837; le consul espagnol à Gènes protesta immédiatement contre cette mesure extrême.

De son côté, la reine d'Espagne, par un décret en date du 22 juillet 1837, « considérant que le gouvernement de Turin a dé« fendu absolument l'exercice de leurs fonctions aux agents con<< sulaires de l'Espagne; ...... considérant qu'une telle conduite est « grave, injuste et contraire aux usages qne les nations civilisées « ont constamment respectés ...... » ordonna que tous les consuls sardes en Espagne cessâssent immédiatement et absolument l'exercice de toutes leurs fonctions consulaires, privées ou publiques, et fit connaître que ces agents ne pourraient plus séjourner sur

le terretoire espagnol que comme simples particuliers, sans pouvoir prétendre à d'autres égards qu'à ceux qui leur sont dús en cette qualité.

<< Reduits au même niveau des autres sujets sardes (porte le « décret du 22 juillet), qui séjournent ou voyagent en Espagne, « ces agents consulaires restent, dès ce moment, soumis en<< tièrement au droit commun, et sans aucune exception ni pri« vilèges. »

Qu'on ne s'y trompe pas d'ailleurs, cette petite guerre consulaire engagée par le gouvernement sarde et soutenue par l'Espagne, n'avait pas en réalité pour origine aucune prévention particulière de la part du cabinet de Turin contre la personne de M. Letamenti.

Sans aucun doute, tout gouvernement peut avoir, pour refuser l'exéquatur et l'admission d'un consul étranger, envoyé, des motifs personnels; si, par suite de sa conduite antérieure, ou de la publication d'ouvrages renfermant des doctrines contraires à l'ordre et à la politique du pays où il est envoyé, un consul a inspiré quelque défiance ou quelque prévention, le gouvernement de ce pays qui voit un inconvénient à son admission, peut refuser de délivrer l'exéquatur; mais, dans la circonstance qui fait l'objet de ce paragraphe, rien de semblable n'avait eu lieu; la véritable raison. la voici :

Le 29 mars 1830, le roi Ferdinand VII d'Espagne, qui n'avait pas encore d'héritier direct, avait aboli la loi Salique, et préparé de cette manière à l'enfant auquel la reine était sur le point de donner le jour, la succession au trône d'Espagne, si cet enfant se trouvait être du sexe féminin: ses prévisions paternelles ne se trouvèrent point en défaut; le 10 du mois d'octobre suivant, la princesse des Asturies vint au monde, et, malgré la protestation publique, en date du 29 avril 1833, de l'infant Don Carlos, frère du roi Ferdinand VII, contre la légalité des droits de l'infante Isabelle au trône d'Espagne, cette jeune princesse fut, à la mort du roi son père, survenue le 29 septembre 1833, déclarée reine des Espagnes, sous la régence de son auguste mère la reine Marie-Christine.

Or, le gouvernement sarde qui consentait, dans l'intérêt des relations commerciales internationales, à laisser les consuls espagnols, pourvus de l'exéquatur, antérieurement au 29 septembre 1833, exercer officiellement leurs fonctions, se refusait à délivrer des actes d'exéquatur aux consuls nommés depuis cette époque; en adoptant une semblable règle de conduite, il voulait éviter

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de faire aucun acte qui aurait été, de sa part, un témoignage qu'il reconnaissait le gouvernement de la reine-régente d'Espagne, agissant au nom de la reine Isabelle.

Quoiqu'il en soit, que cette opinion soit fondée ou non, toujours est-il qu'elle a eu cours et que le refus de l'exéquatur au consul nommé par la reine Marie-Christine, à Gènes, en 1836, devint la cause officielle de l'interruption des rapports politiques et commerciaux entre l'Espagne et la Sardaigne.

§ 13.

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Outrages et menaces par paroles contre un consul, par un de ses nationaux. Jugement de la cour d'appel de l'île Bourbon contre le S Ch. Dettel, Français, coupable d'outrages contre M. de RattiMenton, consul de France à Calcutta. (1849.)

Le S Ch. Dettel, Français, domicilié à Calcutta, où il exerçait la profession de mécanicien, se trouvant, les 16 et 17 mars 1849, dans la chancellerie du consulat de France, en cette résidence, insulta, de la manière la plus grossière, le consul français, M. de Ratti-Menton, et le menaça de lui couper la figure à coups de fouet.

M. de Ratti-Menton fit connaître ces faits à l'autorité anglaise qui se borna à soumettre le S' Dettel à une caution en numéraire, pour garantie qu'il n'exécuterait pas ses menaces pendant un an.

Le S Ch. Dettel fut traduit devant la cour d'appel de l'île Bourbon.

La cour se posa cette question: L'article VII du code d'instruction criminelle s'applique-t-il au cas de délits commis à l'étranger par un Français envers un consul de France dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions?

La réponse devait être affirmative.

Que porte, en effet, l'article VII? « Tout Français qui se rendra coupable, hors du territoire du Royaume, d'un crime contre un Français, pourra à son retour en France y être poursuivi et jugé, s'il n'a pas été poursuivi et jugé en pays étranger, et si le Français offensé rend plainte contre lui. »

Est-il possible de mettre en doute, en présence d'un article dont l'effet est d'atteindre tout Français coupable d'un crime contre un autre Français, qu'un agent politique envoyé par le gouvernement à l'étranger pour y protéger les intérêts de ses nationaux, ne saurait être outragé par ceux-ci sans que la loi ne

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vengeât la dignité, violée dans sa personne, du principe d'autorité qu'il représente ?

Est-il possible d'admettre que l'agent politique envoyé à l'étranger pour y protéger les intérêts de ses nationaux, que cet agent auquel, selon l'expression même des lettres patentes qui l'instituent, « les navigateurs, commerçants et autres, sujets fran<< çais, doivent obéissance», et dès lors respect et déférence, puisse rester lui-même sans protection contre la grossierté, l'injure et la menace de ceux de ses nationaux qui se laissent entrainer à ces actes coupables?

Avant de reproduire le jugement prononcé par la cour d'appel de Bourbon, ainsi que les motifs sur lesquels il s'appuie, et qui feront connaître au lecteur le délit à l'occasion duquel le S' Dettel était poursuivi, nous devons encore indiquer trois autres questions sur lesquelles la cour a délibéré.

« Les consuls de France à l'étranger sont-ils des magistrats « de l'ordre administratif et judiciaire français ?

« La fiction d'exterritorialité des ambassadeurs et agents diplo<< matiques peut-elle s'appliquer aux consuls comme magistrats ad<< ministratifs ou judiciaires envers leurs nationaux ?

« Un délit commis à l'étranger par un Français et susceptible « d'être poursuivi en France, peut-il être considéré comme expié

<< par l'assujétissement imposé à ce Français, par le magistrat << étranger, de fournir caution qu'il gardera la paix ?

Jugement de la cour d'appel de l'ile Bourbon, en date du
30 août 1849.

En ce qui concerne les exceptions préjudicielles présentées par Dettel, et consistant, la première, en ce que les faits qui lui sont imputés ne constituent que de simples délits ne pouvant donner lieu à une poursuite en France;

La seconde, en ce que ces délits ayant été commis hors du territoire français contre un Français, ne donneraient non plus ouverture à aucune action publique devant les tribunaux français;

La troisième, en ce que, dans tous les cas, Dettel ayant été assujetti, par le juge anglais de police de Calcutta, à fournir deux cautions de cinq cents roupies chacune, et en outre sa propre obligation de cinq cents roupies, pour garantie qu'il garderait la paix pendant un an, il aurait par là été jugé déjà, en pays étranger, à raison du fait pour lequel il est poursuivi aujourd'hui devant une juridiction française ;

Lesdites exceptions fondées sur l'article VII du code d'instruction criminelle :

Attendu, sur les deux premiers moyens, que les articles 222 et 223 du Code pénal punissant les outrages par paroles et par gestes, ou menaces aux magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire, lorsque ces outrages ont eu lieu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions;

Attendu que les consuls de France à l'étranger sont des fonctionnaires investis d'attributions administratives et judiciaires à l'égard de leurs nationaux par les diverses ordonnances qui les ont institués et organisés, et notamment par celle du mois d'août 1684, l'édit du mois de juin 1778, l'ordonnance du 3 mars 1781, l'instruction du 8 août 1814, l'ordonnance du 15 décembre 1815, etc.; qu'au nombre de ces attributions se trouve l'exercice d'une juridiction et d'actes de compétence tels qu'il n'est pas douteux qu'à tous ces titres les consuls doivent être rangés dans la catégorie des magistrats français de l'ordre administratif et judiciaire, que les articles ci-dessus cités du Code pénal ont eu en vue de protéger contre les insultes qui pourraient leur être faites à raison de leur caractère public et légal;

Attendu que les fonctions des consuls, telles qu'elles viennent d'être définies, ont cela de particulier que les actes de leur ministère, et notamment ceux d'administration et de juridiction, ne s'exercent qu'à l'étranger et hors du territoire français, envers leurs nationaux qui se trouvent dans leur résidence; que conséquemment les délits d'outrages envers eux dans l'exercice de leurs fonctions, dans la première hypothèse surtout, ne peuvent être commis que sur le territoire étranger; mais que cette circonstance ne saurait soustraire les individus qui se rendent coupables de ces délits, à une poursuite en France; qu'en effet, du moment que le consul est insulté dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de fonctions qu'il ne remplit qu'à l'étranger, il s'ensuit nécessairement que la circonstance de la perpétration de ce délit hors du territoire français, ne saurait s'opposer à ce qu'il soit réprimé en France; qu'autrement ce serait placer ces fonctionnaires, qui sont évidemment magistrats de l'ordre administratif et judiciaire, hors de la catégorie générale et sans distinction de ceux dont les articles 222 et 223 ont entendu parler, et créer contre eux une exception qui n'est pas dans la loi et que repousse son esprit non moins que son texte; que les consuls de France à l'étranger doivent être environnés, pour l'exercice de leurs fonctions administratives et judiciaires, des mêmes garanties que les autres magistrats qui se

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